Publié le 8 Aug 2018 - 23:50
BRADAGE ET ACCAPAREMENT DES TERRES

Thiès victime des prédateurs fonciers

 

A Thiès, les autorités locales et déconcentrées sont accusées d’avoir une boulimie foncière sans limite. Si les uns interpellent l’Etat, d’autres pensent qu’il appartient à la population de se dresser contre les ‘’prédateurs’’.

 

Ça brade et ça accapare ! A Thiès, comme un peu partout à travers le pays, la mauvaise gestion du foncier est devenue un phénomène gigantesque, avec son lot de conséquences. Certaines autorités de la ville attribuent, à leur guise, des parcelles à usage d’habitation. Dans la capitale du Rail, il n’y a quasiment plus de réserve foncière. D’Est en Ouest, du Nord au Sud, tout ou presque a été ravagé par les ‘’prédateurs fonciers’’ qui cherchent à s’enrichir sur le dos des populations. La Zac, Pogniène, Thionakh etc., tout a déjà été morcelé. Il ne reste pratiquement que la zone de Mont-Rolland et celle périphérique du nouvel aéroport international Blaise Diagne (Aibd) et de l’autoroute Ila-Touba. Dans le périmètre communal, par contre, il n’y a plus de réserve, excepté les quelques poches que l’on peut trouver, accidentellement, à l’intérieur de la ville.

L’année dernière, plus précisément en mars 2017, un combat a été initié par les populations (les villageois de Ndjitté) de la commune de Chérif Lô, pour contraindre le maire Ousmane Sarr d’abandonner son projet. Ce dernier, dit-on, voulait s’emparer de centaines d’hectares de terres. Au profit de qui ? Lui seul sait, disent ses adversaires.

Cette situation préoccupante interpelle au premier plan, les habitants de la cité du Rail. ‘’Pour accéder à une parcelle à usage d’habitation, à Thiès, il faudra, au minimum, débourser 5 millions de francs Cfa. Je ne parle pas des zones périphériques. Mais du périmètre communal, c’est-à-dire des endroits qui sont accessibles ou bien protégés. Cinq millions de francs Cfa, j’estime que cela est excessif. C’est lié tout simplement à une spéculation foncière perpétrée par les autorités locales et déconcentrées. Tout le monde peut constater que les autorités administratives de passage à Thiès, et qui sont impliquées dans la gestion du foncier, deviennent, en si peu de temps, des millionnaires, voire des milliardaires. Un ancien gouverneur de la région y a séjourné pendant dix ans.

Aujourd’hui, si on veut le retrouver, il faut se rendre dans les quartiers les plus huppés de Dakar’’, accuse ce citoyen thiessois qui, depuis 1997, se bat avec ses camarades pour préserver la réserve foncière de la cité du Rail. Né et grandi à Thiès, ce monsieur, sous couvert de l’anonymat, accuse les autorités déconcentrées de s’adonner à la spéculation foncière en toute complicité avec quelques agences immobilières établies dans la capitale du Rail. ‘’Le métier le plus florissant, aujourd’hui, à Thiès, c’est celui de courtier. Partout à Thiès, les agences immobilières pullulent. Autour de chaque agence immobilière, gravite au moins, une vingtaine de courtiers. Il y a énormément de gens qui ne vivent que de l’achat et de la vente de terrains. Peut-être que c’est un phénomène qui ne date pas d’aujourd’hui. Je peux même affirmer qu’il a prospéré dès le début de la première alternance, c’est-à-dire les années 2000. Et c’est dommage que cette spéculation foncière se fasse au détriment des Thiessois authentiques. Parfois, ces derniers sont lésés dans l’attribution des parcelles à usage d’habitation’’, fustige cette source.

‘’Siffler la fin de la forfaiture foncière’’

Devant un tableau aussi peu reluisant, Abdourahmane Seck, enseignant à la retraite, pense qu’il appartient à toute la communauté thiessoise de s’unir pour combattre ‘’farouchement tous les délinquants fonciers’’. ‘’Nous devons nous unir et nous organiser comme un seul homme pour faire face à ces prédateurs des terres. Ils ne sont pas venus à Thiès pour brader les terres, mais pour remplir des missions. Ils sont là pour participer à la construction de la région. S’ils continuent, ils nous trouveront sur leur chemin’’, prévient M. Seck.

Croisé sur l’avenue Coumba Ndoffène Diouf, à proximité du commissariat central, celui qui a fini de servir l’école sénégalaise indique que l’heure a sonné pour siffler la fin de la récréation. D’après M. Seck, toutes les autorités impliquées dans la gestion du foncier doivent attribuer les titres fonciers suivant les lois en vigueur. ‘’La terre ne leur appartient pas. Nous avons regardé faire. Cette spéculation foncière a longtemps démarré sous nos yeux’’, crache le résident de Khombole. Ce dernier se désole, en plus, du fait que ce phénomène a fini d’installer le doute dans l’esprit des gens.

Boubacar Ndiaye est un autre Thiessois noir de colère. Lui aussi demande à tous ceux qui gravitent autour de leurs terres de penser à la justice divine qui, selon lui, est plus forte et est au-dessus de tout. ‘’Lorsque nous étions jeunes, nos parents nous disaient que la terre est sacrée. De nos jours, cette terre fait l’objet de toutes les convoitises. Les spoliateurs qui veulent épuiser la petite réserve foncière de Thiès doivent savoir qu’il y a une justice divine après leur passage sur terre. Ils distribuent la terre de façon illégale et en profite pour s’enrichir. C’est une richesse naturelle que nous a octroyée le bon Dieu. Alors, si j’étais à leur place, je ferais très attention’’, conseille le cinquantenaire.

L’exception Augustin Tine, ministre-maire

Ces récriminations ont peu de chance de trouver une oreille attentive, puisque ceux qui sont à l’œuvre ne sont pas prêts de lâcher le gâteau foncier. De ce fait, les citoyens lambda sont laissés pour compte. Alors que, si l’on en croit cet autre monsieur qui souhaite garder l’anonymat, Thiès avait la chance de disposer d’un arrière-pays, avec un périmètre communal assez vaste. Mais, regrette-il, tout est épuisé avec les lotissements çà et là. Aujourd’hui, la ville de Thiès, ceinturée par les communes de Fandène et de Keur Moussa (en allant vers le village de Daral Peulh) souffre d’un manque criard de parcelles à usage d’habitation.

‘’Si on laisse trop de liberté à ces spéculateurs fonciers, les générations futures auront d’énormes difficultés à trouver une petite parcelle de terre pour construire une maison. Excepté le maire de Fandène (Ndlr : Augustin Tine), qui après son élection, a décidé de bloquer toutes les procédures d’attribution de parcelles, tout le monde se lance dans cette activité. Il (Augustin Tine) a raison de lutter contre la spéculation foncière, mais quand les populations suivent toutes les procédures légales, il faut qu’il cède les terrains à ces concitoyens. Certes, des malversations ont été faites par ses prédécesseurs, mais il faut qu’il aide les administrés à disposer de leurs parcelles. Le maire ne doit pas être un obstacle à ces procédures qui sont légales’’, peste notre interlocuteur.

Dans un État de droit, tout ou rien ne peut s’obtenir dans l’illégalité. C’est du moins le principe. Toutefois, se désole notre interlocuteur, ces ‘’spoliateurs’’ agissent en toute impunité. ‘’Ces malversations ne doivent pas prospérer. Les spoliateurs, les courtiers et les agences immobilières ne doivent pas continuer à vivre sur le dos des Thiessois. La terre n’appartient ni aux maires ni aux autorités administratives, encore moins aux inspecteurs des impôts et domaines. Mais on constate que la spéculation foncière a pris le dessus sur tout. Et ceux qui achètent les terrains à Thiès ne sont pas des Thiessois authentiques. Ces derniers sont des millionnaires qui viennent de Dakar. Il s’opère, de ce fait, une sorte de colonisation par l’entremise de toutes ces autorités déconcentrées et locales. C’est pourquoi nous nous battons pour la préservation de ces parcelles, au grand bénéfice des générations futures’’, tempête ce citoyen thiessois, visiblement en colère.

M. Lamine Massaly : ’’Que l’État mette fin à cette escroquerie foncière à Thiès’’

Si la spéculation foncière persiste à Thiès, l’accaparement des terres gagne aussi du terrain. Des sociétés ou associations de coopérative d’habitat peuvent surgir de nulle part, acheter des centaines, voire milliers de parcelles à usage d’habitation pour, après, procéder à leur revente. En mai dernier, 387 pères de famille dont Mouhamadou Lamine Massaly ont été victimes de ce phénomène aux Hlm Route de Dakar (Thiès-Ouest). La maison de ce libéral a été complètement rasée. Contacté par ‘’EnQuête’’, Massaly exprime toute son amertume.

‘’C’est écœurant de constater que l’accaparement des terres persiste encore à Thiès. Il n’y a pas longtemps, nos maisons ont été démolies aux Hlm Route de Dakar, parce que, nous dit-on, ces terres appartiennent à une société établie à Dakar. Je trouve injuste qu’on puisse donner à une seule personne ou une quelconque société, qu’elle soit nationale ou étrangère, des centaines d’hectares au détriment de plus de 300 pères de famille’’, rouspète ce responsable du Pds. Massaly voit dans cet accaparement des terres ‘’un deal qui ne dit pas son nom’’. C’est pourquoi il demande à l’État du Sénégal de prendre ‘’toutes ses responsabilités’’ pour agir et, au besoin, sanctionner tous les coupables. ‘’Il faut que l’État mette fin à cette escroquerie foncière en cours à Thiès’’.

Boubacar Ndiaye pointe, lui, du doigt la politique de décentralisation. ‘’Ce qu’on constate, c’est qu’avec l’acte III de la décentralisation et la communalisation intégrale, toute autorité locale peut profiter de son magistère pour s’enrichir au détriment des populations. A Thiès, par exemple, nous voyons des maires immensément riches. On se demande alors où est-ce qu’ils peuvent trouver tout cet argent. C’est sans doute dans l’achat et la vente de terrains. On connaît le salaire moyen d’un maire au Sénégal. Maintenant, il appartient aux Thiessois de dire non’’, déclare M. Ndiaye.

Ndèye Aïssatou Bâ dit ne pas comprendre l’attitude des autorités déconcentrées et locales, sachant qu’elles ont des revenus décents leur permettant de se prendre en charge et de nourrir leurs familles. De l’avis de cette vendeuse de cacahuètes, avant de penser à développer un tel business, les autorités en charge du foncier devraient plutôt travailler à octroyer à chaque Thiessois une parcelle d’habitation.

‘’Pourquoi vouloir mettre en avant le commerce de la terre ? Ils peuvent tout vendre sur le dos des populations. Car ils ont le pouvoir. Mais, un jour, leur dernière demeure sera la terre. ‘’Souf daafa baari seytané’’ (la terre est source de problèmes). Nous en avons assez, notre ressource naturelle a trop longtemps été dilapidée. Et pourtant, cette terre nourrit des milliers de Thiessois. Partout à travers le département, on cultive de la pomme de terre, de l’oignon et d’autres légumes. Alors, nos autorités gagneraient à nous aider’’, soupire Ndèye Aïssatou Bâ qui, comme des milliers de Thiessois, attend toujours le premier mètre carré dont elle sera la propriétaire.

Impunité

Se pose alors la question des sanctions. Mais le constat est une impunité qui exaspère ce père de famille, qui prend l’exemple de la commission domaniale. Il souligne qu’il est présidé par le maire de la ville, avec comme rapporteur l’inspecteur des impôts et domaines. ‘’Si le lotissement concerne 5 000 parcelles, le partage se fait d’abord à partir de cette commission. Les autorités déconcentrées prennent leur quota avant de donner le reste au maire. Et dans cette affaire-là, c’est le citoyen lambda qui est laissé en rade. C’est dommage. N’importe quel membre de la commission peut prendre un terrain, procéder à une mutation directe, le vendre pour s’enrichir facilement. Il suffit de disposer de 200 actes administratifs pour se faire beaucoup d’argent (…). Ce qui est grave dans cette affaire, c’est qu’il ne peut y avoir aucune traçabilité. Ce système est extrêmement performant et huilé’’, se désole-t-il.

Aujourd’hui, relève cet interlocuteur, tous les villages qui se trouvent aux alentours de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass, à l’image de Soune Thiambokh, n’ont plus de terres arables, parce que tout a été morcelé et mis en vente.

GAUSTIN DIATTA (THIÈS)

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