Publié le 10 Mar 2016 - 01:37
CASAMANCE

Chériffo Bassène emporte les secrets mystiques du MFDC dans sa tombe

 

Décédé jeudi dernier à Ziguinchor, Chériffo Bassène, connu sous le nom de Djiriffong, dans la commune d'Enampore, est une figure de l'ombre du Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Maître du bois sacré au tout début de la rébellion, l'homme est un pilier du braisier casamançais à ses débuts, et emporte avec lui beaucoup de secrets au sujet du caractère mystique supposé, ayant fondé les origines de ce conflit armé.

 

Le 6 décembre 1982, trois parmi cinq gendarmes partis confronter des indépendantistes en réunion dans leur bois sacré de Diabir, à la lisière de Ziguinchor, sont tués. Dans la même nuit du 06 au 07 décembre 1982, Ameth Kounta, un maure sénégalais proche du Parti socialiste et habitant le quartier Lyndiane de Ziguinchor, est enlevé et porté disparu.

Des arrestations sont effectuées dans les rangs indépendantistes. Le MFDC est décapité. Abbé Diamacoune Senghor, Mamadou Nkrumah Sané, Mamadou Diémé et Sanounou Bodian sont tous arrêtés, en même temps qu'un certain Chériffo Bassène. Ce natif du Moff-Euvi dans la commune d'Enampore, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Ziguinchor, est soupçonné d'avoir enlevé et exécuté Ameth Kounta. Le nom de Mamadou Nkrumah Sané est aussi cité dans cette affaire. La Casamance est sous le choc, d'autant plus que Kounta, comme il était affectueusement appelé, était connu pour son commerce facile et son caractère jovial qui le rendaient proche de tout le monde. Mais ce qui choque le plus, ce sont les rumeurs sur les circonstances de cette mort qui font état d’un crime rituel.

Une semaine après son arrestation, Chériffo Bassène passe aux aveux. Il conduit les gendarmes qui l'interrogent dans l'arrière-cour de sa case, d'où il sort un couteau dissimulé sous un mortier. Appelé aussi Djiriffong, dans son terroir natal, Chériffo Bassène confie qu'il s'agit de l'arme du crime de l'assassinat d'Ameth Kounta. Il conduit les gendarmes à la sortie des rizières de Lyndiane et leur indique le lieu où le corps d'Ameth Kounta a été enterré. La dépouille est exhumée par les sapeurs-pompiers et les indépendantistes arrêtés dans cette histoire sont transférés à Dakar où ils sont emprisonnés.

Cet épisode marque un tournant dans ce qui est devenu l'un des plus longs conflits d'Afrique. En effet, les femmes du MFDC retirées à Mangoukouro et les hommes basés dans leur bois sacré de Diabir s'organisent pour apporter une riposte. Ils font circuler des tracts, dans la nuit de 24 et du 25 décembre 1982, en prélude à la grande marche du lendemain 26. On connaît la suite.

Un an plus tard, l'Abbé Diamacoune Senghor, Mamadou Nkrumah Sané, Mamadou Diémé et Sanounou Bodian sont condamnés à 5 ans d'emprisonnement. Dix autres indépendantistes écopent d'une peine de 3 ans ferme. Deux ans plus tard, en décembre 1985, la Cour de Sûreté de l’Etat démarre un autre procès contre 105 prévenus, tous accusés d'être des indépendantistes du MFDC. Président de cette Cour, le juge Aly Ciré Ba, assisté de deux assesseurs militaires, prononcent leurs verdicts, le 04 janvier 1986. 73 prévenus sont relaxés. 34 sont condamnés à des peines allant de 20 à 10 ans de travaux forcés. Le reste écope de condamnations allant de 2 à 5 ans.

Chériffo Bassène maintient ses aveux devant la Cour de sûreté de l'Etat qui le reconnaît coupable de l'assassinat d'Ahmet Kounta. Il est condamné à une peine de prison à perpétuité. Libéré à la faveur d'une grâce présidentielle, Chériffo Bassène s’éloigne du MFDC pour monnayer ses pouvoirs mystiques de guérisseur traditionnel dans le quartier de Lyndiane où il est décédé dans son domicile, jeudi dernier. 

MAME TALLA DIAW

 

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