Publié le 25 Oct 2013 - 23:45
CANCER AU SÉNÉGAL

''Abandonnés'', la majorité des malades agonisent dans d'atroces douleurs

 

Le rapport 2013 de Human Rights Watch sur le traitement du cancer au Sénégal, présenté hier à Dakar, établit un tableau sombre sur la question des soins palliatifs. Selon le constat fait, la majorité des patients atteints d'un cancer vivent et meurent dans d'atroces douleurs, alors qu'il existe des méthodes efficaces et peu coûteuses permettant d’atténuer leurs souffrances.

 

Au Sénégal, 70 000 personnes atteintes de maladies limitant l’espérance de vie ont besoin de soins palliatifs chaque année. Cependant, le pays utilise une quantité annuelle de morphine qui suffit à peine à traiter près de 194 patients souffrant de douleurs dues à un cancer à un stade avancé, alors que ce calmant n'est pas plus coûteux qu'une baguette de pain. C'est du moins ce qui résulte du rapport 2013 réalisé par des chercheurs de Human Rights Watch au Sénégal en décembre 2012 et juillet 2013, et présenté hier à Dakar. Intitulé ''Abandonnés dans l'agonie : le cancer et la lutte pour le traitement de la douleur au Sénégal'', ce rapport montre que la disponibilité des soins palliatifs au Sénégal est presque inexistante.

Pour 2013, a indiqué le rapport, le pays a estimé qu'il aurait besoin de 1 180 grammes de morphine. Ce qui représenterait 0,084 mg par habitant, soit 71 fois moins que la moyenne mondiale de 5,96 mg. ''Au moment des recherches (décembre 2012 et juillet 2013), le Sénégal ne disposait d'aucun service spécifique de soins palliatifs, et en dehors de Dakar, les soins sont totalement indisponibles. Il y avait une pénurie de morphine en raison de retards dans l'importation'', a déploré Angela Chung, chercheuse en justice sociale au sein de la division santé et droits humains de Human Rights Watch. Elle a ajouté qu'à ''l’époque, un seul hôpital dans tout le pays importait des pilules de morphine et il n’y avait qu’un seul fournisseur local de sirop de morphine. Il n’y avait donc pas d’autres solutions pour protéger les patients lorsque ces chaînes d’approvisionnement ont été interrompues''.

Plus meurtrier que le Vih/Sida, le paludisme et la tuberculose réunis

''Relativement peu d'informations fiables concernant les maladies non transmissibles (MNT) et les maladies chronique sont disponibles'', a révélé en outre Mme Chung, alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé que les MNT sont responsables de 30% de tous les décès du pays. Il y a 6 600 nouveaux cas de cancer chaque année au Sénégal et 5 100 décès suite au cancer, a-t-elle dit. Les cancers du col de l'utérus et les cancers du foie étant les formes les plus diagnostiquées.

Selon les chiffres et estimations de l'Onu-Sida et de l'OMS, les décès liés au cancer représentent plus de trois fois le nombre morts du Vih/Sida au Sénégal, voire plus importants que le Vih/Sida, le paludisme et la tuberculose réunis.

Des patients laissés à eux-mêmes en phase terminale

De l'avis des chercheurs, la connaissance des maladies non transmissibles et du cancer est limitée au Sénégal. Ce qui mène à des diagnostics fréquemment erronés et à une prise en charge tardive des patients. Ainsi, un pourcentage très élevé de maladies n’est diagnostiqué qu’à des stades avancés.

Selon le rapport, la grande majorité des patients sénégalais à un stade très avancé du cancer passent leurs dernières semaines chez eux. En conséquence, ils finissent abandonnés par le système de santé à un moment de leur vie où ils sont sans doute les plus vulnérables et subissent d'énormes souffrances qui pourraient être évitées avec des soins palliatifs de base. ''Les patients interrogés qui venaient de l’intérieur du pays ou dans les hôpitaux de Dakar ne disposant pas de morphine par voie orale, ont reçu des analgésiques de faible niveau qui ne peuvent généralement pas soulager la douleur modérée à sévère'', a dit Diederick Lohman, chercheur senior à Human Rights Watch.

Ce qui fait dire à Angela Chung que les conséquences physiques, psychologiques et sociales de la douleur modérée à sévère sur les individus représentent un sentiment de désespoir accablant un grand nombre d’entre eux. ''La faible disponibilité des soins préventifs et curatifs du cancer et d’autres maladies chroniques crée un besoin accru de soins palliatifs au Sénégal, parce que la grande majorité des gens sont diagnostiqués en phase avancée ou terminale de la maladie au cours de laquelle la douleur est sévère'', a soulgné Mme Chung.

Pour sa part, le docteur Marie Kâ, chef de la division de la lutte contre les maladies non transmissibles du ministère sénégalais de la Santé et de l'Action sociale, a estimé que c’est ''un rapport sans complaisance''. Et que le département va en tenir compte pour l’avenir.

Manque de système public d'assurance santé

Le rapport a révélé par ailleurs que le pays ne dispose pas de système public d'assurance santé. Certains professionnels ont une assurance privée par le biais de leur travail. Ce qui fait que la majorité des patients paient de leur poche pour presque toutes les consultations médicales, les procédures et les traitements. ''Seuls sont gardés à portée de main les médicaments d'urgence pouvant sauver des vies. Tous les autres produits (solutions intraveineuses, injections et analgésiques) doivent être achetés à la pharmacie et ramenés au personnel médical pour les administrer'', a observé Mme Chung. ''Même les patients qui arrivent en salle d'urgence dans un état grave et ceux en soins postopératoires doivent attendre parfois avec des douleurs extrêmes, jusqu'à ce qu'un membre de la famille puisse aller à la pharmacie chercher les médicaments'', a-t-elle encore déploré.

Viviane DIATTA

 

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