Publié le 13 Aug 2012 - 11:20
CÔTE D'IVOIRE-CPI

L'heure de vérité pour Laurant Gbagbo

Depuis octobre 2011, magistrats, juristes et enquêteurs de la Cour pénale internationale (CPI) préparent dans le plus grand secret l'audience, initialement prévue ce 13 août, au cours de laquelle l'ancien président Laurent Gbagbo se présentera devant ses juges.

 

Dans sa prison de Scheveningen, Laurent Gbagbo attendait son audience du 13 août dans le calme et la sérénité. L'ancien professeur d'histoire, philosophe à ses heures, avait même adopté une devise - « Fais ce que tu dois, advienne que pourra » - empruntée à la famille Pérusse des Cars, qui a fourni à la France de valeureux militaires, de brillants intellectuels et de courageux serviteurs de l'État, du temps des croisades jusqu'à la Ve République. Mais le 3 août au matin, ses avocats lui auront finalement obtenu un nouveau répit. L'audience a été reportée sine die par la Cour pénale internationale (CPI) pour des raisons de procédures liées à l'état de santé du prévenu.

 

 

Transféré dans la banlieue de La Haye, aux Pays-Bas, en novembre, le plus célèbre pensionnaire de la CPI avait eu le temps de préparer sérieusement sa défense. Me Altit, son principal défenseur, lui avait méticuleusement décrit le déroulement de l'audience, les pièges à éviter et l'attitude à adopter. Une sorte de répétition pour une séquence qui devait durer plusieurs jours. Gbagbo devait séduire son auditoire, développer ses arguments sans heurter les juges. « Quoi qu'il en soit, il est confiant et donnera sa version des faits », explique l'un de ses proches.

 

 

À quelques kilomètres de Scheveningen, le nouveau procureur de la CPI, Fatou Bensouda, était elle aussi prête. La Gambienne a consacré énormément de temps à l'affaire Gbagbo. Sérieuse, appliquée, déterminée, elle sait que ces premiers pas, devant toutes les caméras de la planète, marqueront son début de mandat. Un bon départ lui permettrait de travailler dans la sérénité alors que la CPI a été décriée durant les deux dernières années du mandat de son très médiatique prédécesseur, l'Argentin Luis Moreno-Ocampo. Au nom des victimes, Bensouda mettra toute son énergie pour convaincre les juges de confirmer les charges qui pèsent contre l'ancien président ivoirien et d'ouvrir un procès.

 

Depuis le mois d'octobre 2011, une vingtaine de magistrats, juristes et enquêteurs ont préparé dans le plus grand secret cette audience avec l'appui des autorités ivoiriennes. De très nombreuses missions « in situ » pour recueillir des preuves ont été menées. Des témoignages écrits de victimes et de prisonniers ont été versés au dossier. Des rapports et des vidéos (plus de 400) ont donné lieu à la rédaction d'un document remis aux juges et à la défense. À cela s'ajoutent plus de 9 000 pages d'annexes, classées, pour certaines, confidentiel.

 

"Il s'est servi de l'appareil de l'État ivoirien"

Le document principal, signé de la main de Fatou Bensouda, tient à démontrer que Gbagbo a planifié, ordonné et mis en oeuvre un déchaînement de violences avec l'aide de son entourage immédiat, dont Simone Gbagbo, Charles Blé Goudé, le leader des Jeunes patriotes, des représentants politiques et de hauts dirigeants militaires. « Il s'est servi de l'appareil de l'État ivoirien, y compris des Forces de défense et de sécurité (FDS), renforcées par des miliciens et des mercenaires... Il a régulièrement rencontré ses commandants pour orchestrer l'exécution de cette politique et a ordonné aux forces pro-Gbagbo de mener des attaques contre des manifestants civils », peut-on lire. Selon ce rapport, les forces pro-Gbagbo ont pris pour cible les habitants des quartiers d'Abidjan (notamment Abobo, Adjamé, Koumassi et Treichville) - peuplés de ressortissants du Nord, du Centre et des autres pays ouest-africains - considérés comme des bastions d'Alassane Ouattara. Les maisons étaient souvent marquées, soit avec les lettres D (Dioula) ou B (Baoulé) à la craie blanche, soit avec une croix peinte en noir, pour que les assaillants puissent les identifier. Les cibles auraient aussi été choisies pour des motifs religieux, visant tout particulièrement la communauté musulmane.

 

Les équipes du procureur ont particulièrement répertorié quatre événements : les attaques contre les manifestants pro-Ouattara qui se dirigeaient vers la Radio Télévision ivoirienne (16 décembre 2010), la répression d'une manifestation de femmes à Abobo (3 mars 2011), le bombardement du marché dans ce même quartier (17 mars 2011) et le massacre de civils à Yopougon (avril 2011). Selon le procureur, Gbagbo aurait exhorté ses forces : « Je veux que vous puissiez tenir. Je ne veux pas perdre Abobo », et aurait publiquement déclaré qu'il « nettoierait » ce quartier pour le transformer en cimetière. Il aurait aussi enjoint à Charles Blé Goudé et au général Philippe Mangou, alors chef d'état-major de l'armée, d'enrôler des miliciens au sein des FDS, et participé au recrutement de mercenaires libériens. Enfin, il aurait financé ce dispositif et contribué à l'armement des forces qui lui étaient loyales en chargeant des subordonnés d'acquérir des armes à l'étranger.

 

Le bureau du procureur a dressé un bilan accablant : de 706 à 1 089 personnes tuées, au moins 35 cas de viols et 520 arrestations arbitraires, ainsi que des mauvais traitements sur 90 personnes. Ainsi Laurent Gbagbo, président de la République de Côte d'Ivoire et chef des armées à l'époque des faits, est poursuivi comme « coauteur de crimes contre l'humanité ». Quatre chefs d'accusation seront soumis à la décision des juges : meurtres ; viols et autres formes de violence sexuelle ; actes inhumains ; persécution. La décision pourrait être rendue en octobre.

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