Publié le 9 Jun 2019 - 02:08
AVIS D’EXPERT SUR L’OUVERTURE D’UNE INFORMATION JUDICIAIRE

Avantages et limites d’une procédure sénégalaise

 

Cette sommité du droit ne veut pas se dévoiler, mais elle aborde, avec ‘’EnQuête’’ les contours de l’ouverture d’une information judiciaire au Sénégal plutôt qu’en Grande-Bretagne. Elle se prononce également sur la litispendance, les risques qui planent sur la tête d’Aliou Sall…

 

Aliou Sall peut-il risquer le syndrome Gadio ou Lamine Diack ? Pour le moment, la réponse est non. En effet, jusque-là, malgré les déclarations d’intentions, aucune partie n’a encore daigné saisir la justice britannique connue pour sa rigueur. On dirait que les parties en sont un peu frileuses. En 2016, Franck Timis l’avait annoncé, avant de se raviser. Finalement, il s’était rabattu sur les juridictions sénégalaises qui, depuis lors, n’ont pas posé d’actes significatifs.

Plus de deux ans après, Macky Sall, touché par le reportage de la Bbc, annonce l’ouverture d’une information judiciaire.

Certains se demandent, dès lors, s’il s’agit d’une réelle volonté de faire éclore la vérité ou tout simplement d’étouffer l’affaire.

En attendant la réponse des magistrats, des spécialistes se prononcent sur la pertinence d’une telle démarche. Ce professeur de droit privé, qui a préféré garder l’anonymat, salue la décision : ‘’C’est une bonne chose. Je pense que le gouvernement veut montrer par-là qu’il compte jouer la carte de la transparence. Et il a intérêt à ce que la justice fasse la lumière dans cette affaire. Encore faudrait-il qu’on laisse aux magistrats la latitude de pouvoir entendre toutes les personnes impliquées dans cette affaire, en toute indépendance.’’

L’autre question que l’on peut valablement se poser, c’est par rapport à l’efficacité d’une plainte au Sénégal contre la Bbc. En tout cas, quelle que soit la juridiction saisie, prévient notre interlocuteur, il aura besoin de l’exequatur pour être applicable dans un autre pays. ‘’Nous sommes dans un cas de figure où la décision qui va être prise devra fort probablement être appliquée à l’étranger. Ce qui ne manquera pas de poser la question de l’exequatur. Et la juridiction qui sera saisie pour l’exéquatur va connaitre indirectement de l’affaire’’. Pour lui, rien ne s’oppose à ce que les deux juridictions connaissent de l’affaire, dès lors que chaque pays a des intérêts dans cette affaire. A moins qu’il y ait des conventions bilatérales qui les en empêchent.

A ceux qui se demandent si Aliou Sall encourt le syndrome Lamine Diack ou Cheikh Tidiane Gadio, il rétorque : ‘’Je ne suis pas au courant d’informations judiciaires ouvertes en Grande-Bretagne contre Aliou Sall. Au cas où ce serait fait, ces juridictions vont juger de l’opportunité ou non de lancer un mandat d’arrêt international. Pour le moment, la question ne se pose pas sous cet aspect, il me semble.’’

Le juriste rappelle que le droit sénégalais prévoit ce qu’on appelle le ‘’privilège de juridiction’’ pour ses citoyens. Cela veut dire qu’à chaque fois qu’un Sénégalais est demandeur ou défendeur dans une affaire judiciaire, les juridictions sénégalaises se déclarent compétentes. Mais autant le Sénégal peut valablement se prononcer, autant les juridictions britanniques peuvent également justifier d’un intérêt qui leur permette de statuer, si elles sont saisies. ‘’On parlerait, en pareil cas, de litispendance. C’est-à-dire que deux juridictions également compétentes sont saisies d’une même affaire’’.

Par rapport aux menaces de certaines organisations de la société civile de saisir les tribunaux anglais, il explique : ‘’Je ne connais pas trop le droit britannique, mais je pense qu’il doit être possible, pour des organisations sénégalaises, de se constituer partie civile. Des organisations comme Oxfam peuvent potentiellement le faire.’’

‘’Macky Sall, dans cette affaire, ne peut pas être juge et partie’’

Depuis la diffusion du reportage de la Bbc sur la question du gaz sénégalais, l’organisation Legs (Leadership, éthique, gouvernance et stratégie) s’active dans la mobilisation des Sénégalais, en vue de la saisine des juridictions nationales et étrangères. A la base d’une pétition allant dans ce sens, l’association estime que c’est à la justice de prendre les choses en main et non l’Exécutif qui est mis au banc des accusés.

En 2016, Franck Timis et ses avocats avaient menacé de porter plainte contre ses accusateurs, aussi bien au Sénégal qu’en Angleterre. Depuis lors, aucun acte de poursuite significative n’a été posé allant dans le sens d’éclairer la lanterne des Sénégalais.

Dans sa parution, hier, le journal ‘’le Quotidien’’ renseigne que le chef de l’Etat lui-même a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire. Déjà, l’organisation Legs (Leadership, éthique, gouvernance et stratégie) rejette la méthode.

Son secrétaire général, Richard Kinkpé, déclare : ‘’Il faut savoir que le reportage de la Bbc met en cause la responsabilité du gouvernement. Ce n’est pas les individus qui nous intéressent. Ce sont les actes même, posés par le gouvernement, qui posent problème aux Sénégalais. Donc, on ne peut pas se contenter que le chef de l’Etat nous annonce l’ouverture d’une information judiciaire. Il ne peut pas être juge et partie. Nous demandons que le principe de la séparation des pouvoirs soit respecté. Il faut que le gouvernement se mette à l’écart et qu’il laisse au pouvoir Judiciaire le soin de situer les responsabilités de chaque partie. A notre avis, il revient au procureur et aux juges de se saisir de l’affaire et de mener une enquête vraiment indépendante pour éclairer la lanterne du peuple.’’

Cela dit, pour M. Kinkpé, les choses sont désormais très claires. C’est bel et bien le régime actuel qui a permis à Petro-Tim et Franck Timis d’opérer au Sénégal. ‘’Les gens, fulmine-t-il, ne sont pas aveugles. C’est bien l’actuel président qui a signé les décrets. S’il ne les avait pas signés, on n’en serait pas là. Ça, je crois que c’est maintenant clair pour tout le monde. D’ailleurs, quand il (Macky Sall) est venu, il a vérifié ce qu’il en était de ce dossier. Il a par la suite estimé que tout est Ok, alors que ce n’était pas le cas. Le rapport de l’Ige lui demandait de revenir sur l’affaire’’.

Pour le responsable du Legs, cette question est très importante pour être passée par pertes et profits. ‘’On parle de 6 000 milliards de francs Cfa, plus du budget du Sénégal. C’est énorme. C’est une question qui a trait à la gouvernance des ressources naturelles. Et la Constitution indique que les ressources naturelles constituent la propriété du peuple. C’est pourquoi nous allons demander des comptes’’.

Initiateur de la pétition réclamant la saisine des juridictions nationales et étrangères, l’organisation se réjouit : ‘’Nous avons beaucoup apprécié l’engouement du peuple qui a montré son adhésion totale. En 48 heures seulement, nous avons pu glaner plus de 20 000 signatures. Cela veut dire que le peuple veut vraiment que la lumière soit faite dans cette affaire.’’

Richard d’ajouter : ‘’Il faut qu’on soit dans la continuité de l’engagement qu’on a pris avec les pétitionnaires. Nous allons concrétiser notre démarche en posant des actions précises allant dans le sens de saisir les juridictions nationales et étrangères, dont celles de la Grande-Bretagne. Ce qui nous intéresse, c’est le gouvernement du Sénégal. C’est à lui seul qu’on a confié la responsabilité de préserver nos intérêts.’’

MOR AMAR

 

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