Publié le 31 Jan 2017 - 14:55
BATHILY RECALE A LA PRESIDENCE DE LA COM DE L’UA

Une diplomatie à haut Déby

 

Le Pr Abdoulaye Bathily ne sera pas président de la Commission de l’Union africaine. A l’issue du vote, c’est le Tchadien  Moussa Faki Mahamat qui a été élu.

 

La Commission de l’Union africaine (UA) a eu un nouveau président depuis hier. Son nom n’est pas Abdoulaye Bathily, mais plutôt Moussa Faki Mahamat. Il s’agit du ministre tchadien des Affaires étrangères désormais successeur de la Sud-Africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma. Il a eu 39 voix sur 54 au septième tour, contre la finaliste malheureuse, son homologue du Kenya, Amina Mohammed. ‘’Je mesure la tâche qui est dorénavant la mienne  en tant que président de la Commission de l’Union africaine, a réagi Moussa Faki Mahamat à l’issue du vote. Je ne sais pas comment le vote s’est déroulé car je n’étais pas dans la salle, mais j’imagine que mon expérience, ma vision ont convaincu’’, déclare-t-il à Jeune Afrique. 

Ainsi donc, le Sénégalais n’a pas été élu. Il n’a même pas été finaliste, puisque éliminé après trois tours. De quoi gêner le ministère des Affaires étrangères qui, dans un communiqué, a fait un black out magistral sur la défaite de Bathily. Après avoir donné l’information, la diplomatie sénégalaise s’est limite à des formules d’usage : ‘’Le président de la République, son Excellence Monsieur Macky Sall, a félicité son homologue tchadien, son Excellence Monsieur Idriss Déby Itno’’. Point final ! Pourtant, le chef de l’Etat lui, a accepté d’aborder la question. Au micro de la RTS, Macky Sall dit avoir pris acte, non sans rappeler ce qui a été fait. ‘’Nous avons déployé pas mal d’efforts, nous avions visité 44 pays’’, déclare-t-il, sans plus de détails.

Reste à savoir pourquoi le candidat du Sénégal a été recalé. A défaut d’une analyse du ministère de tutelle, quelques pistes de réflexions commencent à être dégagées. Notamment l’élection du Pr Alpha Condé à la tête de l’organisation continentale. Le chef de l’Etat guinéen étant de l’Afrique de l’Ouest, il était peu probable que le président de la commission de l’UA soit lui aussi de la même sous-région. ‘’L'Union africaine  compte 5 régions. Il est inconcevable que l'une d'elles occupe les 2 postes les plus importants de l'organisation. La candidature du Pr Abdoulaye  Bathily (Sénégal) était compromise dès l'élection du Pr Alpha Condé (Guinée Conakry) Président en exercice de l'Union africaine’’, souligne l’ancien député Abdou Sané, dans une note de réaction parvenue à EnQuête.

Le renvoi de l’élection

L’ancien parlementaire soupçonne certains pays de la sous-région de n’avoir pas joué franc jeu, notamment le Mali et le Nigeria, compte tenu de l’engagement militaire du Tchad. ‘’D'aucuns s'attendaient par ailleurs à ce que certaines voix de pays membres de la CEDEAO  soutiennent le candidat tchadien pour entre autres motifs, la dette de sang consentie par son pays dans la lutte engagée contre Al Quaida et Boko Haram’’, renchérit M. Sané. Le Tchad avait engagé 2 000 soldats au Nord du Mali et a payé un lourd tribut, contre un contingent de 500 hommes pour le Sénégal.

Mais au-delà de toutes ces considérations et de l’échec personnel de l’universitaire, c’est plus la diplomatie sénégalaise qui a échoué. En effet, en mars 2016, lorsque la liste des candidats a été close, le nom du professeur n’y figurait pas. Mais avant le mois de juin, date de l’élection, le Sénégal s’est trouvé un candidat, en la personne de Bathily, forclos par conséquent. La diplomatie sénégalaise a dû manœuvrer pour le report de l’élection et la réouverture des candidatures. Une tentative réussie, puisqu’au bout de trois tours, près de 28 pays se sont abstenus alors qu’il ne restait que la candidate botswanaise, Pelonomi Venson-Moitoi.  Tout était donc à refaire.

Dès lors, une campagne sans relâche s’est engagée. L’Etat du Sénégal s’est impliqué jusqu’au plus haut niveau. Lors d’une conférence organisée à Dakar il y a quelques semaines, l’ancien Premier ministre Aminata Touré rassurait le public quant au soutien absolu des autorités, rappelant au passage que la bataille qui a abouti au renvoi du vote lors du sommet de Kigali n’a pas été facile.  ‘’Il fallait obtenir le report des élections. Le ministre des Affaires étrangères est devenu depuis lors votre directeur de campagne’’, déclarait-elle.

Des ministres et un avion spécial

Le ministre des Affaires étrangères viendra confirmer les dires de Mimi. "Nous avons déjà engagé sa campagne. Nous allons déployer des missions ministérielles pour faire la promotion de la candidature du professeur Abdoulaye Bathily", indiquait Mankeur Ndiaye. De lui, on avait alors appris que le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, a été dépêché au Congo, tandis que son collègue de l’Economie maritime, Oumar Guèye, était en Tunisie, sans compter d’autres ministres dont les identités n’ont pas été révélées. Eux aussi étaient en mission dans d’autres pays pour faire la promotion de la candidature sénégalaise à la commission de l’UA. Mieux, ajoutait Mankeur Ndiaye, le gouvernement sénégalais avait décidé de mettre à la disposition du professeur Bathily un avion spécial pour mener sa campagne.

Outre les ministres et l’avion mobilisés, Bathily avait un autre directeur de campagne de luxe : le Président Macky Sall lui-même. Son envoyée spéciale Aminata Touré a été la première à révéler son implication. Si l’on en croit l’ancienne première ministre, au sommet de Lomé sur la sécurité maritime, Macky Sall avait rencontré beaucoup de ses homologues à ce sujet. A Dakar, il a reçu Bathily pendant des heures pour la même raison. Il ne s’en est pas arrêté là. Le  chef de la diplomatie sénégalaise devait ‘’profiter de son voyage à Marrakech (Maroc), pour la 22ème conférence des parties sur le climat et au sommet de la Francophonie, à Madagascar, en fin novembre, pour faire la campagne auprès de ses pairs africains’’.

En définitive, le Sénégal n’avait pas lésiné sur les moyens pour la réussite de son candidat. Mais à l’arrivée, le Président tchadien est venu couper l’herbe au pied de Macky Sall. Peut-être le Déby de sa connexion vers les capitales africaines est-il plus élevé que celui de son homologue sénégalais.

BABACAR WILLANE

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