Publié le 26 Oct 2012 - 09:40
C'ÉTAIT HIER – DES TABASKI MACABRES EN CASAMANCE (2ème Partie)

Des victimes sans bourreaux

Photo, Google

 

 

Ancien président du Conseil régional de Ziguinchor et ex-Chargé de mission à la Présidence de la République, Omar Lamine Badji et Samsidine Néma Aïdara ont été assassins à un an d'intervalle, entre 2006 et 2007. Depuis, la recherche de la vérité dans ce double meurtre se heurte à un mur d'acier, entre lenteurs de la justice et mystères du conflit casamançais.

 

Le 30 Décembre 2006, aux environs de 21 heures, alors que la Communauté musulmane s’apprêtait à célébrer l’Aïd al Adha, El Hadji Omar Lamine Badji OLB), qui exerçait encore les fonctions de Président du Conseil régional de Ziguinchor, est odieusement assassiné par une bande armée dans son village natal de Sindian, dans le département de Bignona. Sa maison est incendiée. Calcinés, tout comme son véhicule de fonction stationné dans la cour, les murs de la demeure, dont des impacts de balles perceptibles à l’œil nu, témoignent de l'atrocité de cette expédition punitive. Comme une onde de choc, la nouvelle envahit la Casamance et le Sénégal tout entier. La fête de Tabaski est une institution irrévocable, mais elle est célébrée entre consternation, douleur et tristesse.

Le mardi 2 janvier à Sindian, le président de la République d'alors, Me Abdoulaye Wade, présent à la cérémonie d'inhumation d'OLB, prend solennellement l’engagement de financer la reconstruction de la maison de ce compagnon historique dans le Parti démocratique sénégalais. Dans l'euphorie et la douleur des instants, il promet, au préalable, d’user de tous les moyens d'Etat pour «faire identifier, arrêter et châtier» les exécutants et commanditaires de «ce crime ignoble», «qu’ils soient de son parti, d’une autre formation politique ou du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC)». Et pour encourager la manifestation de la vérité, il offre une récompense de 50 millions de francs Cfa, un visa et un billet d’avion à toute personne qui aiderait à identifier les meurtriers de son proche ami. Abba Diédhiou, le principal suspect, est arrêté par les forces de sécurité au moment même de l’enterrement du défunt dans le village de Sindian, puis détenu à la Maison d’arrêt et de correction de Ziguinchor. C'était un animateur à la radio communautaire de Sindian.

 

Le suspect meurt dans des conditions mystérieuses

Alors que les populations attendent que l'assassinat de Omar Lamine Badji soit élucidée, on apprend plutôt la mort «par suicide» du cerveau présumé, le sieur Abba Diédhiou qui, on ne sait trop comment, se serait retrouvé en dehors de la Mac de Ziguinchor alors qu'il était censé y être en détention. Me Ibrahima Sarr et la famille du défunt rejettent alors très vite la thèse du suicide. Face à la presse, l'avocat laisse éclater son indignation car, dit-il, il y a beaucoup de points suspects autour de cette mort. Dont le fait que les gendarmes n’aient même pas pris le soin d’informer le juge d’instruction où lui-même, de l'extraction de prison du suspect. «Quand j’ai appris (…) le décès d'Abba Diédhiou, j’ai été surpris et choqué par la manière avec laquelle les choses se sont déroulées», disait l'avocat face aux journalistes. «Il semble qu’on l’ait fait sortir de prison pour l’interroger. Je me suis demandé à quel titre ils ont pu le faire si on sait que le dossier est déjà entre les mains du juge. Or, avait-t-il ajouté, le juge n’a jamais donné l’autorisation de le faire sortir pour le faire entendre...»

 

Suite et fin

 

Pour la «robe noire», même en cas de délégation judiciaire, «il y a des conditions, et les gendarmes ne peuvent, une fois le dossier en instruction, s'en ressaisir pour l’interroger.» C'est bien par la suite, avait révélé Me, que certaines sources lui ont appris qu'on s'est servi du prétexte «d'une autre infraction relative à un trafic d'armes pour permettre aux gendarmes d'extraire Abba Diédhiou de sa cellule.

Qui a bien pu ordonner l'extraction d'Abba Diédhiou de la Mac de Ziguinchor, s'interroge-t-on ? Me Ibrahima Sarr répond : «Je sais que ce n’est pas le juge car j’étais dans son bureau quand on lui téléphonait pour demander de l’extraire. Il avait refusé», raconte l'avocat. Qui poursuit sa vérité des faits. «On a dit au juge : on veut l’extraire non pas pour le dossier que vous avez en main, mais pour l’interroger sur une autre infraction liée à un trafic d’armes». Me Sarr, convaincu de l'existence de sérieux doutes contre la thèse des pandores, explique : «Quand j’ai appris la mort de Abba Diédhiou, je me suis renseigné, on m’a dit qu’il s’est suicidé... Puis on l'a fait enterrer à la va-vite ; autant de raisons pour moi d'être sceptique.»

Le mystère s'épaissit quelques temps après, avec le décès du jeune frère du suspect principal, Ayeuni Diédhiou alias « Ayéyé ». Lui aussi se serait donné la mort en Gambie, sa dépouille rapatriée dans son village de Tandine où il a mis sous terre. Depuis lors, les pistes de l’enquête sur le meurtre de Omar Lamine Badji semblent s'être brouillées. Durablement.

 

Troublante coïncidence !

Alors que la mort de l'ancien président du Conseil régional de Ziguinchor n'a pas fini de défrayer la chronique dans le Sud, un autre drame survient, un an après, dans des circonstances identiques. Chérif Samsidine Néma Aïdara, membre du collectif des Sages casamançais, et Chargé de mission à la Présidence de la République en charge précisément du dossier Casamance, est froidement abattu par des individus armés. L’assassinat a lieu le jeudi 20 décembre 2007 aux environs de 21h, dans son village de Mahmouda Chérif, localité située à une dizaine de km de Diouloulou. Tout comme OLB, Samsidine Néma Aïdara revenait de Ziguinchor, la veille de Tabaski, après une brève escale à Bignona.

Pour les besoins de l'enquête, plusieurs personnes sont arrêtées dont Samsidine Kébanding Dino Aïdara, porte-parole de la victime et compagnon de tous les jours. Il est mis en examen pour «complicité d’assassinat et association de malfaiteurs» sur la personne du chargé de mission à la Présidence. Placé sous mandat de dépôt à la Mac de Ziguinchor depuis le 1er janvier 2008, il n'a jusqu'ici pas été jugé et ne parvient pas à obtenir une liberté provisoire, en dépit des demandes introduites par ses avocats. Selon son avocat, Me Ibrahima Sarr, Samsidine Dino Kébanding «sait qu’il n’a rien fait», «ne se reproche rien du tout» et «a confiance en la justice» par rapport à un dossier d'accusation «sans aucune preuve, même indirecte.»

Qui donc a abattu Omar Lamine Badji et Chérif Samsidine Néma Aïdara en 2006 et 2007 ? Qui sont les commanditaires de ce double meurtre ? Difficile de s'avancer tant que la justice, à son rythme, continue de se muer dans un silence assourdissant. Jusqu'à quand les familles des victimes seront-elles, en ce qui les concerne, condamnées à ne pas faire une partie de leur deuil ?

 

HUBERT SAGNA

(Correspondant, Ziguinchor)

 

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