Publié le 6 Jul 2018 - 16:19
CANDIDATURE DE KARIM WADE

Les limites d’une bataille par procuration

 

Le Parti démocratique sénégalais disait que Karim Wade ne serait pas arrêté ; il l’a été et condamné à plus de 6 ans. Il disait qu’il serait au Sénégal pour les législatives de 2017 ; il n’est jamais venu. Aujourd’hui, il promet qu’il n’y aura pas d’élection au Sénégal sans leur candidat. Mais les libéraux en ont-ils les moyens ? Force est de constater que depuis 2012, les annonces du Pds, dans l’affaire Karim Wade, ont rarement été suivies d’effets.

 

Un discours qui ne varie pas. Des hommes qui ne changent pas. Un candidat qui se la coule douce à plus de 4 000 milles, soit 7 238 km de Dakar. Le destin du Parti démocratique sénégalais reste ainsi plus que jamais assombri. Le rêve d’Abdoulaye Wade de le porter à nouveau au pinacle, de plus en plus incertain. A quelques 7 mois de l’élection présidentielle, c’est toujours un flou total autour de la personne devant piloter le navire bleu. Pendant que la Direction générale des Elections ‘’exclut’’ de fait leur candidat proclamé, les libéraux, retranchés dans leur quartier général, à la cité résidentielle Keur Gor Gui, dénoncent et s’arc-boutent sur une revendication hypothétique. Faisant feu de tout bois, ils crient à hue et à dia qu’il n’y aura pas au Sénégal d’élections sans la participation de Karim Wade.

Une ‘’chimère’’, selon la plupart des analystes politiques. Ce lundi à leur siège, une dame, lasse des déclarations va-t-en-guerre jamais suivies d’effets, rouspète : ‘’Ce n’est pas ce qui nous a amenés ici. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir quand est-ce que Karim va rentrer au pays. Nous ne pouvons continuer à nous battre pour quelqu’un qu’on ne voit pas.’’ Ce grognement de cette militante lambda témoigne, s’il en était encore besoin, du moral de plus en plus en berne des troupes libérales. Pourtant, depuis le début de cette affaire Karim Wade, les arguments juridiques ne leur ont jamais fait défaut. Mais la réalité est que, sur le plan politique, les poulains d’Abdoulaye Wade n’ont remporté que peu de batailles, pour ne pas dire aucune, depuis leur chute, un soir du 25 mars 2012.

Les multiples annonces sans effets

Le destin du Parti démocratique sénégalais semble intrinsèquement lié aux Wade. Avant, c’était le père. Maintenant, le fils. Nous sommes en mars 2013. La Commission de répression de l’enrichissement illicite (Crei) envoie une mise en demeure à ce dernier. Ses partisans se mobilisent. Ils promettent l’enfer au régime, si jamais leur mentor est emprisonné. Tout le pays est ainsi tenu en haleine. Brûlera, brûlera pas ?, se demande-t-on.  Finalement, Karim est mis sous les verrous, un mois plus tard. A Dakar, c’est comme à Saly. Tout le monde vaque à ses occupations. Les thuriféraires du Pds mènent la bataille médiatique sans aucun acte concret grandeur nature. Ils protestent, Macky Sall et son régime déroulent.

Karim Wade en détention préventive, les libéraux promettent de mettre la capitale à feu et à sang, si jamais la justice le condamne. Des médiations sont menées de tous bords pour arrondir les angles. A l’arrivée, Macky Sall ne fléchit pas. Le fils de l’ancien président est jugé et condamné, malgré les décisions contraires de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et du Groupe de travail des Nations Unies. Il en a été ainsi à tous les niveaux de la procédure. Mais, comme Lat Dior face au projet du colon de construire le chemin de fer Dakar - Bamako, les libéraux ne sont jamais parvenus à faire échec à la volonté du régime d’envoyer leur leader à l’hôtel zéro étoile. Là-bas, il croupira durant trois longues années, sous le regard impuissant de ses sympathisants.

La renaissance avortée

Jusque-là considéré comme un enfant gâté qui doit tout à son père de président, Karim, en prison, se fait une toute nouvelle réputation. Il est décrit par ses différents visiteurs comme un homme ‘’pieux’’, ‘’courageux’’… En atteste ce témoignage du défunt journaliste Tamsir Jupiter Ndiaye qui a eu à le côtoyer à la maison d’arrêt. Dans une interview avec ‘’EnQuête’’ en janvier 2016, il disait : ‘’J’ai été extrêmement impressionné par sa force et sa solidité. J’ai trouvé un Karim Wade vivant, dynamique et plein de foi. J’engage mon honneur en le disant : j’ai trouvé un Karim plein d’humanisme…’’

Mais ce témoignage, aussi éloquent soit-il, ne résiste pas au temps. Pour une raison ou une autre, l’ancien ministre a accepté de quitter le territoire national dans des conditions jusqu’ici non élucidées. Pourtant, alors même qu’il était en prison, son parti avait misé sur lui pour son retour au pouvoir. Ce qui avait précipité les départs de certains ténors comme Modou Diagne Fada et Aïda Mbodj. A propos de son investiture, le journaliste politologue confiait : ‘’Je sens quelqu’un qui, politiquement, est prêt. C’est quelqu’un de très intéressé par l’actualité (…). Paradoxalement, il a un bel esprit de dépassement. Durant nos discussions, je ne l’ai jamais entendu tenir un propos déplacé sur le président Macky Sall, ni malveillant à l’endroit des membres de l’Apr. Même avec l’histoire de Modou Diagne Fada et Aïda Mbodj, j’ai voulu le provoquer, mais j’ai vu qu’il prenait du recul pour l’aborder avec une certaine sagesse.’’ 

Le départ en exil qui bousille tout

Libéré de prison au milieu de la nuit, des sympathisants ont tenu à braver les ténèbres pour aller au Point E célébrer leur leader. Hélas, ils ne le verront jamais. Karim, une fois dehors, a filé tout droit vers le Qatar où il se la coule douce, se reconstruisant une vie ‘’confisquée’’ pendant plus de trois ans. Ses militants, pendant ce temps, pleurent son absence. Jusqu’à présent, ils l’attendent avec impatience. Certains ont fini de perdre tout espoir de le voir de sitôt. En tout cas pas avant l’échéance fatidique de 2019. D’autres, plus chanceux, se contentent des causeries sur WhatsApp. Poussant même certains de ses détracteurs à lui coller l’étiquette ‘’Président WhatsApp’’ ou ‘’Candidat virtuel’’.

En effet, de Doha, Karim câble ses lieutenants, chefs religieux et sympathisants. Il donne des instructions et commande sa compagnie en pleine période pré campagne électorale.

Mais comment passer du virtuel au physique ? Voilà une équation que l’ancien ministre d’Etat semble avoir du mal à résoudre. Dans une de ses dernières sorties hyper médiatisées, il promettait de revenir au bercail, bientôt. Mais, comme les propos d’un politicien, cette déclaration va engager que ceux qui y croient. Avec ses envolées spectaculaires jamais matérialisées, le refugié de Doha ne fait plus peur. Les autorités, naguère promptes à saisir même les autorités qataries pour protestations, semblent maintenant s’y habituer. Elles restent sur leurs gardes, mais ne paniquent plus. Réagissant aux diatribes de l’exilé, le porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, disait : ‘’Ceux qui ont maille à partir avec la justice vont en découdre avec la justice. Donc, point de quêtes populaires pour rembourser ce qui est dû à la nation. Dura lex, sed lex… Le président Macky Sall est dans le temps de l’action, au service exclusif du peuple sénégalais.’’

Cette mise en garde a jusque-là produit des résultats probants. Malgré les coups d’éclat, Karim n’a jamais tenu sa promesse de rentrer. Et pourtant, depuis 2017, les plus hautes autorités du Pds en ont fait le serment. En ses lieux et places, c’est plutôt le ‘’Pape du Sopi’’, son père, qui est descendu au charbon pour porter le combat du fils, lors des législatives.

Depuis lors, les positions restent figées. Du côté des responsables de la majorité, Karim est définitivement écarté par le droit. Chez les libéraux, l’on défend une version diamétralement opposée. Leur communication de la peur est de plus en plus démythifiée par les populations, y compris certains militants. Ces derniers temps, la machine s’est on ne peut plus emballée avec les sorties successives du ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall, son collègue de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye et de l’administration en charge des élections.

Avec ces dernières évolutions, à en croire certains observateurs, les dés pour le candidat du Pds sont déjà pipés.

MOR AMAR

Section: