Publié le 24 May 2019 - 03:24
BUSINESS RAMADAN, MBAYE KOUNDOUL

Un vannier aux doigts magiques

 

Au Sénégal, le ramadan est l’occasion de raffermir les liens sociaux et aider les nécessiteux à travers le ‘’Sukëru Koor". Aujourd’hui, cette pratique est devenue une lourde charge  pour bon nombre de Sénégalaises, avec les fameux ‘’paniers Ndogou’’. Et s’il y a une frange de la population que  ce rite arrange, à part les bénéficiaires,  ce sont bien les vanniers. ‘’EnQuête’’ vous en présente un : Mbaye Koundoul.

 

En cette période de ramadan, les vanniers de Dakar ne chôment point. Ils rivalisent d’ingéniosité et de créativité pour mettre sur le marché diverses formes et couleurs de paniers pour les Sénégalaises désireuses de marquer les attentions avec ‘’les fameux paniers Ndogou’’. Chez Mbaye Koundoul, vannier installé au bord du canal IV, sur les  deux  voies menant vers la corniche, les jeunes dames se succèdent pour passer leurs commandes. C’est bien la période des bonnes affaires pour ce vannier présent sur ce  lieu depuis 2005.

Vêtu d’un tee-shirt jaune, un pantalon super 100 noir et un bonnet multicolore bien vissé sur la tête, le sexagénaire rassemble ses feuilles de rônier, après les avoir nettoyées pour tricoter ses paniers. Toute la journée, de 8 h à 20 h,  il reste assis sur son banc en bois sur lequel est soigneusement posée une  couette pour plus de confort. Son dos courbé, ses mains pleines d’éraflures et recouvertes de peinture renseignent sur son difficile  travail. Malgré la fatigue qui se lit sur son visage,  le natif de Dakar-Plateau est enthousiaste.

Les clientes sont au rendez-vous. L’affluence est tellement importante que le vannier semble incapable de satisfaire toute la clientèle. Les ventes se  font désormais sur commande. Il faut passer sa commande un ou deux jours auparavant pour acquérir l’article. Cela, parce que la confection des paniers prend beaucoup de temps. En plus, le vieux Koundoul travaille tout seul et n’arrive à confectionner que 4 à 5 paniers par jour. Les feuilles de rônier sont sa matière première. Un  fagot lui  coûte 12 500 F Cfa. C’est un grand vannier dakarois qui les importe de la Gambie pour les revendre aux  autres.  Chaque jour, M. Koundoul quitte son domicile sis à Guédiawaye dès 6 h du matin pour arriver à son atelier à 8 h. Il ne le quitte qu’après la rupture du jeûne, vers 20 h. Il travaille 7 jours/7. Il  n’a donc ni week-end ni jour férié.

La vannerie, ce métier qu’il a hérité de ses parents,  est sa vraie passion. Né en 1958 à Dakar-Plateau, après son exclusion de  l’école en 1972, le jeune Koundoul intègre ce que l’on appelait  alors ‘’le lycée de Mame Malick’’, nom donné à l’atelier de ce grand vannier qui initiait  les jeunes du Plateau au métier. Selon ce sexagénaire à la silhouette efflanquée, la vannerie est un métier  traditionnel dans leur famille. Au  village de Guinth, situé à 5 km de Linguère, dans la région de Louga d’où sont originaires ses parents, la vannerie  est la principale occupation des populations. C’est pourquoi, dès qu’un jeune quitte l’école, il est directement conduit dans les ateliers de vannerie.

Miser sur l’innovation et la créativité pour attirer la cliente

Pour attirer une clientèle de plus en plus exigeante, le vannier a décidé de miser sur la créativité et l’innovation. Le vieux Koundoul se veut créatif. Il propose des formes et dimensions variées pour séduire ses nombreuses clientes. Finis les paniers aux couleurs unies des feuilles de rônier. Avec la peinture, les clientes ont désormais le choix des paniers colorés à leur goût. Pour cela, il suffit juste d’oser mettre la main à la poche. Les prix varient entre 2 000 et 3 000 F Cfa, selon qu’ils soient colorés ou non.

Le vieil artisan séduit ses clientes également par sa générosité. Mbaye Koundoul propose  les meilleurs prix sur le  marché. Un de ses  amis vanniers,  trouvé sur place, considère même que  le défaut de Koundoul est son excès de générosité. ‘’Il travaille beaucoup pour après bazarder ses articles. Tous les objets de vannerie que l’on trouve à Dakar sont vendus beaucoup moins cher chez lui. Il arrive même qu’en négociant les prix avec un client, il finit par lui offrir l’article. C’est triste, car il travaille pour ne rien gagner’’, témoigne son ami,  donnant l’exemple de ces têtes de mannequin utilisées par les coiffeuses pour la confection des perruques. Dans toutes les vanneries, elles coûtent  1 500 F Cfa, mais chez Koundoul, on les échange à 1 000 F Cfa.

Le vieux Koundoul pratique son métier par pure passion. Son seul regret est que la jeune génération ne s’intéresse plus à la vannerie. ‘’Avant, les objets de la vannerie étaient bien utilisés dans les ménages. Les femmes utilisés nos paniers pour aller au marché. Les armoires, les bancs étaient fabriqués par les vanniers. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas et on ne reçoit de clients que pendant le ramadan pour confectionner le ‘panier Ndogou’’’, regrette le vannier. C’est pourquoi les jeunes ne s’intéressent pas à ce métier qui est en train de disparaitre.

D’ailleurs,  aucun des enfants du vieux Koundoul n’a hérité de sa passion. Sa progéniture n’est pas intéressée et ne connaît rien à ce qu’il fait. ‘’Mon fils aîné est pharmacien et la cadette passe le Bac. Aucun de mes enfants ne pratique la vannerie. Je n’ai personne à qui léguer mon savoir-faire et ce beau métier qui reste un bel art’’, regrette-t-il.

ABBA BA

 

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