Publié le 23 Jul 2016 - 12:18
BILAN DES 22 ANS DE POUVOIR

La Gambie sous les pieds de Jammeh

 

Journalistes bâillonnés, opposants persécutés et même assassinés, restrictions des libertés publiques… Le tableau dressé par l’ONG article 19 dans un rapport publié hier et faisant le bilan des 22 ans de règne de Yahya Jammeh est plus que sombre. Un vent de révolte souffle à Banjul. Mais il est plus que jamais réprimé.

 

L’ONG article 19 a publié hier un rapport sur la situation politique en Gambie. Un document qui fait le bilan des 22 ans de règne de Yahya Jammeh. Selon le rapport, l’homme fort de Banjul ne cesse de persécuter son peuple depuis qu’il a renversé Dawda Kaïraba Jawara en 1994. L’arrivée de l’enfant de Kanilaï au pouvoir avait pourtant suscité un espoir chez une partie de la population, mais celle-ci sera très vite déçue. Dès sa première année, il a commencé à prendre des mesures allant dans le sens de la restriction des libertés publiques. Les journalistes sont parmi ceux qui ont payé un lourd tribut. Beaucoup d’entre eux ont été persécutés, emprisonnés, comme ce fut le cas de Sidia Jatta et Halifa Sallah, accusés d’avoir violé un décret militaire.

Mais il y a pire que ça. ‘’Le 16 décembre 2004, Deyda Hydara, journaliste fondateur du ‘’Point ‘’ et farouche opposant des lois répressives sur la presse, a été tué par balle. Douze (12) ans après, son meurtre reste impuni et non élucidé’’, souligne Article 19. De même, des médias ont été fermés. Cinq l’ont été définitivement, et 2 autres avaient subi le même sort avant d’être autorisés à nouveau. Ce qui fait que la Gambie n’est pas forcément un terrain propice pour l’exercice du journaliste. ‘’Dans une longue et rude offensive, le Président Jammeh a eu raison de la presse de son pays, où au moins cent (100) journalistes ont été contraints de fuir le pays, depuis 1994’’, regrette l’ONG.

Le sort des autres citoyens n’est guère plus enviable. Eux aussi sont victimes de la furie répressive de Jammeh, si l’on en croit le rapport. Guides religieux, hauts fonctionnaires, avocats, juges, familles innocentes, tout le monde victime, y compris des ‘’personnes décédées, dont il garde les dépouilles’’. Même les activistes et défenseurs des droits de l’Homme ne sont pas épargnés. Bref, la coercition s’étend ‘’à tous ceux qui tentent de jouer un rôle dans la vigueur et la pluralité de l’information et du débat public (…). Le régime  a choisi de les neutraliser avec la violence et la persécution judiciaire et extrajudiciaire pour réduire leur rôle’’.

Cette entreprise est facilitée, selon le rapport, par une justice aux ordres, avec des juges qui foulent au pied les règles et procédures requises en matière de procès. Une attitude des magistrats qui peut s’expliquer par les pouvoirs que le chef de l’Exécutif a sur eux. ‘’Le Président nomme et renvoie sans explication les juges en totale violation de la loi et du principe de la séparation des pouvoirs, sans avis du Conseil de la Magistrature (Judicial Service Commission)’’, s’indigne-t-on. Ce système répressif est renforcé par l’Agence nationale de renseignement (Nia) qui, d’après le document, se substitue à la justice. Ainsi, elle procède à des arrestations arbitraires sans inculpation tout en torturant et en gardant les citoyens détenus dans des lieux hors centres de détention officiels,  au-delà des délais prévus par la loi.

Opposants qualifiés de vermines à enterrer 9 pieds sur terre

Mais les opposants sont sans doute la catégorie qui a payé le plus lourd tribut. Non seulement tout est mis en œuvre pour les priver de ce que leur permettent la Constitution et les traités internationaux, mais ils payent aussi leur choix par leur personne. Le dernier cas est la mort en détention de l’opposant Ebrima Solo Sandeng, arrêté et ‘’torturé’’ suite à des manifestations jugées illégales. ‘’A ce jour, la famille ignore si une autopsie a été réalisée, s’il a été enterré et où. Aucune information officielle venant du gouvernement ne leur est parvenue à ce jour’’, s’offusquent les défenseurs des droits humains. Cet acte est en parfaite adéquation avec le discours de Jammeh qui a qualifié récemment ses opposants de “vermines” qu’il  ‘’enterrera 9 pieds sous terre”.

D’ailleurs, le rapport rappelle que lors d’une interview accordée à Jeune Afrique (28 mai dernier) après le décès de l’opposant Sandeng, Yahya Jammeh ‘’trouve normale la mort ‘’en détention ou durant des interrogatoires’’   et envoie ‘’en enfer’’ le Secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon et Amnesty International et ceux qui réclament l’ouverture d’une enquête, pour la mort ‘’d’un seul homme’’.

‘’Il y a donc de grands risques que la violence ne se limite pas à ce niveau’’, puisque, si l’on en croit le document, Jammeh a récemment menacé de tuer ‘’tous les Mandingues, un à un, comme des mouches’’, c’est-à-dire les membres de l’ethnie de son principal opposant Ousainu Darboe. Une déclaration qui a suscité l’inquiétude des Nations unies sur un ‘’dangereux précédent’’ qui peut aboutir à un ‘’génocide’’.

Face à la détermination du pouvoir et aux condamnations internationales sans effet, des initiatives ont lieu de plus en plus allant dans le sens de braver les interdits. L’exemple le plus emblématique reste l’envahissement, lors d’un procès, de la Haute cour de Banjul, malgré un fort dispositif policier. Une attitude qui n’a fait qu’accentuer la répression.

Par ailleurs, en dehors de la violence physique, le rapport note toutes sortes de restrictions, notamment pour les élections. C’est ainsi qu’une batterie de mesures a été prises allant de le sens de réduire au maximum les Gambiens pouvant voter ou briguer les suffrages de leurs concitoyens. Ainsi, le 7 juin 2015, l’Assemblée nationale a voté une loi sur la réforme électorale  promulguée deux semaines plus tard. Le code a connu ‘’des réformes très limitatives’’.

‘’L’espace démocratique  gambien continue d’être plus restreint’’

En guise d’exemple, les prétendants au pouvoir doivent débourser des sommes considérables pour leur acte de candidature. ‘’La loi modifie l’article 43 (1) de la loi électorale de 2001, et augmente de plus de 50 fois  le montant de la caution exigée des candidats à l’élection présidentielle. Celle-ci est maintenant égale à 500 000 Dalasis (12 500 $)  contre  10 000 Dalasis (229$) lors des dernières élections. Les candidats aux élections législatives sont tenus de payer  50 000 Dalasis ($1150) contre 5000 Dalasis (115$)’’, révèle l’ONG Article 19. Et pour ne laisser aucune porte à ses adversaires, Jammeh a décidé de durcir les conditions de remboursement de la caution. Ainsi, il faut avoir 40% des votes à l’élection présidentielle pour recouvrer son argent, contre 20% pour les scrutins municipaux et parlementaires.

Même les frais de renouvellement d’une carte d’électeur en cas de perte ont été à 100 Dalasis. Ce qui pourrait être un argument dissuasif contre les Gambiens à la bourse modeste. Autrement dit, cette mesure peut avoir des conséquences sur le taux de participation aux élections. D’où les préoccupations de Article 19. ‘’À la veille de la présidentielle prévue le 1er décembre 2016, l'espace démocratique  gambien, au lieu d'être élargi, continue d’être plus restreint, laissant présager un avenir sombre et incertain sur le déroulement et l’issue des élections’’, fustige-t-on.

En résumé, la situation politique et celle des droits humains restent sombre en Gambie, si l’on se fie au rapport. Or, les Gambiens ne sont pas encore au bout du tunnel, car Jammeh a toute la latitude de rester encore au pouvoir, puisque la loi fondamentale ne prévoit pas une limitation des mandats.  ‘’Agé de 51 ans, le Président Jammeh peut donc rester à la tête du pays jusqu’en 2030 au moins, quand il aura 65 ans, la limite d’âge prévue par l’article 62 (1 b) de la Constitution’’, constatent presque impuissants les rédacteurs. De quoi inviter la communauté internationale à plus de pressions pour que cessent les restrictions, qu’elles soient politiques ou de tous autres ordres. 

BABACAR WILLANE

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