Publié le 27 May 2019 - 20:39
CANNES

A Dakar, la joie de la jeune héroïne d'«Atlantique», Grand Prix 2019

 

Le film Atlantique, de la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, a obtenu le Grand Prix du Festival de Cannes samedi 25 mai 2019. Dans ses remerciements, la cinéaste a eu une pensée particulière pour les « rues de Dakar » où a été tourné son long-métrage. Des rues dont sont également originaires les acteurs du film, dont l'héroïne Mame Bineta Sané.

 

Mame Bineta Sané, qui tient le rôle principal dans le film Atlantique, habite dans la banlieue de la capitale sénégalaise. Samedi, la jeune femme de 19 ans a appris la nouvelle et fêté le prix à Thiaroye-sur-Mer, dans la petite maison familiale.

« Aujourd'hui, je suis très heureuse. Je remercie le Bon Dieu et je prie pour que tout cela continue. Je remercie également mes parents. C'est grâce à eux si j'en suis arrivée là », confie l'actrice (notre critique du film ici).

Une victoire partagée par son frère, Badou Sané. « C’est extraordinaire », dit-il. « On était là, vous le voyez à ma voix, on a sauté de joie à ce moment-là ! On est très, très heureux. On ne parvient même pas à expliquer notre joie. »

Celle qui se destinait à devenir mannequin a rencontré par hasard Mati Diop. C’est dans une petite rue du quartier de Thiaroye Cinéma - ça ne s’invente pas - que la réalisatrice a fait la connaissance de la jeune fille.

« Mati a cru en moi », confie Mame Bineta Sané au sujet de la réalisatrice. « Elle m'a encouragée tous les jours », « a pris du temps pour me mettre à l'aise et pour que je me familiarise avec la caméra », dit-elle encore.

« À une semaine du début du tournage, on devait répéter sur une scène particulièrement importante pour mon personnage », se rappelle l'actrice. Et d'ajouter : « Je n'avais jamais fait ça avant. »

C'est lorsque Mame Bineta Sané a réussi cette première scène, dit-elle, qu'elle a « gagné en confiance pour la suite du film ». Depuis la fin du tournage il y a un an, elle souhaite maintenant poursuivre sa carrière d’actrice.

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Avec «Atlantique», les morts-vivants de Mati Diop reviennent au Sénégal

Mame Binta Sane incarne Ada dans «Atlantique», film réalisé par la Franco-Sénégalaise Mati Diop et en lice pour la Palme d’or du Festival de Cannes.Les films du bal

C’est son premier long métrage et elle est la première réalisatrice africaine en lice pour la Palme d’or. Avec Atlantique, la Franco-Sénégalaise Mati Diop tient un plaidoyer à la fois poétique, politique et onirique appelant à ne pas baisser les bras face aux drames de l’émigration clandestine dans les pays africains. À 36 ans, elle choisit une façon inédite de braquer la caméra sur la situation d’une jeunesse sénégalaise tellement désespérée qu’elle est prête à plutôt mourir qu’à rester. Le drame de l’exil vu par les forces féminines.

Dès les premières images, elle est là, la mer. Face à elle, même la caméra tremble parfois. Filmée comme une personne de caractère sous tous les angles, de près et de loin, calme et déchaînée, tendre et terrifiante, lumineuse et ténébreuse, la mer est le fil de cette histoire qui se déroule dans une banlieue populaire de Dakar, la capitale du Sénégal.

Le chantier de la grande Tour

Tout au début, sur les premières images, on ne la voit pas, mais on l’entend gronder, au pied du chantier de la grande tour nommée Atlantique. Ici, entre ciel et terre, les ouvriers s’activent et s’épuisent. Cela fait trois mois qu’ils n’ont pas été payés. Ils se plaignent, ils se révoltent, mais tout ce qu’ils récoltent, c’est le mépris du grand patron. Alors, la seule consolation pour Souleiman, l’un des jeunes ouvriers, c’est Ada, son amoureuse.

Mais, même quand ils s’embrassent, l’Atlantique est là. « Tu fais que regarder l’océan. Tu ne me regardes même pas », lui reproche Ada, incarnée avec subtilité et grandeur par Mame Binta Sane. Leur amour semble semé d’obstacles. Ils doivent se rencontrer en cachette. Ada est promise en mariage à un homme riche. Elle s’en fiche. Elle ne l’aime pas. Son cœur appartient à Souleiman. Mais, un jour, endetté et désespéré, celui-ci prend la mer sur une pirogue pour conquérir l’Europe…

Les fantômes des migrants

C’est à partir de ce moment que Mati Diop innove avec sa caméra en restant au Sénégal avec celles qui attendent, brisées, dévastées. La tempête arrive, le bateau se brise face aux vagues hautes comme une maison. Mais, pendant qu’on vit le drame de l’exil avec les yeux d’une femme abandonnée, se produisent alors des choses bizarres : le lit de noces prend feu, Ada et ses copines Fanta, Dior et Mariana commencent à être frappées par des maladies mystérieuses face auxquelles même les marabouts s’avèrent impuissants. Surtout, certains disent avoir aperçu les fantômes des migrants restés en mer.

C’est de là que la résistance va partir contre les humiliations et pour une vie en dignité. Les femmes envoûtées et possédées réclament leur dû. Les corps sans tombeau au fond de l’océan rejoignent le monde des morts-vivants. Quand l’infini de la poésie se mêle au fantastique et au tragique de la vie, l’injustice du monde ressurgit du fond de l’Atlantique. Et ce n’est pas anodin que ce soit une femme qui soit porteuse de cette émancipation.

La force féminine et la liberté cinématographique

Cela montre aussi le chemin parcouru par Mati Diop. En 2010, dans son court métrage Atlantiques, elle racontait le drame de l’exode avec un regard encore très documentaire et viala traversée d’un jeune homme. Aujourd’hui, avec son premier long métrage tourné en wolof, elle met l’accent sur la force féminine et l’imagination pour assumer sa liberté cinématographique, mais aussi pour essayer de dépasser et changer une réalité devenue insoutenable des deux côtés de la rive. Née en 1982 à Paris, elle a toujours déclaré : « Je viens à la fois d’ici et d’ailleurs, du Sénégal ».

Souvent décrite comme la relève du cinéma sénégalais, Mati Diop est une admiratrice du cinéma déroutant et envoûtant du réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, Palme d’or en 2010. À l’âge de 36 ans, la fille du musicien Wasis Diop s’affirme aujourd’hui, avec sa sélection en compétition à Cannes, comme une digne héritière de son oncle, le célèbre cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambéty, qui avait reçu en 1973 le Prix de la critique à Cannes pour Touki Bouki.

 

 

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