Publié le 27 Aug 2016 - 02:32
BUSINESS DE LA VIANDE ET DERIVES

Dans le boyau de la Sogas

 

Quand on ne fréquente pas les lieux, il n’est pas évident de savoir ce qui se trame dans l’enceinte et les alentours de la Société de gestion des abattoirs du Sénégal (Sogas),  communément appelée Seras. Au quotidien, des hommes, des femmes et des enfants, tous venus de la banlieue, attendent patiemment leur fonds de commerce pour démarrer la journée. Ainsi, cette véritable niche d’emplois est essentiellement fondée sur la viande, les pattes, le foie et les tripes, entre autres.

 

Lorsqu’on y entre en taxi, le contrôle s’impose. Les hommes préposés à la sécurité ne tergiversent pas. ‘’Oui Mme, puis-je vous aider ? ‘’ A la présentation de la carte professionnelle, les airs courtois s’accentuent. La polémique sur la possible circulation de viande d’âne sur le marché est encore fraîche dans les mémoires. Chacun cherche sa part de vérité dans cette affaire. Les uns pour se convaincre qu’ils ne sont pas de ceux qui en ont consommé à volonté. D’autres pour trouver les instigateurs qui pourraient tirer les ficelles.

‘’Je demeure convaincu que ce sont les vendeurs de poulets qui ont fait circuler une telle information pour gâcher notre affaire. Ils se sont fait beaucoup d’argent pendant cette période’’, raille ce tripier appelé ‘’Rafet kar’’,

A l’entrée du grand portail qui donne vers le bâtiment administratif, rien ne présage de tout ce qui se déroule en ces lieux. Une cinquantaine de mètres plus loin, l’on aperçoit des hommes en pleine activité. Une carcasse de petit ruminant sur le dos, ils se dirigent vers l’une des sorties : c’est leur corvée de tous les jours. A l’image d’autres personnes qui ont leur domaine de prédilection en ces lieux. Ici, les tâches sont partagées, et chacun y trouve son compte. Entre l’abattage, le dépouillage, le dépeçage, le portage et l’exploitation du 5e quartier.

Plus de 500 personnes gagnent leur vie à la Sogas, plus connue sous le nom de  ‘’Seras’’. Quand on évoque le nom, sa situation géographique (Pikine), les armes blanches qui y sont maniées pour les besoins du travail et ses fréquentations (jeunes) font que des craintes d’agressions sont émises. C’est devenu naturel chez certains usagers, pour y avoir vécu des mésaventures. ‘’C’est un endroit dangereux, surtout à certaines heures. Il y a toute une bande de voleurs qui circulent aux alentours et qui se fondent dans la masse. En 2009, étant avec une amie en voiture, un jeune homme a ouvert la portière et un autre est passé de l’autre côté pour piquer mon sac’’, raconte Ngoné Sow, qui continue tout de même de s’y rendre pour ses provisions.

Un business fructueux mais, informel

Pour avoir exercé comme chevillard, ce cinquantenaire qui préfère garder l’anonymat avoue que la présence d’agresseurs qui rôdent autour se justifie par la circulation  d’importantes sommes l’argent à la Sogas. ‘’Certains ont compris ce qui se fait là-bas et savent également que l’informel y prône. Ceux qui y travaillent peuvent trimballer leur argent, de grosses sommes d’ailleurs’’, explique notre interlocuteur. D’ailleurs,  à l’en croire, ‘’on peut compter sur les doigts les acteurs du milieu qui font confiance aux banques. C’est un business qui se développe au quotidien et les acteurs n’ont pas encore la culture  bancaire’’.  En des termes clairs, l’informel est le  maître-mot dans ces lieux. ‘’A l’exception des cartes pour officier à Sogas et les factures, les papiers ne font pas partie de leurs affaires.   Les formalités se limitent dans les rapports professionnels avec la Sogas. Mais, entre les maillons de la chaîne, il n’y a aucune formalité’’, se désole-t-il. Plus en détails, il argue : ‘’Le chevillard reçoit chaque jour, après abattage, une facture où il est fixé le montant de la stabulation, de l’abattage, du ressuage, de l’entreposage, entre autres’’. Sinon, précise-t-il, pour tout le reste, on ne  privilégie que des rapports de confiance, espérant que l’honnêteté prévale.

Aux alentours des différentes salles d’abattage, des éleveurs, reconnaissables à première vue de par leur accoutrement, font discrètement les cent pas. Très matinaux, ils se pointent tous les jours afin de récupérer leur argent auprès des chevillards à qui ils ont vendu des bêtes. Ils sont les premiers maillons de la chaîne.

Cependant, les rapports qu’ils entretiennent avec les chevillards ne sont pas toujours des plus amicaux. Malgré tout, ‘’ils sont appelés à travailler ensemble et ils se supportent’’, nous révèle notre interlocuteur.

Quand les affaires tournent autour des dettes

Très occupés dans la salle  de vente, des hommes procèdent à la commercialisation de la viande. Ils ont des sacoches appelés ‘’bananes’’  ou ‘’caméras ‘’ autour de la taille. Chacun a sa clientèle. Malé,  réputé être l’un des 10 meilleurs chevillards de Seras, échange avec un boucher. ‘’Malé, je veux 18 kg de faux-filet aloyau’’, lance ce dernier. Le sourire aux lèvres, il lui rétorque : ‘’Et ce que tu avais pris hier ? Règle-le d’abord !’’. La réponse du détaillant ne se fait pas attendre. ‘’Demain, je te paie tout. Je dois récupérer de l’argent auprès de certains clients.‘’ L’accord est trouvé. C’est une dette de plus du boucher à Malé.

Et, c’est comme ça tous les jours, entre éleveurs, chevillards, détaillants et tripiers. Evoluant dans cette profession depuis 20 ans, ayant d’abord été aide-chevillard pour son oncle, Malé reconnaît que c’est un domaine à risques. ‘’C’est nous qui achetons les bêtes et qui vendons après la viande aux bouchers et le 5e quartier aux tripiers. Le seul bénéfice dont on peut être sûr, c’est l’argent des abats. Sinon, soit on perd sur le prix de vente de la viande, soit des gens disparaissent tout simplement avec ce qu’ils nous doivent. Et là encore, nous sommes obligés de payer aux éleveurs ce qu’on leur doit’’, explique-t-il.

Même si le kg de viande est vendu actuellement en salle, à la Sogas, à 2 500 F Cfa, le premier souci des chevillards, c’est de récupérer le prix d’achat de la bête et certains frais supplémentaires. Très superstitieux comme tous ses collègues, sous prétexte que c’est le milieu qui le demande, Malé ne tient ni à donner son vrai nom, ni à être pris en photo, encore moins à s’avancer sur son chiffre d’affaires. ‘’Wax baaxul ‘’ (notre milieu demande la discrétion)’’, lance-t-il. ‘’Tout ce que je peux vous dire, c’est que le business n’est pas fructueux. Et il y a plein de risques.‘’ A ses côtés, son aide-chevillard qui a fini de suivre  tout le circuit, depuis leur abattage jusqu’à leur débarquage dans la salle. Deuxième œil de son patron, il a le regard sur tout.

Agé de 34 ans, Cheikh Diop est dans le secteur depuis 1995. Après avoir été avec ses oncles, il se démène aujourd’hui  tout seul et ne regrette pas de s’y être tourné après avoir arrêté ses études, en classe de CM². Il dit : ‘’Je peux avoir jusqu’à 10 000 F Cfa par jour comme je peux rentrer bredouille. Je suis chargé de la vente, du contrôle du poids et du recouvrement. C’est un bon boulot, qui demande dynamisme, courtoisie et surtout honnêteté et intelligence.’’

Même son de cloche chez Diego, chevillard de viande porcine. Agé de 33 ans, ce jeune catholique qui a hérité son business de son père soutient que le procédé reste le même avec les porcs, à l’exception des sous-business autour des autres bêtes. ‘’J’ai des clients mais, pour les tripiers, ils ne sont pas nombreux. Seules quelques femmes passent de temps à autre pour l’achat des pattes et de quelques abats’’, confie-t-il. N’étant pas nombreux dans ce domaine, Diego reconnaît qu’avec ses frères, ils font de bonnes affaires. 

AISSATOU THIOYE

Section: