Publié le 10 Dec 2019 - 20:31
BUDGET MINISTERE DU DEVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE

Le dauphinat empeste l’hémicycle 

 

A tort ou à raison, ils sont nombreux à penser que la réussite du quinquennat de Macky Sall repose, en grande partie, sur les épaules de Mansour Faye, Ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale. Pour certains, il en dépend également la destinée politique du frère de la première dame.

 

Il est dans la santé, dans l’agriculture, dans le transport, dans le social, dans l’hydraulique, bref, il est dans tous les secteurs intéressant le développement économique et social du pays. Lui, c’est Mansour Faye, beau-frère du président de la République, maire de Saint-Louis, ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale depuis le dernier remaniement, en avril 2019. Pour beaucoup, il est bien, pour le régime actuel, ce que d’aucuns prêtaient à Karim Wade sous le règne de son père. ‘’Premier ministre caché’’, selon Mamadou Lamine Diallo ; ‘’vice-président caché’’, pour le président du groupe parlementaire Liberté et démocratie ; ‘’ministre Xxxl’’, caricature pour sa part le bras droit d’Idrissa Seck, Déthié Fall.

Et comme à tout seigneur tout honneur, le frère de la première dame s’accapare d’importantes ressources financières, soit un budget total de 101 375 554 272 F Cfa. Ce qui témoigne, éloquemment, des grandes ambitions du président Sall avec ce département nouvellement créé. Ledit budget, si l’on en croit le rapport de présentation, est articulé autour de deux axes principaux : développement communautaire et équité territoriale pour 35 465 179 155 F Cfa, d’une part, équité sociale avec 65 397 369 825 F Cfa, d’autre part. Pendant que les députés de la majorité s’en félicitent, certains de l’opposition rouspètent.

Mamadou Lamine Diallo met le doigt sur les compétences très tentaculaires du nouveau département. Il estime, qu’en fait, celui-ci surplombe plusieurs ministères dont celui des Transports, celui en charge des Collectivités territoriales, celui de la Femme, entre autres. ‘’En réalité, Oumar Youm et Oumar Guèye sont vos secrétaires d’Etat. Tout comme la ministre en charge de la Femme. Vous avez le plus gros ministère de ce gouvernement. C’est ça la réalité. Ce que vous voulez, c’est que la dynastie Faye-Sall continue à gouverner ce pays. Nous n’allons pas l’accepter’’, affirme le président de Tekki, qui conteste, par la même occasion, les plans d’urgence. ‘’Ce que j’ai appris, de par mon expérience, c’est que quand c’est urgent, c’est déjà trop tard. Raison pour laquelle j’ai regardé ça de très près et je me suis aperçu que vous avez des arriérés de paiement. J’espère qu’avec les 10 milliards que vous avez reçus dans le cadre de la Lfr2, vous allez payer vos dettes’’.

Venant à la rescousse de son collègue, le ministre des Finances et du Budget explique que le ministère du Développement communautaire n’est pas, en réalité, le premier des ministères, en termes d’allocations budgétaires. Il cite, entre autres, le ministère de l’Education, le ministère du Pétrole, le ministère de la Santé... Ce qui n’enlève en rien à la superpuissance du frère de la première dame. Il a l’insigne honneur de piloter presque toutes les structures qui ont pour objet la lutte contre la pauvreté et le développement des territoires, s’accordent à dire députés de la majorité comme de l’opposition. Il a le Programme d’urgence de développement communautaire (Pudc), le Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma), le Programme de modernisation des villes (Promovilles), le Programme national des bourses de sécurités familiales et sociales (Pnbsf), la Couverture maladie universelle (Cmu)...

A côté des membres de l’opposition qui râlent et parlent de super privilège, le docteur Cheikh Tidiane Gadio, lui, préfère parler de sacerdoce. Il prévient : ‘’Contrairement à ce que certains pensent en croyant que vous avez un département de privilégié, je pense que c’est plutôt un sacerdoce. Monsieur le Ministre, vous avez un redoutable département. Les attentes sont tellement grandes. En réalité, on s’attend à ce que vous régliez tous les problèmes du Sénégal. Ce qui, quand même, relève de la compétence d’une trentaine de ministères, du président de la République lui-même…’’

Tout un programme confié à Mansour Faye

En fait, à l’aune de ce dernier mandat, où la guerre sourdine de succession fait rage dans le camp présidentiel, le chef de l’Etat a préféré confier bien des axes essentiels de son programme à son beau-frère. Par le Pudc et le Puma, le ministre entend ainsi désenclaver les territoires, électrifier davantage de villages, transformer l’agriculture, construire des cases de santé, des routes…

Durant sa première phase, informe M. Faye, le Pudc a permis de réaliser 618 km de pistes, l’électrification de 120 villages, 233 km de lignes moyenne tension, 178 km de basse tension, 227 forages, 155 châteaux d’eau, 223 systèmes d’adduction d’eau, 99 périmètres horticoles aménagés et 73 coopératives mises en place.

Concernant le Puma, c’est, selon Mansour Faye, 15 postes et cases de santé, 43 ambulances médicalisées, 55 km de pistes rurales et 137 ha de périmètres irrigués. D’ici à 2024, Mansour Faye veut ainsi atteindre un accès universel à l’eau, un accès universel à l’électricité, aux services sociaux de base, aux services de mobilité collective ainsi qu’aux services culturels et sportifs. Pour la phase 2 du Pudc, il concerne 710 km de pistes rurales, l’électrification de 195 villages, 50 forages et infrastructures d’adduction d’eau potable, 799 équipements de transformation post-récoltes, 75 plateformes de transformation agricole et de services, 50 postes de santé, des écoles primaires, des écoles secondaires... ‘’Voilà ce qui est prévu dans le budget actuel’’, informe le puissant ministre.

Il demande encore plus d’argent : ‘’Tout à l’heure, je disais au ministre du Budget que, par rapport aux demandes exprimées, les allocations sont très en deçà des attentes des populations. Mais nous avons aussi des programmes en cours, qui ne sont pas encore intégrés. Ils le seront peut-être dans le cadre de la Lfr à venir, en juin. On a un programme spécial de désenclavement, un programme spécial d’électrification, un programme spécial d’infrastructures routières.’’

 ‘’Homme de défi très compétent’’, si l’on en croit sa camarade de la majorité, la députée Sabara, l’édile de Saint-Louis a ainsi du pain sur la planche. Mais, semble-t-il répondre, les chemins ont déjà été balisés. En commission, il a informé de la mise en place de neuf directions régionales de développement communautaire et des services dans tous les départements du pays. Et il ne veut pas perdre du temps. Dès sa prise de fonction, il a fait le tour du pays, comme Macky Sall avant son élection, en organisant un peu partout des Crd. L’objectif ayant été de cibler avec plus de justesse les préoccupations des populations. Dans la même veine, il sera organisé des conférences territoriales harmonisées au niveau des régions, pour mieux affiner ses besoins et programmes. 

Le beau-frère du président demande encore plus d’argent

Dans tous les cas, malgré les cris d’orfraie des opposants, Louga, Matam, Mbour, Koumpentoum… sont très contents, si l’on en croit certains de leurs représentants dont Mberry Sylla. Pour Sidy Traoré, Mansour, le ‘’gentilhomme’’, ‘’l’humble’’, le ‘’discipliné’’, le ‘’grand travailleur’’, mérite amplement le nouveau département qui lui a été confié par le chef de l’Etat. ‘’Tout le monde le reconnait’’, s’extasie le représentant du peuple. Qui ajoute : ‘’Vous n’êtes pas pressé. Et puis, vous êtes très disponible et accessible. Vous méritez amplement ce poste. Le premier financement de Macky Sall en Gambie, c’est vous et Arona Dia qui nous l’avait apporté. Nous vous souhaitons bonne chance dans votre nouvelle mission.’’

Saisissant la balle au bond, Néné Marième Kane de Kanel explique : ‘’C’est parce que le chef de l’Etat a fait le tour du pays qu’il a senti le besoin de mettre en place ces différents programmes. Je peux dire que c’est le ministère de la lutte contre la pauvreté. Nous fondons beaucoup d’espoir en ce ministère, qui est au cœur de nos préoccupations. Vous avez été à Kanel et ce n’est pas nécessaire de vous dire que nous sommes dans l’indigence totale. Tous vos programmes nous intéressent.’’

Comme Kanel, Rufisque également en a certainement besoin. C’est, en tout cas, ce que l’on pourrait croire, à entendre le président de la Commission des finances, Seydou Diouf. En fait, rappelle-t-il, la création de ce département obéit surtout à une volonté du président de la République de corriger les distorsions territoriales. Saluant l’humilité et la capacité d’écoute de son camarade, il attire l’attention sur la nécessité de relancer les travaux du Promovilles dans le département de Rufisque, où le programme a été lancé. ‘’Je pense, dit-il, que Rufisque, qui est aussi une vieille ville, mérite une attention particulière. A cause des travaux du Ter, les populations souffrent énormément. Saint-Louis, plus ancienne, grâce à votre action, a pu sortir la tête de l’eau. La mienne, en revanche, a encore la tête dans l’eau. Je pense pouvoir compter sur vous pour changer le visage de Rufisque’’.

Du grand bluff, pestifère Cheikh Mbacké parlant du bilan du Pudc. Le député libéral de demander au gouvernement de montrer les localités où ses réalisations ont été faites. En outre, peste-t-il, parlant du ministre : ‘’Vous êtes un Premier ministre de fait. Tout ce qui est bon dans les ministères, qui permet de se rapprocher des populations et de faire de la politique, on vous l’a confié. Cela montre que le dauphin caché de Macky Sall, c’est bien vous. Je me demande si vous pouvez le supporter, d’autant plus que vous avez lamentablement échoué au département de l’Hydraulique qu’on vous avait confié.’’

Son collègue, Mamadou Diop Decroix, enfonce le clou : ‘’Quand j’ai lu le rapport, c’est comme si vus concentriez le ministère de la Santé, le ministère des Routes, de l’Eau, de l’Energie… Il y a un véritable problème. Si vous pouvez m’expliquer la cohérence de ce schéma-là. Croyez-moi, je ne vais pas bouger. Je vais rester pour entendre vos explications, parce que j’ai besoin de comprendre. Vous faites des postes de santé, mais où le ministre de la Santé ? Vous électrifiez des villages, mais où est le ministre de l’Electricité…. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.’’

Alors qu’il en avait pour 5 minutes, il a fini par bouder, du fait des huées des députés de la majorité. 

Mais, de l’avis du ministre, c’est juste parce que le président de la République est tout simplement en avance sur les autres. Ces leviers, explique-t-il, viennent en appoint des actions des ministères sectoriels’’. Aussi, argue-t-il, ‘’ce qu’une personne peut faire, deux le feraient mieux’’.

MOR AMAR

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