Publié le 17 Mar 2018 - 15:29
BURUNDI

Alléluia Football Club

 

Président du Burundi depuis 2005, Pierre Nkurunziza enquille depuis plus de dix ans les matchs de charité avec son équipe, l’Alléluia FC. De quoi faire d'une pierre deux coups, en faisant de son obsession pour le ballon rond un instrument de propagande politique. Sans oublier d'envoyer les rares joueurs qui osent de trop près lui taquiner les tibias faire un petit tour en prison.

 

Au départ, ce devait être un match comme les autres. Le 3 février dernier, le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, chausse comme chaque semaine ses crampons pour un match de charité qui oppose son équipe de chrétiens born again, l’Alléluia FC, à un club de Kiremba, une ville du sud du pays. Le scénario est alors écrit d'avance : au Burundi, il est de notoriété publique que chaque match du président est scripté comme un épisode d'Olive et Tom, où Nkurunziza doit briller pour permettre aux siens de l'emporter. Mais ce jour-ci, l'équipe adverse a recruté des joueurs parmi les réfugiés congolais qui se massent à la frontière.

Des types qui ne sont pas familiers avec le faciès présidentiel de l'homme d'État. ‘’Ces Congolais ne connaissaient apparemment pas le président Nkurunziza... Ils l’ont attaqué à chaque fois qu’il avait la balle et l’ont fait tomber à plusieurs reprises, alors que les joueurs burundais prenaient soin de ne pas l’approcher de trop près’’, raconte un témoin. Un crime de lèse-majesté. Début mars, les deux responsables administratifs burundais qui ont organisé la rencontre sont incarcérés, pour avoir ‘’permis’’ que le président Pierre Nkurunziza soit malmené physiquement. Signe que le Lider Maximo ne plaisante pas, mais alors pas du tout, quand il s'agit de ballon rond.

Les hommes du président

Un geste qui ne trompe pas ? Quand Pierre Nkurunziza accède démocratiquement au pouvoir au Burundi en 2005, il crée l'Alléluia FC, son équipe de football personnelle, dès sa première année de présidence. Comme un plaisir coupable, pour un type qui a pris le maquis au milieu des années 1990 pour commander le parti rebelle des Forces de défense de la démocratie. Le Burundi est alors ravagé par une guerre civile sans précédent, où l'ethnie de Nkurunziza, les Hutus, lutte pour reprendre le pouvoir aux élites Tutsis, dans un conflit ethnique sanglant qui fait écho au génocide rwandais. Un pandémonium qui prend définitivement fin en 2005, date à laquelle les derniers accords de paix sont signés entre les deux camps et des élections légitimes sont organisées. La suite ? Une victoire écrasante à la présidentielle pour Nkurunziza, une approche autoritaire du pouvoir, des émeutes réprimées dans le sang en 2015 et du football. Beaucoup de football. Parfois deux à trois fois par semaine pour le chef d'État. Avec l'Alléluia FC, le président aligne les kilomètres pour parcourir le pays et enchaîner les matchs, y compris dans les villages les plus obscurs du Burundi.

Un message à l'opposition

Depuis avril 2015, date à laquelle Nkurunziza a fait modifier la constitution pour s'octroyer le droit d'effectuer un troisième mandat présidentiel, l'homme d'État a écrasé toute velléité de rébellion, faisant 1200 morts, 10 000 prisonniers politiques et poussant plus de 400 000 Burundais à l'exil. Sans jamais s'arrêter de jouer au football, même quand la capitale, Bujumbura, se transforme en champ de bataille urbain à l'annonce de sa réélection. Sans doute parce que le sport et l'Alléluia FC sont des piliers de la communication présidentielle. En se déplaçant aux quatre coins du pays pour taquiner le cuir, le président ne fait pas que marquer des buts, mais participe également aux TDC, des travaux manuels de développement communautaire obligatoires au Burundi, qui sont souvent agrémentés d’autres activités physiques et sportives et de danses et chants traditionnels.

Le but ? Entretenir le lien entre les élites urbaines et politiques et les populations rurales, largement majoritaires au Burundi, en leur démontrant que leurs dirigeants ne se désintéressent pas de leur sort. ‘’À ­travers l’investissement ­dans ­les ­TDC ­et ­la ­construction d’espaces­ sportifs, les leaders du parti au pouvoir visent à casser le mythe du politicien lointain et charismatique, étranger aux réalités quotidiennes des populations, en se présentant en hommes ordinaires’’, pose le sociologue du sport Désiré Manirakiza. Après les manifestations violemment réprimées de 2015, Nkurunziza ne manque également pas d'utiliser l'Alléluia FC et les TDC pour envoyer un message à l'opposition.

‘’Il ne s’agit pas seulement d’une manœuvre visant à chapeauter les populations en les marquant mentalement’’, poursuit Désiré Manirakiza, «mais également d’envoyer un message aux autres formations politiques dont l’énoncé peut être : "Entre le CNDD (le parti politique de Nkurunziza, ndlr) et vous, il n’y a pas match."» Il n'est ainsi pas rare d'entendre chanter avant chaque rencontre de l'Alléluia FC des mélodies guerrières comme ‘’Inkona ntiyaruzwa, kiretse twese dupfuye’’. Traduisez : ‘’Nul ne peut déloger l’aigle, (l'animal totem du président, ndlr) à moins que nous ne soyons tous morts’’. De fait, malgré ses 55 ans bien tassés, Pierre Nkurunziza reste l'avant-centre amateur le plus prolifique du Burundi. Et bien courageux sera le prochain adversaire qui osera lui chatouiller de trop près les mollets.

(sofoot.com)

Section: