Publié le 7 Dec 2015 - 05:15
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP :

‘’Gonzo journalisme’’, un style à la limite de l’éthique et de la déontologie

 

Gonzo journalisme ! Le nom est drôle et la pratique de cette forme de journalisme peut, tout aussi, prêter à sourire. Alors que le journaliste classique se présente à visage découvert à sa source et autres interlocuteurs, leur présente sa carte de presse etc., le gonzo reporter se fond dans l’univers de ses interlocuteurs, celui de son reportage, pour obtenir le maximum d’informations aussi originales les unes que les autres. Les connaisseurs décrivent cette méthode comme un art de ‘’revivifier le journalisme d'investigation par infiltration’’. Ici, ‘’le principe d'investigation est basé sur l'expérience personnelle, au cours d'une infiltration dans l'environnement proche de la cible du reportage’’, écrit l’encyclopédie en-ligne Wikipedia.org.

S’il n’avait pas usé des méthodes gonzo, le journaliste investigateur allemand Günther Wallraff n’aurait jamais pu écrire son best-seller ‘’Ganz unten’’ (Tête de Turc, en français). En effet, souligne Wikipedia.org, ‘’Wallraff adopta à chaque fois une identité fictive et n'était donc pas reconnaissable comme journaliste’’. Et c’est ainsi qu’il put infiltrer les milieux des travailleurs émigrés clandestins turcs et décrira plus tard dans son livre les conditions, pour ainsi dire, inhumaines de vie et de travail de cette communauté d’émigrés en Allemagne. Le journaliste infiltré se mit, volontairement, à parler un allemand approximatif et s’affubla d’une perruque et de lunettes de contact et se munit de faux-papiers l’identifiant comme étant un émigré turc du nom d’Ali Sigirlioğlu, ouvrier non qualifié, prêt à accepter n’importe quel travail y compris dans des zones dangereuses comme les abords d’une centrale nucléaire.

Voilà un gros problème d’éthique et de déontologie que peut poser un certain journalisme d’investigation. Dans l’éthique liée à la collecte de l’information, le journaliste doit être absolument loyal à la source. D’ailleurs, la Charte des devoirs du journaliste professionnel édictée à Paris en 1918 et révisée à Munich en 1971, interdit au ‘’journaliste digne de ce nom’’ (sic) d’‘’invoquer un titre ou une qualité imaginaires, d’user de moyens déloyaux’’ (Charte de Paris) ; et celle de Munich dit au journaliste de ‘’ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents’’.

Des individus s’étant reconnus dans les informations livrées dans le livre de Wallraff et même des confrères critiquèrent la méthode d'enquête du journaliste comme ayant porté atteinte à la vie privée de ses personnages ou mis en péril des secrets professionnels.

Certes, le reporter doit, pour faire un bon et vivant reportage, user de ses cinq sens (goût, toucher, odorat, vue, audition), pour avoir une impression et la transmettre à son public, sentir et ressentir, mais il y a un pas  entre cette règle et la déloyauté à ses interlocuteurs, à ses sources. Pour avoir des informations concernant telle société, un journaliste a-t-il le droit de s’y faire employer comme balayeur ? Beaucoup de journalistes d’investigation répondraient, répondent par l’affirmative, la fin justifiant les moyens.

Le reporter enquêtant sur les jeux de hasards clandestins peut-il aller y jouer, avec le risque de se faire alpaguer par une patrouille de police ? Ce sont là des risques du métier… Et le jeu est encore plus dangereux quand il s’agit d’infiltrer un fumoir de yamba ou de haschisch pour obtenir des informations originales, ‘’en direct’’, et de première main sur la consommation ou le trafic de drogues.

A un moment ou à un autre de leur carrière, beaucoup de journalistes ont usé d’astuces gonzo. D’autres ont prospéré dans ce ‘’journalisme ultra-subjectif’’ qui a aussi son style d'écriture (ne prétendant pas à l'objectivité) ; et le journaliste y est un des ‘’protagonistes de son reportage et écrivant celui-ci à la première personne’’, écrit Wikipédia. Selon cette encyclopédie en-ligne, ‘’le terme ‘’gonzo’’ aurait été employé pour la première fois en 1970 pour qualifier un article de Hunter S. Thompson, qui popularisa ce style par la suite pour écrire ‘’Hell's Angels : The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs’’ ; il s'intégra à un groupe de Hells Angels, devint motard et adopta leur mode de vie pendant plusieurs mois.

Une des justifications à ce journalisme par ceux qui le pratiquent (le gonzo journalisme fut d’ailleurs appelé ‘’le nouveau journalisme’’  dans les années 70 déjà)  est que le produit fini du reporter gonzo fera en sorte que le public fera appel à son sens critique, et ‘’pourra ensuite recomposer une image plus vraisemblable de la réalité s'il le souhaite’’.

Quoi qu’il en soit, le journalisme classique gardera toujours sa définition immuable, son code d’éthique et de déontologie, de la collecte de l’information à la diffusion de celle-ci en passant par son traitement. Le journaliste devra rester lui-même, prendre des risques, s’il le faut, mais ne jamais perdre de vue cette recommandation forte du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics) qui clame : ‘’Aucune information ne vaut une vie.’’

Jean Meïssa DIOP

Post-scriptum : Le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti, institut de journalisme de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar) fête ses 50 ans. A cette occasion, un colloque s’est tenu du 3 au 5 décembre à Dakar sur le thème ‘’Les médias en Afrique : cinquante après le soleil des indépendances : bilan, enjeux et perspectives ‘’. Une initiative en partenariat avec le Réseau Théophraste (des centres francophones d’enseignement au journalisme) et l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif). Les communications et les débats valaient bien le détour.

 

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