Publié le 8 Apr 2020 - 22:08
BUSINESS DE LA CRISE

Un marché de 50 milliards de F CFA en jeu

 

À peine lancé par le Commissariat à la sécurité alimentaire rattaché au département ministériel dirigé par Mansour Faye, le marché de la distribution des aides alimentaires soulève des vagues. Le coordonnateur du Forum civil, Birahime Seck, dénonce une procédure discriminatoire.

 

Bouffée d’oxygène pour les ménages, les 50 milliards de F CFA promis par le président de la République, au titre des dons alimentaires, risquent de faire l’objet d’une bataille ferme entre certains opérateurs économiques. Chez les transporteurs, la bataille a commencé pour le contrôle du marché de la distribution. Tout est parti de l’appel d’offres lancé par le Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA), sous la tutelle du ministère du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale. Après l’alerte lancée par le coordonnateur du Forum civil, Birahime Seck, ‘’EnQuête’’ s’est rapproché de certains acteurs du secteur pour en savoir davantage.

Joint par téléphone, le secrétaire général de l’Union des routiers du Sénégal salue la décision de l’Etat, mais émet quelques réserves par rapport à la voie empruntée pour procéder à la distribution de ces vivres.

Le syndicaliste craint, en fait, le déploiement de toute une machine dont le seul objectif serait de capter le grand marché à milliards, au détriment de certains transporteurs. ‘’Je pense que si l’Etat a pour seul objectif de faire dans la transparence, il aurait pu se rapprocher du ministère en charge des Transports. Ce dernier dispose de toutes les données relatives aux parcs des différents transporteurs de ce pays et même des entreprises’’, plaide Gora Khouma.

Dans un communiqué, le coordonnateur du Forum civil dénonce le critère consistant à ne retenir, dans le cadre de la distribution des aides alimentaires du gouvernement, que les transporteurs ayant, dans leurs parcs, au moins 50 camions. Pour lui, ceci est un critère discriminatoire qui exclut bien des acteurs du processus et ne favorise pas une utilisation efficiente des deniers publics. ‘’Dans le cadre de la commande en procédure d’urgence (lutte contre la Covid-19), le critère relatif à la sélection de prestataires disposant d’un parc opérationnel d’au moins 50 camions de transport de marchandises est non seulement discriminatoire, mais il favorise la surfacturation, la collusion et une capture des fonds par un groupe de transporteurs’’, regrette le successeur de Mouhamadou Mbodj.

Aussi, confie-t-il à ‘’EnQuête’’, ‘’il est incompréhensible, en ces temps de crise, de vouloir réserver le marché du transport de denrées aux transporteurs qui disposent d’au moins 50 camions. Cela ne répond ni à une logique de crise ni à une logique d’accès aux deniers publics’’, argue M. Seck. Un point de vue partagé par le secrétaire général de l’URT, syndicat affilié à la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS).

Le risque, souligne Gora Khouma, est surtout de voir certains opportunistes, avec leurs entreprises ou groupements d’intérêt économique, capter tous les fonds, alors même qu’ils n’ont pas 50 camions, comme l’exige le cahier des charges. ‘’Certains vont utiliser des subterfuges pour y parvenir. Par exemple, ils peuvent créer leur GIE ; ne disposant pas d’un parc de 50 camions, ils vont travailler avec d’autres transporteurs à qui ils vont sous-traiter le marché’’.

Selon lui, il est rare de voir une entreprise ou une personne disposer d’autant de camions au nom de son entreprise. ‘’Certes, ça existe, mais ils sont très peu nombreux. On risque donc d’exclure des transporteurs et de les remplacer par d’autres qui n’ont guère plus de capacité’’.

Ainsi, pense le syndicaliste, l’Etat aurait pu se passer de telles exclusions et travailler directement avec tous les acteurs. Comme cela a toujours été le cas. Il ajoute : ‘’Je pense qu’on aurait pu reconduire la même formule qui a cours depuis Abdou Diouf. L’Etat ne faisait même pas d’appel d’offres. Il définissait juste des critères. Par exemple, on fixe des critères liés à l’état de la voiture, au pneumatique, à la visite technique, l’assurance… Peu importe que les gens aient une ou plusieurs voitures. Il faut donner la chance à tout le monde. L’essentiel est d’avoir des véhicules en bon état qui ne tomberont pas en panne en cours de livraison.’’

Le ministère dément et se justifie

Du côté des services du ministre en charge du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, on botte en touche les accusations et se justifie. ‘’Il faut savoir que nous sommes en situation d’urgence. Le Commissariat à la sécurité alimentaire aurait même pu se passer de l’appel d’offres et passer le marché par entente directe. Mais nous avons voulu être le plus transparent possible. C’est pourquoi nous avons lancé un appel à candidatures ouvert’’, rétorque un responsable du ministère qui a préféré garder l’anonymat.

Toutefois, insiste-t-il, la tutelle, pour éviter de se retrouver dans une situation ingérable avec une multitude de contrats à signer, a préféré inclure ce critère lié au nombre de camions. ‘’Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, rien n’interdit à ceux qui n’ont pas 50 camions de s’associer pour intervenir dans l’exécution de ce marché’’. ‘’Si on n’avait pas ce genre de critère, on pourrait se retrouver avec des milliers de transporteurs, donc, autant de contrats à signer et ça ralentirait le travail’’.

Sur le moyen selon lequel 50 camions, c’est élevé et rares sont les opérateurs qui en disposent, il se défend : ‘’Si vous allez au port pour vérifier, vous vous rendrez compte qu’il y en a au minimum une cinquantaine. Aussi, imaginez quelqu’un qui a, par exemple, un seul camion et qui doit livrer à Kédougou, si son camion tombe en panne, nous sommes dans le pétrin. Mais s’il a plusieurs camions, il va se débrouiller pour trouver rapidement une solution’’, renchérit le collaborateur de Mansour Faye.

Selon lui, le seul critère qui a présidé à la définition de ces critères, c’est le professionnalisme des soumissionnaires. A ceux qui soutiennent que l’Etat n’avait pas l’habitude de procéder de la sorte, il indique que le contexte de cette crise n’est pas assimilable à celle des précédentes campagnes dictées par l’insécurité alimentaire.

Créé en 1984, le Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA) a eu à piloter plusieurs campagnes de distribution de vivres, notamment en 2003, 2011, 2012 et 2015.

RÉQUISITION DES HÔTELS

Quand les ‘’malades’’ de Covid-19 sauvent certains hôtels

Qui l’eut cru ? La Covid, qui a envoyé au chômage bien des hôtels de Dakar et du Sénégal, redonne du travail à certains réceptifs réquisitionnés par l’Etat. En effet, face à la désertion de ces palaces par les touristes, un certain nombre de mesures palliatives ont été mises en place pour éviter la faillite aux entreprises du secteur. Parmi ces dispositions, il y a la réquisition des hôtels pour y loger des personnes suspectées d’être atteintes de la maladie virale.

Loin d’être une simple mesure contraignante, cette mesure pourrait s’avérer un vrai bol d’air pour les entreprises qui en bénéficient.

En fait, ce que le chef de l’Etat n’avait pas dit, c’est que chaque réceptif va être payé à raison de 50 000 F CFA par patient et par jour. Ce qui pourrait ainsi les aider à continuer à tourner en ces temps de crise économique mondiale. Déjà, à Dakar, certains réceptifs peuvent saluer le gouverneur de les avoir inclus dans le dispositif. Dans un arrêté datant du 2 avril, l’autorité administrative informait que les hôtels Savana Dakar, Ibis Novotel Dakar, Ngor Diarama et Lagon II, ainsi que leurs personnels sont réquisitionnés et mis à la disposition des autorités, du samedi 4 au 20 avril 2020. Il s’agit, en tout, de 752 chambres d’hôtels réquisitionnés par l’Etat pour une durée de 17 jours.

MOR AMAR

Section: