Publié le 9 Dec 2014 - 12:05
BAIDY BA DIRECTEUR DES EAUX ET FORETS

‘’La Gambie passe pour être un grand exportateur de bois…mais’’

 

Le trafic de bois se multiplie dans la zone sud du pays. Dans cet entretien  accordé à EnQuête, le Colonel Baïdy Ba, Directeur des Eaux et Forêts, explique que ce trafic est surtout lié à l’insécurité qui règne dans la zone. Le bois exploité frauduleusement au Sénégal entre aussi dans le territoire gambien, à l’aide de la complicité des populations locales. Ce qui fait que la Gambie passe pour être un grand exportateur de bois d’œuvre du fait du recyclage du bois exploité frauduleusement et provenant du Sénégal.

 

M. le directeur, quand va démarrer la campagne d’exploitation forestière 2014-2015 ?

La campagne d’exploitation forestière  2014-2015 est prévue pour une durée de 12 mois, c’est-à-dire du 1erdécembre 2014 au 30 septembre 2015. Comme vous le savez, la campagne d’exploitation forestière démarre par la signature, par le ministre de l‘Environnement et du Développement durable, de l’arrêté fixant les modalités d’organisation. Le projet d’arrêté élaboré après concertation avec les différents acteurs a été envoyé au MEDD pour approbation et signature. Nous avons voulu que le projet d’arrêté soit d’abord discuté avec les structures locales de gestion des forêts, les maires et les agents forestiers et même l’Union Nationale des Coopératives des Exploitants forestiers du Sénégal pour une meilleure gouvernance du secteur. On espère que la signature va intervenir incessamment même si certains acteurs prônent le démarrage en janvier 2015 en la calant sur l’année civile.

 Celle de 2013-2014 a été décriée par certains exploitants forestiers. Ces derniers vous accusent de prendre des mesures, non prévues par la loi, organisant la campagne d’exploitation. Que répondez-vous à ces allégations ?

En prenant service à la tête de la Direction des Eaux et Forêts, la campagne d’exploitation forestière 2013-2014, démarrée en janvier 2013 pour une durée de 18 mois, était à son 14ème mois. Face à certains dysfonctionnements constatés sur l’organisation de la campagne d’exploitation forestière, notamment l’exploitation sur une période de 18 mois des mêmes quantités qu’on avait l’habitude d’exploiter en une année, j’ai posé certains actes, en toute responsabilité, suite aux concertations menées avec les acteurs. Sûrement, cela n’a pas plu à certains.

Quelles sont ces mesures dont vous faites allusion ?

Ces mesures sont entre autres la répartition équitable de la réserve de charbon de bois et la non-confiscation du charbon produit en excédent dans l’attente de la signature de l’arrêté du MEDD qui a prorogé la durée de la campagne d’exploitation forestière 2013-2014 et a revu à la hausse les quantités à exploiter durant ladite campagne.

Les exploitants ont aussi dénoncé la prolongation des titres d’exploitation pour les campagnes précédentes ou la répartition arbitraire de la réserve pour le charbon. Quelle a été la motivation de telles décisions ?

Pour ce qui concerne la prolongation de la durée de validité des permis, j’ai eu l’opportunité de suivre ce dossier bien avant ma nomination en tant que Directeur de Cabinet de Monsieur le ministre de l’Environnement. Les exploitants avaient posé ce problème à Monsieur Mor NGOM qui avait demandé à mon prédécesseur d’étudier les modalités de solutionner ce problème. A mon arrivée à la DEFCCS, afin d’asseoir un climat social apaisé, j’ai pris la décision de prolonger les titres d’exploitation en leur faisant payer une pénalité, afin de partir sur de nouvelles bases. Pour ce qui est de la réserve pour le charbon, il faut préciser qu’elle devait être répartie en tenant compte des critères de performance. Malheureusement, les indicateurs de performance n’ont pas été renseignés.

Autrement dit, il était impossible de dire qui était performant et qui ne l’était pas. Alors j’ai pris la décision de partager la réserve à tout le monde. Ensuite, constatant qu’il restait encore beaucoup de charbon sur le terrain, j’ai envoyé une mission sur le terrain pour essayer de comprendre comment on en était arrivé à cette situation, en essayant de déterminer les causes et les motivations profondes afin de mettre en place des mécanismes permettant d’éviter cette situation à l’avenir. C’est tout cela qui a sous-tendu la décision de considérer les quantités de charbon comme étant une partie des réelles possibilités des parcelles et de les réallouer aux ayants-droit c’est-à-dire aux producteurs locaux et aux organismes des exploitants forestiers. Les quantités de charbon sont exploitées moyennant le paiement de la redevance de 700 F le quintal. Cela correspond à des recettes pour les caisses de l’Etat.

La délivrance des permis de coupe a été aussi un réel problème dans la lutte contre la coupe abusive, parce que des élus locaux se permettaient même de délivrer des permis. Comment cette situation est-elle actuellement gérée par vos services ?

La délivrance de permis de charbon de bois est assujettie à la délivrance de constat de production, à l’acquittement de la redevance de 700 F/quintal et au paiement de la contribution de 200 F/sac au niveau local. Cela veut dire que les organes de gestion au niveau local sont impliqués en amont dans le processus de la délivrance des permis de coupe. Toutefois, il est à préciser que les élus locaux ne délivrent pas des permis de coupe. Il arrive parfois que pour les quantités allouées aux populations locales, certaines structures de gestion des forêts aménagées, parfois contrôlées par certains élus locaux, gardent les permis délivrés par le Service forestier et n’en font pas  une gestion saine.

Le Service forestier est en train de renforcer les capacités de ces néo-exploitants (producteurs locaux) aussi bien sur le plan technique qu’organisationnel. A travers cela, on cherche à instaurer la redevabilité (rendre-compte) et la transparence dans la gestion des titres d’exploitation pour plus d’équité dans la gestion des ressources forestières.

Le pillage des ressources forestières s’intensifie avec le trafic de bois au sud du pays. Quelles sont les dispositions prises pour remédier à cette situation ?

Pour juguler ce phénomène, les dispositions suivantes ont été prises par le Service forestier : la conduite d’opérations conjointes de ratissage avec l’Armée et la Gendarmerie ; La sensibilisation des populations et des élus locaux sur la nécessité de préserver les ressources forestières. Nous avons aussi essayé d’impliquer les collectivités locales, les populations et le privé dans la gestion durable des ressources forestières.

En plus de cela, d’autres actions sont envisagées. Qu’il suffise de citer : le renforcement de la coopération transfrontalière dans la lutte contre les trafics illégaux de produits forestiers en Casamance et l’intensification des concertations surtout entre les administrations du Sénégal et de la Gambie. Tous ces efforts doivent déboucher sur l’élaboration d’un protocole d’accord entre les deux pays pour la prise en charge de ces questions.

 Est-ce que ce n’est pas l’insécurité dans cette région qui justifie ce trafic intense ?

Absolument ! Il n’y a pas de doute possible sur cette question.

Le commerce de bois du Sénégal vers la Gambie a toujours été déploré. L’ancien ministre de l‘Environnement, Haidar El Aly avait même révélé la présence de Chinois et d’Indiens en Gambie, qui échangent le bois contre des motos. Est-ce que cette pratique est toujours en cours ?

Malheureusement oui. La Gambie passe pour être un grand exportateur de bois d’œuvre du fait du recyclage du bois exploité frauduleusement et provenant du Sénégal. Toutefois, il faut noter que cela est rendu possible par la complicité des populations locales sénégalaises qui se livrent à cette exploitation frauduleuse.

Les agents des Eaux et Forêts déplorent parfois un manque d’effectif pour couvrir toute la zone. Qu’est-ce qui est fait dans ce sens pour plus de sécurité afin de préserver nos ressources forestières ?

Les moyens humains et logistiques sont relativement limités. C’est pourquoi le gouvernement a procédé à un recrutement massif en 2013 d’agents techniques et de gardes forestiers. Nous venons aussi d’être informés d’un autre recrutement pour l’année 2015.

 Près de 45 000 ha de forêt sont perdus chaque année du fait de l’utilisation abusive du bois et du charbon. N’est-il pas temps de mettre un terme à cela, si l’on sait les conséquences de la déforestation ?

Le Rapport FRA de la FAO a estimé la régression des forêts à 45 000 ha sur la période 2000-2005 et à 40 000 ha/an pour 2005-2010. Cette perte est imputable pour 37,5% aux activités agricoles, 25% au charbon illégal, 25% aux feux violents et 12,5% aux carrières et mines. Donc, ce n’est pas la production de charbon de bois qui est la cause de la régression des forêts mais l’exploitation frauduleuse qui y contribue pour seulement 25%. D’ailleurs, cette méthode d’estimation me pose problème. Des études seront menées pour revoir d’ailleurs cette méthode d’estimation.

Quel est le rôle joué par vos services dans le cadre de la réalisation du Centre International de Conférence Abdou Diouf?

Le Service des Eaux et Forêts a joué un grand rôle dans l’aménagement paysager du site du CICAD à Diamniadio. En fait, l’aménagement paysager devait apporter de la valeur ajoutée à ce chef-d’œuvre qui est aujourd’hui une fierté pour notre pays. Monsieur le président de la République a particulièrement suivi cette activité et nous avions recueilli à chacune de ses visites de terrain ses avis pour parfaire la conception de l’aménagement. Il a voulu ainsi donner un signal fort pour qu’au-delà du pôle urbain de Diamniadio, l’environnement soit au cœur des villes nouvelles partout au Sénégal. Nos architectes doivent pour ainsi dire partir de la situation du site pour que l’arbre joue harmonieusement son rôle dans les aménagements urbains.

Quelle est la politique actuelle menée par le service forestier en matière d’aménagement forestier ?

La politique actuelle vise essentiellement à conserver le potentiel forestier par la gestion durable et à travers l’élaboration et la mise en œuvre de plans d’aménagement et de gestion participatifs des ressources forestières. Elle est conduite dans le souci de respecter les conventions internationales signées par l’Etat du Sénégal, respecter la loi sur la décentralisation, réduire la pauvreté.

Avec l’augmentation des superficies aménagées en partenariat avec les Collectivités locales, les populations riveraines des forêts aménagées, organisées en comités, s’adonnent à la production de charbon. Ce processus d’aménagement participatif des forêts a abouti, en 2008, à la domiciliation de l’exploitation de charbon de bois dans les zones aménagées et en 2010 à l’abandon de la répartition des quotas de charbon de bois aux organismes d’exploitants forestiers.

Cela s’est traduit par la mise en place d’un système décentralisé de l’allocation de la ressource forestière qui privilégie la négociation entre les structures locales de gestion des forêts aménagées (SLGF) et l’Union nationale des Coopératives d’exploitants forestiers (UNCEFS) pour l’octroi des parts à exploiter. Ensuite, l’évaluation des performances des acteurs est faite périodiquement pour décider d’une réallocation de la ressource forestière non encore exploitée.

Par Aliou Ngamby Ndiaye

 
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