Publié le 25 Aug 2012 - 10:15
BAÏDY AGNE

"Nous devons nous appliquer tous ces principes de gouvernance qu'on évoque’’

 

 

Le président du Conseil national du patronat (CNP) se prononce sur l’actualité économique. Une occasion pour Baïdy Agne de rappeler certaines vérités sur ses relations avec l’ancien pouvoir de Wade, avec Macky Sall. Mais aussi de faire des révélations comme ‘’les marchés du MCA (qui) vont être exécutés totalement par les entreprises étrangères’’. Ou les autres ‘’biens publics qui sont concédés sans appels d'offres’’ alors qu’on se focalise sur le King Fahd qui ‘’n’est pas une grosse affaire’’. Non sans rappeler que le secteur privé doit s’appliquer les ‘’principes de gouvernance’’ demandés aux politiques.

 

Lesquelles ?

Nous devons répondre à : comment nous devons créer plus d’emplois ? Assurer notre développement économique et social ? Sécuriser notre environnement ? Nous devons aussi apporter des réponses à des secteurs majeurs comme celui des infrastructures. Comment nous allons réagir face au patriotisme ? Comment nous allons réagir face a la montée des entreprises chinoises hier, aujourd’hui les entreprises espagnoles et portugaises qui sont toutes subventionnées par leurs Etats pour venir compétir avec les entreprises sénégalaises qui n'ont aucune subvention, aucune protection ? Ce qui fait qu’au final, on se retrouve grands perdants des projets lancés. Les marchés du MCA par exemple vont être exécutés totalement par les entreprises étrangères qui sont subventionnées par leurs pays pour défendre l'emploi chez eux. Et ce sont des problèmes. Quelles réponses nous devons apporter quand on prend le secteur des call center, un secteur pourvoyeur d’emplois ? Nous, en tant que pays, quelle réponse allons-nous apporter à Arnaud Montebourg (ministre français du Redressement productif qui prévoit de ramener les centres d’appel en France ; ce qui risque de causer des pertes d’emplois dans beaucoup de pays comme le Sénégal, NDRL) ? Quelle réponse nous devrons apporter au secteur de l'agro-industrie, même si je me réjouis de voir récemment la signature ou le redémarrage de ce protocole de ‘’Sen Ethanol’’ que nous avions défendu avant. Donc, il y a des questions essentielles et ce patriotisme économique est du rôle du secteur privé national que nous défendons. Au-delà, nous parlons de souveraineté économique et nous disons qu’il faut que les nationaux participent. À chaque fois qu'on doit concéder un bien public, c'est-à-dire des concessions, des privatisations de l'Etat, le secteur privé national doit y participer. Maintenant, cela ne veut pas dire n'importe quoi, non ; Et c'est pourquoi nous parlons d'intérêt national et de souveraineté économique. C'est de l'intérêt national !

 

‘’En tant que secteur privé ou organisation de secteur privé, nous devons nous appliquer tous ces principes de gouvernance qu'on évoque’’

Cela ne veut pas dire qu'il faut faire n'importe quoi ; nous n'acceptons pas n'importe quoi ! Bon, il faut organiser les choses.

 

Mais dans l'affaire du King Fahd, il a été dit que la concession ne s'est pas faite dans les règles de l'art ?

Qui a dit ça ?

 

L'armp par exemple !

Non ! Non ! L'Armp donne un avis qui dit que cette concession n'a pas respecté des procédures... enfin. C’est un avis. L'armp n'a pas de compétences sur un contrat en cours d'exécution. Et de plus ! Mais quand même, moi je suis à un niveau où je sais que beaucoup de contrats sont donnés tous les jours, de concessions même sans appel d'offres.

 

Donnez des exemples !

Je ne sais pas... dans le secteur de l'audiovisuel, est-ce qu'il y a eu des appels d'offres ? Dans le secteur des miniers, l'Etat concède des biens tous les jours, enfin tous les jours non. Mais il concède, il y a eu des biens publics qui sont concédés sans appels d'offres.

 

Donc vous défendez la concession faite à Racine Sy

Non ! Ce n’est pas parce que je défends ça, mais je dis qu'il n'y a pas à... Les questions que j'ai évoquées avant sont les questions les plus essentielles. Je ne veux pas moi reparler de cette affaire du King Fahd, tout le monde en parle. Il y a trop d'agitations autour de ça. Beaucoup trop. Pour moi, si l'Etat n'est pas d'accord, il a la possibilité de casser ce contrat. Je ne vois pas pourquoi tous les jours nous devons parler de King Fahd. Ce n’est pas une grosse affaire, c'est la gestion simplement. Il y a quand même des sujets plus importants qui se sont passés, qui se passent.

 

 

Est-ce que ça participe au patriotisme économique de savoir qu'il y a des biens de l’Etat concédés sans appel d’offres et se taire ?

Il ne faut pas qu'on soit les derniers de la classe tournante. Nous nous sommes dotés ou devons être dotés d'un minimum d'intelligence. Vous savez, même en France, il n’y a aucune licence téléphonique qui fait l'objet d'un appel d'offres. C’est des désignations directes, c'est l'Etat qui donne, personne n'a jamais dit mot. Toutes les quatre licences téléphoniques en France, c'est comme ça. Il n’y a pas d'appel d'offres ! Maintenant, il y a un contrat, les gens ne sont pas en accord, ils le cassent. Mais ce n’est pas à moi de crier dessus ou quelqu'un. Les parties prenantes de ce contrat n'ont qu’à le régler. C’est tout ce que je dis. Ce dont nous voulons parler, c'est qu'il ne faut pas personnaliser l'affaire de patriotisme économique, cette réflexion que nous avions engagée avant pour voir le secteur privé sénégalais, le secteur national ; au constat, nous ne sommes pas dans des secteurs stratégiques du pays. Nous ne le sommes pas. Nous ne sommes pas dans les mines, dans les banques, la téléphonie en tant que telle.

 

Pour en revenir à vos entreprises, comment se portent-elles ?

Notre entreprise existe depuis 1933 et est sous le contrôle familial depuis 1973. Nous avons toujours fonctionné, nous nous sommes inscrits dans une logique où il n'y a que des entreprises internationales globales dans le maritime, c'est-à-dire le groupe Bolloré, Maersk Line, des multinationales. Nous sommes la seule entreprise sénégalaise à avoir été dans le traitement des containers. Nous nous sommes bagarrés tout le temps, pas de façon exhaustive. Je peux énumérer d'autres préalables qui ont fait que nous sommes en difficultés par rapport à cette activité maritime. Ne serait-ce que le cas de Dubai Port Word (DPW), d'une concession, notre activité que nous avions depuis 1973, que nous ne puissions pas le travailler. C'est-à-dire dans la période 2000-2012, pour nous, ça n'a été pour nous qu’une période de perte de chiffres d'affaires majeure par des décisions d'un régime sortant. Les gens qui étaient pendant cette époque touchés par Dubai port word, c'est Maersk Line et le groupe Bolloré. A Maersk Line, ils ont arrêté leur opération, ils ont fermé après. À Bolloré, ils sont allés faire des phases de restructuration, ils ont licencié. Mais nous, nous n'avons licencié personne. Nous sommes fondés à demander de la compensation

.

C'est justifier les remises de dettes qui vous ont été faites au Port de Dakar ?

Ça, c'est rien du tout. Quand moi j'ai été victime de combien de milliards... et de plus, c'est faux de parler de SOMICOA tout seul. C’est faux ! C’est une décision du conseil d'administration qui touchait toute la place portuaire sur des choses qui ont été contestées, d'autres qui ont plus de 10 ans ; ce n'est absolument pas des cadeaux. Donc nous n'avons pas été favorisés, nous avons été plus victimes pour cette question.

 

Comment doit se comporter le secteur privé face au pouvoir ?

La responsabilité du secteur privé, c’est de taire ses querelles de clocher. L'intérêt du secteur privé sénégalais, c'est dans un mouvement d'ensemble, d'unification, de porter la main face à l'Etat pour les réformes, pour parfois être avec le pouvoir, être un contre-pouvoir, parfois sur des décisions, attirer leur attention. Quand on est organisé comme ça, comme organisation patronale, c'est très facile de dégager toute responsabilité, nous avons aussi une responsabilité sur le développement économique et social de notre pays, et nous devons l'assumer. Nous ne pouvons pas simplement dégager en touche. Nous devons faire notre propre bilan, notre propre autocritique et il faut aller vers ça. Et c'est ce que je dis même en tant que secteur privé ou organisation de secteur privé ; nous devons nous appliquer tous ces principes de gouvernance qu'on évoque.

 

Y compris la rotation de la présidence ?

Oui, bien sûr ! Je vais presque faire 10 ans à la tête du CNP mais d'autres me diront que les autres sont là depuis presque un quart de siècle. Il est évident que ce n'est pas de la gouvernance. C'est franchement trop d'être président d'organisation pendant 25 ans. Donc ce que nous demandons aux autres, aux acteurs de la politique, nous devons nous l'appliquer. Je pense que toutes les organisations du secteur privé, de la société civile... nous devons, bon ... 10 ans, c'est suffisant.

 

Avons-nous trop ou pas assez d’organisations patronales ?

En fait, le plus important, même si les organisations existent séparément, c'est de parler d'une même voix, d'avoir les mêmes objectifs et que ça ne se transforme pas en querelle de clocher qui est non productive. Ici au Sénégal, nous avons trop de tout. Nous avons trop d'organisations patronales, trop de syndicats, trop de partis politiques, trop d'organisations de la société civile. Ce n'est pas seulement propre au patronat. Et cela pose des problèmes pour avoir des consensus.

 

Quels sont les axes les plus prioritaires sur lesquels l'État et les organisations patronales devraient aller pour l'amélioration de l'environnement des affaires ?

Il y a la réforme fiscale qui est engagée et qui doit arriver à terme maintenant, qui est importante. Outre cette réforme fiscale, il y a tout le processus des réformes, que ce soit sur la justice, ou le Doing business. Tout cela doit arriver, à terme, à générer plus d'investissements et plus d'emplois. Parce qu'une société qui ne crée pas d'emplois, c'est une problématique majeure aujourd'hui au sein de toutes les sociétés. Donc, nous devons aussi voir comment et qu'est-ce que nous devons faire pour en créer davantage.

 

Vous avez toujours dénoncé une fiscalité assez forte qui fait que vous ne pouvez pas recruter. Cette réforme prend-elle en compte cet aspect ?

Dans la réforme, il y a beaucoup de points positifs. Mais il est beaucoup question de relever le taux de l’Impôt sur les sociétés (IS) de 25 à 30%. Cela ne fait pas l'accord ; nous ne sommes pas d'accord sur cela parce qu'il n'a pas été prouvé ; tout au moins, il a été prouvé que la baisse du taux de l’IS a fait générer plus de revenus dans cette branche. Il n’y a aucune raison d’augmenter l’IS. C'est un peu le même débat que nous avons sur les TVA à taux réduit même s'il est beaucoup question d'un secteur du tourisme. Mais c'est plus, à notre sens, une disposition qu'un État doit adopter pour mieux juguler, parfois quand il y a de l'inflation sur certains produits de denrées de première nécessité, de ne pas aller vers des subventions un peu plus formelles et jouer sur la TVA, par exemple. Donc nous sommes engagés avec le ministre des Finances ; nous devons nous revoir en début septembre pour faire le point de toutes les négociations en cours avec la DGIT sur ces questions et sur les autres points de réforme.

 

Sur toutes ces questions, y a-t-il un consensus du patronat ?

C'est cela que je déplore. Quand il s'agit de discussion au niveau de la fiscalité, nos Commissions fiscales travaillent bien en ce moment. En réalité, nous travaillons bien en ce moment sur beaucoup de questions. C'est pour cela que je ne comprends pas l'intérêt que certains trouvent, à différents moments, à vouloir se positionner sur tel, à vouloir opposer tel. Ils ne peuvent pas gagner dans ça. Ça ne peut aller nulle part. Ça n'a aucun intérêt.

 

Fin

Bachir Fofana

 

Section: