Publié le 25 Mar 2017 - 22:59
BILAN ÉCONOMIQUE

La note salée décernée par Demba M. Dembélé et Ahmed Lamine Sadji

 

Si les économistes Demba Moussa Dembélé et Ahmed Lamine Sadji devaient décerner une note au président de la République Macky Sall après 5 ans, certainement il n’aurait pas la moyenne. Sur le plan économique, le président de l’Arcade, Demba Moussa Dembélé, juge que le bilan est ‘’très maigre’’, alors que  M. Sadji voit une ‘’économie qui est encore hésitante’’. A leurs yeux, les PME-PMI, les seules à même de créer de la valeur ajoutée, sont délaissées au profit de grandes entreprises entre des mains étrangères.

 

Cinq ans ! Si le président de la République Macky Sall avait respecté sa promesse de faire un premier mandat de 5 ans, à cette date, il serait élu pour un second mandat.  Ou bien, le Sénégal aurait eu un autre chef d’Etat. Mais Macky Sall va finalement faire un septennat. Après 5 ans d’exercice, quel bilan économique pour le régime actuel ? À cette interrogation, l’économiste Demba Moussa Dembélé répond : ‘’Le bilan économique, malgré les discours, est très maigre’’. D’ailleurs, le président de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade) est d’avis que c’est pour cette raison que le chef de l’Etat Macky Sall n’a pas respecté sa promesse de faire 5 ans. ‘’Il savait que s’il respectait sa parole, son bilan serait très maigre. Même dans deux ans, ça m’étonnerait qu’il ait un bilan, à moins qu’il dise qu’il y a des travaux qui ont été achevés, alors qu’ils ne le sont pas’’, note M. Dembélé.

Contrairement à Demba Moussa Dembélé, Ahmed Lamine Sadji, économiste consultant, souligne qu’il y a ‘’une stabilité d’un point de vue économique’’. Mais cela, dit-il, ne veut pas dire avancement. La stabilité, M. Sadji la retrouve dans le fait que le régime actuel ‘’a joué la carte de l’assainissement de la situation économique’’. Toutefois, le regret de Ahmed Lamine Sadji est que le Sénégal est actuellement ‘’dans une économie très hésitante’’ avec un Plan Sénégal émergent (PSE) qui, dit-il, ‘’n’est pas innovant’’, dans la mesure où ‘’l’essentiel de ce qu’on avait dans le document de la SCA (Stratégie de croissance accélérée), c’est ça que j’ai trouvé personnellement dans le PSE rajouté à la SNDES (Stratégie nationale de développement économique et sociale)’’. ‘’D’un point de vue document, c’est la même chose. Du point de vue sensibilisation et engouement, le PSE a réussi ce que la SCA n’avait pas réussi. D’un point de vue management et coaching, le PSE est en train de faire des choses’’, reconnaît-il.

‘’A qui profite la croissance ?’’

Pourtant, depuis 2012, le taux de croissance du PIB est sur une pente ascendante avec 3,5% en 2012, 3,6% en 2013, 4,7% en 2014. En 2015, elle était à 6,5% et a atteint 6,7% l’année suivante. Dans un entretien accordé au Journal de l’économie sénégalaise, lejecos, le ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, Amadou Ba, se réjouissait de la bonne tenue de l’économie sénégalaise. La preuve, renseigne le ministre, pour la première fois depuis 1980, le Sénégal a enregistré un taux de croissance de plus de 6%, deux années consécutives. Cela, se réjouit-il, ‘’constitue un bon signal dans notre marche vers l’émergence économique’’. Si le gouvernement avance des chiffres avec une bonne croissance, Demba Moussa Dembélé constate que cela ne se reflète pas dans la lutte contre le chômage des jeunes ou les conditions de vie des Sénégalais. Donc à qui profite cette croissance ? se demande le président de l’Arcade.

La croissance qui est produite est sénégalaise, mais elle ne profite pas au Sénégal, répond l’économiste Ahmed Lamine Sadji. Pour lui, la croissance ‘’est essentiellement basée sur ce que produisent les grandes entreprises’’. Or ces dernières, pour la plupart, sont des sociétés étrangères. ‘’On génère des revenus, de la croissance, mais cette croissance ne profite pas en majorité au peuple sénégalais, mais aux possesseurs de capitaux étrangers. Il y a une infime minorité dans ce pays qui profite de ce taux de croissance’’, dit Demba Moussa Dembélé. Face à la tyrannie des chiffres véhiculés par-ci et par-là par les membres du gouvernement, Ahmed Lamine Sadji les invite à éviter ‘’l’effet chiffre et l’effet parole’’, car à son avis, ‘’on a dépassé l’époque où on balance des chiffres’’ sans fondement.

Flou sur la ‘’croissance profitable’’

D’après l’économiste, les points de croissance qu’on évoque dans ce pays sont des chiffres erronés, car ils n’incluent pas les petites et micro-entreprises qui portent ‘’l’essentiel de l’économie sénégalaise’’. ‘’Il n’y a pas, jusqu’à présent, une organisation qui permette de prendre en compte la valeur ajoutée dégagée par ce secteur constitué de petites et micro-entreprises qui sont dans divers domaines : le commerce, l’artisanat, le transport, la transformation agricole. C’est ça la croissance profitable du Sénégal’’, explique M. Sadji. Et pourtant, la question de la formalisation des petites et moyennes entreprises constitue une des réformes phares du Plan Sénégal émergent. A ce propos, Ahmed Lamine Sadji, Consultant principal au Cabinet d’expertise pour le développement des petites, moyennes et micro-entreprises informe que si le gouvernement arrive à formaliser ces milliers de PME et PMI, dans le long terme, il va beaucoup gagner en termes d’impôts et de taxes. L’économie sénégalaise va aussi beaucoup y gagner avec une ‘’croissance profitable’’.

Un avis largement partagé par Demba Moussa Dembélé. Selon le président de l’Arcade, seules les PME-PMI peuvent créer de la valeur ajoutée. Or, il constate qu’au lieu d’aider ces petites et moyennes entreprises, l’’Etat du Sénégal les plombe davantage en leur faisant exécuter des travaux sans les payer. ‘’Si on n’aide pas ces PME-PMI, on ne peut pas se développer. Malgré le slogan d’émergence, on ne fait rien pour que les entreprises sénégalaises émergent’’,  déplore l’économiste.

Patriotisme économique

Sur un autre registre, la problématique des PME-PMI repose la question du patriotisme économique. De l’avis de Demba Moussa Dembélé, tous les grands chantiers du PSE sont confiés à des entreprises étrangères. Une ‘’contradiction flagrante’’ avec l’émergence tant chantée par le gouvernement, note M. Dembélé. ‘’L’émergence, ce n’est pas de faire construire son pays par des entreprises étrangères, mais c’est de travailler à ce qu’il y ait des entreprises nationales qui soient capables de faire des ponts, des infrastructures’’, souligne-t-il. D’après le président de l’Arcade, ce qui se fait au Sénégal est ce qu’on appelle dans le jargon économique la ‘’bourgeoisie compradore’’, c’est-à-dire qu’on sert juste de courroie de transmission à la bourgeoisie internationale. ‘’La bourgeoisie compradore n’essaie pas de construire un socle national, c’est-à-dire une économie nationale indépendante à partir de ses capitaux, mais plutôt elle sert d’intermédiaire à ceux qui ont des capitaux étrangers’’, explique-t-il. En effet, le peu que l’Etat du Sénégal gagne en confiant tous ces projets à des entreprises étrangères constitue les emplois temporels qui sont créés.

En outre, le président de la République, Macky Sall, candidat à la présidentielle de 2012, avait promis de créer 500 000 emplois pour son premier septennat. Mais la remarque de Demba Moussa Dembélé est que ‘’le gouvernement n’en parle plus’’, parce qu’il est même ‘’incapable’’ de dire combien d’emplois ont été créés en 5 ans, hormis les quelques jeunes recrutés dans la Fonction publique. Pourtant, le Sénégal peut bien créer 500 000 emplois sur 5 ans, croit fermement Ahmed Lamine Sadji. Pour y arriver, le consultant indique que le gouvernement peut se baser sur les PME-PMI pour régler le problème de l’employabilité des jeunes. ‘’Si on accepte de mettre les moyens qu’il faut pour accompagner les PME-PMI, d’ici 2019, on peut commencer à compter les emplois’’, dit-il.

L’autosuffisance en riz en 2017 ratée

En plus de l’emploi des jeunes, le gouvernement n’a pas aussi respecté sa promesse d’autosuffisance en riz en 2017. Pourtant, c’est le chef de l’Etat, Macky Sall lui-même, qui avait promis, lors d’une tournée économique dans la vallée, que le Sénégal serait autonome en riz à cette date. Ainsi, il avait décrété l’importation de 0 kg en 2017. La preuve que le Sénégal est loin d’atteindre cette autosuffisance, dès le début de l’année 2017, des perturbations ont été notées sur le marché du riz. La raison : l’Inde qui est le principal pays pourvoyeur de riz brisé au Sénégal était dans une phase de récolte. ‘’Cet exemple donne une idée de la légèreté des proclamations par-ci et par-là non seulement du Président mais de son ministre de l’Économie, de celui de l’Agriculture, ainsi de suite. Quand ils sont devant la télévision, ils disent ce qu’ils veulent pour faire croire qu’ils sont en train de travailler. Mais quand la réalité les rattrape, on change de discours’’, cogne Demba Moussa Dembélé.

Le Sénégal n’est pas autonome en riz, et à côté, la plupart des denrées de première nécessité sont importées. Ainsi, la balance commerciale reste toujours déficitaire. Mais ce qui fait peur le plus à l’économiste Ahmed Lamine Sadji, c’est la surtaxe sur les produits. D’ailleurs, informe-t-il, cette surtaxe a des répercussions sur la tension sociale, avec des produits qui coûtent excessivement chers comparé à ce qui se fait dans les autres pays de la sous-région. ‘’Nous sommes dans une phase où, si on n’y prend garde, on sera l’un des pays les plus chers au monde. En tant que pays sous-développé, le Sénégal est excessivement cher. Allez n’importe où dans la sous-région, dans les autres pays africains, vous vivrez beaucoup mieux avec les mêmes ressources financières que vous avez au Sénégal’’, alerte M. Sadji.

‘’Mauvaise gouvernance’’

L’économiste Demba Moussa Dembélé constate que non seulement le gouvernement est passé à côté sur le plan économique, pendant ce quinquennat, mais sur le plan de la gouvernance, le chef de l’Etat n’est plus sur sa dynamique de départ. À la place de la ‘’gouvernance sobre et vertueuse’’ qui était le créneau de Macky Sall candidat à la présidentielle de 2012, M. Dembélé voit une ‘’gouvernance nauséabonde’’ ou la ‘’concussion et la corruption ont pris le dessus’’. Demba Moussa Dembélé en veut pour preuve les conditions dans lesquelles les contrats sur les ressources pétrolières et gazières ont été signés où on accuse le frère du chef de l’Etat, Aliou Sall, par ailleurs maire de Guédiawaye, d’être impliqué. ‘’Quand on met sa famille dans une prétendue affaire de pétrole et de gaz, on ne peut pas prétendre avoir une gouvernance sobre et vertueuse.

Quand on dit qu’on a mis le coude sur certains rapports qui épinglent des membres de son parti, on ne peut pas parler de rupture’’, fustige-t-il. En plus, Demba Moussa Dembélé rappelle, sur la même lancée, qu’on ne peut pas parler de gouvernance et à côté, on crée des institutions inutiles et budgétivores. La preuve, indique-t-il, par le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) dirigé par le secrétaire général du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng, ou le ‘’fromage de Djibo Ka’’, la Commission nationale du dialogue des Territoires (CNDT). ‘’Tout cela n’a rien de bonne gouvernance. C’est une gouvernance catastrophique pour le pays. On dépense de l’argent pour caser des amis politiques’’, regrette le directeur du Forum africain des alternatives.

Pourtant, au moment où des institutions budgétivores sont créées par-ci et par-là, avec chacune une caisse noire, le Sénégal ne dispose plus d’appareil de radiothérapie. Le seul qui existait dans le pays et qui se trouvait à l’hôpital Aristide Le Dantec est  en panne. Ce qui, selon lui, ne rime pas avec émergence. ‘’Ce quinquennat qu’on présente comme celui de la rupture, au contraire, a aggravé les problèmes de ce pays : chômage, santé, conditions de vie des populations, corruption à une échelle précédente, éloge de la transhumance pour attirer des gens sales. On utilise le palais comme le siège de l’APR, ce qu’on reprochait toujours à Abdoulaye Wade’’, conclut Demba Moussa Dembélé. 

ALIOU NGAMBY NDIAYE

Section: