Publié le 3 Dec 2014 - 01:13
BOYCOTT DU SOMMET DE LA FRANCOPHONIE

Wade le grand perdant ?

 

La non-présence de l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade au 15e sommet de la francophonie divise la classe politique. Si certains pensent qu’il n’a pas fait preuve d’homme d’Etat, d’autres, par contre, estiment  que c’est le contraire qui aurait surpris.

 

Bien qu’Aboulaye Wade ait décliné l’invitation à lui faite par son prédécesseur Macky Sall, son  ombre  aura plané sur le 15e sommet de la francophonie. Alors qu’Abdou Diouf, secrétaire général de la francophonie sortant, était célébré et honoré par ses pairs grâce à sa ‘’sagesse’’, certains  observateurs n’ont pas manqué de s’interroger  sur la pertinence du boycott du pape du Sopi à la cérémonie d’ouverture.  

Au regard du succès qu’a connu le sommet, Me Wade, qui a promis de ‘’détruire la famille de Macky Sall’’, n’est-il pas finalement le grand perdant dans ce bras de fer avec l’actuel chef de l’Etat ? Moussa Touré, ancien ministre de l’Economie, répond par l’affirmative. Pour lui, Me Wade ‘’a tout faux’’ de ne pas répondre à l’invite de son prédécesseur. ‘’J’ai toujours dit qu’un homme d’Etat n’est pas un statut, mais une stature ; ce n’est pas un poste, mais une posture. Une manière d’être, de faire’’, décrit le leader de Citoyens pour l'Ethique et la Transparence / Jariñ Sama Reew (CET/ Jariñ Sama Reew).

Ce dernier estime que quelles que soient les vicissitudes du moment, Wade devait faire preuve de grandeur en assistant au sommet. ‘’Bien que son fils (Karim) soit en prison, dit M. Touré,  il (Wade) doit savoir qu’il a été chef de l’Etat. Il a beaucoup fait pour ce pays. Le Wade de 2014 n’est pas celui de 1974‘’ où il était opposant. Car, poursuit l’ancien candidat déclaré à la présidentielle de 2012, au-delà de Macky Sall, Me Wade aurait dû mettre en avant l’intérêt du pays (le Sénégal)’

‘’Diouf avait une occasion en or pour réconcilier Wade et Macky’’

En écho, le député de la majorité, Zator Mbaye, estime que Me Wade a ‘’raté le coche’’ en boycottant le sommet sous prétexte que son fils est en prison. ‘’Macky Sall ne l’a pas invité en tant que père de Karim, mais en tant qu’ancien chef de l’Etat’’, précise le parlementaire de l’Alliance des forces de progrès (AFP). Et à ce titre, poursuit-il, Wade devait accepter l’invitation qui lui a été adressée. ‘’Malheureusement, se désole-t-il, il ne va plus rattraper son erreur.’’

 Pape Maël Thiam, manager de l’Alliance pour la République (APR), lui, s’est montré plus critique puisque, dit-il, Me Wade n’a pas fait ‘’preuve d’amour’’ pour son pays. ‘’Il a privé les Sénégalais de l’occasion de voir ses  3 chefs d’Etat assis côte à côte au sommet’’, regrette M. Thiam. Or, poursuit-il, en lui adressant une invitation, ‘’Macky Sall a voulu démontrer qu’il était au-dessus des clivages politiques’’

 A l’instar de Zator, le manager de l’APR est d’avis que les raisons avancées par l’ancien chef de l’Etat libéral (emprisonnement de Karim Wade) pour décliner l’invitation de son successeur, ne tiennent pas l’analyse. Même si Moussa Touré se sent plus ou moins  sensible aux états d’âme de Me Wade, il lui aurait suggéré une autre démarche. ‘’Dans le pire des cas, s’il ne voulait pas qu’’on associe son nom au sommet, il pouvait voyager avant la cérémonie et prétexter qu’il allait se soigner’’. A l’opposé, Mamour Cissé, leader du PSD-Janti bi, pense que c’est faire un  mauvais procès à Me Wade que de vouloir lui reprocher de ne pas répondre présent au sommet.

‘’C’est le contraire qui aurait surpris’’, dit l’ancien ministre d’Etat de Wade. Au contraire, il estime que c’était à Macky Sall de prendre de la hauteur en prononçant le nom de son prédécesseur, dans son discours. ‘’Quelles que soient leurs divergences, Wade et Macky ont passé 8 années ensemble (au pouvoir). Donc, l’élégance républicaine aurait voulu qu’il le (Wade) nomme même s’il n’est pas présent dans la salle’’, dit le leader de PSD-Jant bi.

‘’S’il a pu donner le nom de Diouf au centre, il aurait pu aussi donner le nom de Wade à l’autoroute à péage. Car, il faut bien rendre à César ce qui appartient à César’’, ajoute-t-il. Dans cet esprit de rapprochement, M. Cissé pense que le secrétaire général de la francophonie pouvait jouer sa partition. ‘’Le président Diouf avait une occasion en or pour réconcilier les deux hommes. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire’’, espère-t-il.

"Le vieux nègre et la Médaille"

Babacar Gaye, porte-parole du PDS, lui, fait sien le ‘’choix’’ exprimé par son leader. Selon lui,  Me Wade n'attend rien de Macky Sall, encore moins de ce sommet qu’il assimile à la ‘’Françafrique’’. ‘’Me Wade a prouvé à suffisance que la Renaissance de l'Afrique, la libération totale des peuples noirs et la promotion du capital national reste son unique préoccupation’’, indique le responsable libéral. ‘’Il n'attend rien de ceux-là qui l'ont combattu pour récupérer leurs positions dominantes dans nos secteurs stratégiques : défense, infrastructures aéroportuaires, eau et télécommunications; encore moins de celui qui le lui rend bien en embastillant son fils’’, accuse Babacar Gaye.

Interpellé sur les propos allusifs du président français, le porte-parole du PDS déclare : ‘’Le Sénégal n'a aucune leçon à recevoir de M. Hollande (…). Me Wade n'est pas Méka, ce héros de Ferdinand Oyono dans "Le vieux nègre et la Médaille" qui, attendant la décoration du "chef blanc", se concentre sur la date du 14 juillet. Il a d'autres combats et d'autres priorités’’. Même s’il félicite le président Abdou Diouf pour l'hommage qui lui a été rendu en reconnaissance des services rendus à la France, sa contribution au rayonnement de la langue française et à la promotion de la diversité culturelle, Babacar Gaye espère que cela devrait lui ‘’servir de pis-aller pour se réconcilier avec un pays qui lui a tout donné et pour lequel il n'a pas pu soulever les montagnes’’.

IBOU MANE, ENSEIGNANT EN SCIENCE POLITIQUE

‘’Wade a commis une grosse erreur.’’

L’analyste politique Ibou Mané se veut prudent dans son jugement. Même s’il évite d’assimiler Me Abdoulaye Wade à un ‘‘grand perdant’’ du dernier sommet de la francophonie, il pense par contre que l’ancien président de la République a eu tort de ne pas répondre favorablement à l’invitation de son successeur, Macky Sall.

‘’Wade pensait porter un grand coup à Macky Sall en déclinant son invitation, mais il a commis une grosse erreur. Il aurait dû se rendre au sommet et éventuellement saisir les autres chefs d’Etat du dossier de son fils (Karim) pour une sortie de crise’’, dit cet enseignant à l’Université Gaston Berger. Mais cette éventualité semble avoir ses limites, selon lui. ‘’Au nom de la séparation, et de la souveraineté des Etats, cette démarche à peu de chance d’aboutir’’, ajoute-t-il.

 En dépit de l’absence de Me Wade, l’enseignant en science politique constate que le sommet a été un ‘’succès politique’’ pour Macky Sall pour avoir rehaussé la diplomatie sénégalaise le temps d’un week-end. Dans la foulée, le Pr. Mané a critiqué la démarché des initiateurs du contre-sommet. ‘Il est temps que nous nous  mettions ensemble autour de l’essentiel et montrer que nous sommes  un miroir de la démocratie. Et après le sommet, retourner à nos divergences, s’il le faut’’,  conseille-t-il.

DAOUDA GBAYA

 
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