Publié le 2 Jan 2013 - 21:43
BOURSES FAMILIALES DU YONOU YOKOUTÉ

 De l’approche assistancielle à l’autonomisation des pauvres ?

 

 

Au Sénégal, 20% de la population la plus riche partage 48% de la richesse nationale et les 20% les plus pauvres n’ont que 7% de cette richesse (ANSD). Ces 20% qui sont les plus pauvres représentent un peu plus des 250 000 familles visées par le programme de bourse sociale de 100 000F par famille et par an proposé par le Président Macky Sall, et qui va toucher 50 000 familles par an et cela pendant cinq ans.

 

 

Cette démarche renvoie à l’approche assistancielle et ne permettra pas aux familles de sortir de la pauvreté, car comme c’est le cas des demandeurs d’empois, chaque année, du fait de la croissance démographique, il y aura de nouveaux pauvres qui vont s’adjoindre au stock existant. C’est cela qui explique que malgré la baisse relative de la pauvreté au Sénégal, le nombre absolu de pauvres a augmenté. En effet, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD, 2012) le taux de pauvreté au Sénégal est passé de et 55,2% en 2001 à 48,3% en 2005 et enfin, à 46,7% en 2011. Pour la même période, le nombre de pauvres a augmenté de 11%. En passant de 5 746 837 en 2005 à 6 367 733 habitants en 2011.

 

Cette situation lourde de tensions est la conséquence des politiques sociales inopérantes. Or au Sénégal comme partout ailleurs, la misère doit être contenue en dessous d’un seuil tolérable sous peine de révoltes pouvant conduire à des révolutions. C’est ce qu’avait compris Lord Bismarck, initiateur des premières mesures de politiques sociales, au 18e siècle, dans une Allemagne capitaliste. Le but visé était d’atténuer les conditions sociales des plus pauvres pour juguler les révoltes inévitables. Même aux États-Unis, où l'idée d'un État providence (Welfare state) est restée longtemps étrangère à la mentalité américaine, Barack Obama a compris l’enjeu d’un Etat social.

 

Les politiques sociales visent à assurer une redistribution et une protection sociale, principalement par des transferts sociaux et des services en vue de corriger et combattre les inégalités produites par le marché. Dans ce cadre d'interprétation, l'État garantit plus qu'un minimum de bien être et de sécurité économique; il engage l'exercice de droits sociaux. Ainsi, les politiques sociales servent plusieurs objectifs en même temps : la réduction des tensions sociales, l’amélioration des conditions de vie et le développement économique et social.

 

Au Sénégal, depuis l'indépendance, la politique sociale est restée de type résiduel et les risques sont pris en charge essentiellement par la famille. Le système de protection sociale minimal mis en place ne concerne que les salariés et le service d'assistance destiné aux populations urbaines non salariées s’est amenuisé d’année en année. Pour le monde rural, il n’y a ni protection ni politique d'assistance. Cette politique de type résiduel renvoie à la communauté la prise en charge des problèmes sociaux de ses membres. Aujourd’hui, la communauté est à bout de souffle. C’est ce qu’a compris certainement le Président Macky Sall, et qui l’a a amené à poser deux actes : les bourses familiales et la couverture maladie universelle ; mais ce n’est pas suffisant.

 

Pour les professionnels du travail social, la politique assistancielle a toujours été inopérante. Il s’agit pour eux de privilégier l’autonomisation des pauvres, avec comme cadre d’intervention la famille et l’implication de la communauté pour amener les populations à produire de manière satisfaisante les conditions de leur existence. L’approche d’autonomisation permettra de réduire chaque année le stock de pauvres. Il s’agit alors de mettre à la disposition des populations, les moyens leur permettant de briser le cercle vicieux de la reproduction sociale de la pauvreté. Ainsi, en plus d’une bourse familiale plus conséquente et la protection maladie, l’accès aux programmes de crédit pour l’investissement dans des activités génératrices de revenus ouvrira chaque année les portes de l’autonomie économique à un nombre conséquent de personnes qui sortiront ainsi de la pauvreté. Pour ce faire l’appui aux familles concernées devrait s’accompagner par l’encadrement de professionnels du travail social et être sous-tendue par un contrat social : celui du suivi des études des enfants car l’éducation est le premier moyen pour briser la reproduction sociale de la pauvreté. Ensuite le suivi de la santé des enfants, car le seul acte de vaccination constitue une assurance contre des maladies invalidantes et à vie.

 

Utiliser la famille comme cadre d’intervention permet à la fois de prendre en charge les enfants, les personnes âgées et les personnes vivant avec un handicap, en maximisant les opportunités de venir à bout des problèmes qui sont souvent inter-reliées. D‘ailleurs généralement, ce sont dans les familles pauvres que l’on retrouve la concentration des problèmes. Cette démarche a un avantage comparatif par rapport à une approche sectorielle (enfance, personnes âgées, personnes avec handicap etc.) tendant à considérer chaque catégorie comme un ensemble isolé.

 

Ainsi grâce à l’action volontariste de l’Etat de soutenir ceux qui sont au bas de l’échelle et qui ont besoin d’une main tendue et grâce à leur intégration dans des programmes économiques structurants, le Sénégal pourrait au même titre que des pays comme la Chine, voir une réduction continue de la pauvreté et s’inscrire sur la voie de l’émergence. Dans cette perspective, l’intervention sociale peut être considérée comme un investissement pour le court et le long terme. Sur le court terme, elle permet de juguler les révoltes sociales et sur le long terme, elle aide à la capacitation des acteurs pour une meilleure contribution à la création de richesse et au développement économique et social de notre pays. Le Président Macky Sall a montré une volonté politique, il reste maintenant, pour donner corps au projet à maximiser les chances de succès, à définir les modalités et pour cela la réflexion doit se poursuivre.

 

Fatou SARR

Chercheure à l’IFAN

 

 

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