Publié le 28 Feb 2018 - 21:02
BONGA - ARTISTE ANGOLAIS

‘’La musique traditionnelle africaine est ma clé de réussite’’

 

Ecouter José Adelino Barcelo de Carvalho alias ‘’Bonga’’ parler, est un pur régal. Même si sa voix est très différente de celle qu’on entend dans ses chansons. On se demande où sont les éraillements. Sa voix rauque disparaît comme par magie. Mais sa bonne humeur reste, celle avec laquelle il sait si bien drainer les foules, comme il l’a dit lors d’une rencontre avec la presse à l’Institut français de Dakar. Taquin, il plaisante sur tout. Les sujets les plus graves comme la situation de son Angola natale qu’il a fuie à ses 23 ans. Il en parle avec beaucoup d’ironie. A 75 ans, 31 albums, plus de 400 chansons et 45 années de vie sur scène, Bonga, ancien champion du monde de 400 m, est l’une des légendes de la musique africaine, même s’il vit outre-Manche. Il était à Dakar, dans le cadre du festival à Sahel ouvert.

 

Débuts dans la musique

‘’Ce n’est pas la première fois que je viens au Sénégal et cela me fait plaisir de revenir ici. Au début, les musiciens africains n’étaient pas pris au sérieux. Quand je dis cela, je fais référence à la famille africaine même. Ma mère me téléphonait et me demandait ce que je faisais dans la vie. Quand je lui répondais que je chantais, elle me disait : ‘’Ah bon ? Et tu arrives à vivre avec ce métier ?’’ Je lui disais oui, c’est une profession. Il fallait après essayer d’expliquer tout le travail qu’on avait à faire, tous les arrangements musicaux et autres. Des chansons ont été discriminées, à l’époque coloniale. Il y avait, à coté, les assimilés à la culture européenne et d’autres cultures étrangères. Quand on se rend compte qu’on contribue à renforcer notre identité et préserver l’œuvre des ancêtres qui ne sont plus là, mais qui nous ont légué des choses fabuleuses, merveilleuses, j’ai le sentiment de participer à cette œuvre immense qui est l’humanité. Je suis l’enfant d’un monsieur qui jouait de l’accordéon ne serait-ce que pour nous amuser quand on était enfants. Mais quand on reconsidère cela, l’on se rend compte qu’il a pu réussir une grande chose, puisqu’il a donné à ses enfants le goût de la musique. C’est vrai qu’en Afrique on pourrait ne pas bien apprécier cela, puisqu’on danse tous, on chante tous. Et c’est 20 ans après qu’on s’est rendu compte que ce père ne s’amusait pas, il jouait un rythme.’’

La clé de sa réussite

‘’Aujourd’hui, la clé de mon succès est la tradition. Il y a le ‘’batouk’’, le ‘’ngoma’’, la ‘’dikanza’’ (instrument emblématique du ‘’semba’’) que j’amène toujours avec moi. Il faut insister sur la ‘’marimba’’, le ‘’wongo’’. Ces instruments nous appartiennent, nous les Africains. Il nous faut les mettre en évidence. A chaque fois que je joue, c’est cette fièvre et ce rythme africains qui m’animent. Avant c’était péjoratif. Les gens ne voulaient pas jouer ces rythmes. Quand j’ai décidé de faire de la musique, je trouvais que mon nom à l’état civil n’avait rien à voir avec le rythme et la musique que je fais. J’ai alors décidé de changer de patronyme.

C’est ainsi que je me suis rebaptisé ‘Bonga Cuenda’. Cela va avec mon rythme. C’est du ‘’kibundu bantu’’, c’est de la région du nord de la capitale angolaise, Luanda. Je suis de la brousse, mais cela n’a rien à voir avec ce choix. Je pouvais être dans le centre de Luanda et cela n’aurait rien changé. Et dans mes chansons, ce que je mets en avant est l’aspect social de l’Afrique. Ici, la notion de famille est large. Ce ne sont pas que tes frères et sœurs qui constituent ta famille. Quand tu fais quelque chose qu’il ne faut pas, l’ainé peut te tirer les oreilles. En Europe, tu tires les oreilles d’un enfant, on te met en taule. Ce sont ces aspects que je montre, dans mes chansons. Même si je vis et que je suis toujours loin de l’Afrique et de l’Angola, j’amène malgré tout partout ce qui me lie à cette terre. C’est ma terre natale. Et je résiste, même si je suis de l’autre côté. Cette résistance que les Américains appellent le ‘’blues’’.’’

Conditions de travail

‘’Les gens de ma génération ont compris très tôt qu’il leur fallait fabriquer eux-mêmes leurs instruments. On n’avait pas d’argent pour en acheter. Il nous fallait le tam-tam qui est la base de cette musique ‘’semba’’. Ce n’est pas la ‘’samba’’, mais le ‘’semba’’ qui est un parent de la ‘’samba’’. J’ai constaté cela lors d’un voyage à Salvador de Bahia. J’ai eu à enregistrer avec des artistes brésiliens à cette occasion, dont Carlos Brown, Marisa Monte. Mon histoire est celle de toute une vie. J’ai 75 ans (Ndlr : il parait en avoir moins physiquement) et j’ai toujours vécu avec la musique, avec les parents, les voisins, les amis. Un artiste qui chante est plus important que tous les présidents, les politiciens.

Ce qu’ils disent retentit à l’intérieur de chacun de nous. Moi, quand je suis sur scène, je cherche à faire plaisir. Dès que je monte, je veux de suite faire la fête. Certains ne comprenant rien à mes chansons, disaient : ‘’Non, je ne l’écoute pas parce qu’il fait de la politique.’’ Donc, quand je suis sur scène, j’essaie d’offrir des moments spéciaux, en poussant les gens à échanger entre eux et leur offrir des sons différents de ceux qu’ils entendent tous les jours. Et ils aiment cela à tous les coups. Ma musique est faite pour toutes les catégories d’âge. La musique, ce n’est pas du bruit. Pour moi, le spectacle, c’est quand on est tous ensemble et qu’on danse.’’

Ses rapports avec l’Angola 

‘’En Angola, aujourd’hui, on écoute les chansons de Bonga, celle des années 1970 à aujourd’hui. C’est normal. On m’a appelé pour intégrer des partis et j’ai dit non, parce que quand je chantais, c’était pour tous les Angolais en particulier et les tous les Africains en général. En Angola, nous avons eu un dictateur, Jose Eduardo dos Santos. Il  est resté pendant longtemps à la tête du pays, avec tous les aspects négatifs d’une dictature. On a construit des bâtiments à Luanda où personne n’habite. On peut dire que cela a été juste fait pour que les autres voient cela. On ne peut pas se permettre de construire de telles maisons, alors qu’on n’a même pas d’eau potable, qu’on manque d’hôpitaux, etc. Mais l’Angola est tout de même une jolie dame qui a du diamant, du pétrole, beaucoup d’argent, mais il y a des gens qui la pillent. Ils sont tous très connus et je ne vais pas les nommer. Il y a des gens qui y sont venus pour tout lui prendre. Ils ne sont pas les seuls responsables de ce paysage.

Les Angolais sont également coupables. Je ne veux pas m’étaler sur ce partage du gâteau. Le plus important est le souhait que j’ai pour ce pays. Je veux une Angola beaucoup plus juste. Il y a des gens qui jouent sur la carte de la division pour mieux régner. Cela leur permet de se remplir les poches. Et c’est très dur à supporter cette situation. A une certaine époque, on m’identifiait comme un chanteur engagé. Mon cœur bat pour ce pays dont je reste lié. Le problème de l’Angola, qui est celui de l’Afrique en général, est que les systèmes ne sont pas bons. Comment se fait-il que nos sols, sous-sols soient riches et qu’on n’arrive pas à se développer ? Comment se fait-il qu’on ait des gens merveilleux comme Nkrumah, Nelson Mandela, Lumumba, Amical Cabral, etc., et qu’on en soit encore là ? Et quand on a des gens comme ça, dès qu’ils commencent à dire des choses pour la liberté, le progrès, on les tue. Ce sont leurs frères africains qui les tuent. C’est une grosse bétise. Il faut qu’on soit tous dans le sens du progrès.

Ce n’est pas illusoire. Les politiques ont le grand défaut de beaucoup parler et de ne réaliser que peu de choses. Cette situation est très dure à supporter. Ce qui est le plus dommage est que quand ils parlent dans les médias, la plupart de la population ne comprend pas ce qu’ils disent. Ils parlent le portugais du Portugal. Dans mes chansons, par exemple, vous y entendrez de l’argot portugais. C’est ce que la majorité comprend. Je vais continuer à parler de l’Angola dans mes chansons. De l’extérieur, je parle, dans mes chansons, de choses qui devraient être les premières préoccupations des gouvernants. L’Angola suit son rythme doucement.’’

BIGUE BOB

 

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