Publié le 27 Oct 2013 - 08:55
CENTRE CULTUREL - GESTION

Malaise à ''Blaise Senghor''

 

Rien ne va plus au Centre culturel Blaise Senghor (CCBS), une structure régionale. Du moins si l'on en croit des artistes et agents de l'établissement, contredits cependant par leur directeur.

Temple de la culture, le Centre culturel Blaise Senghor (CCBS) végète. Tout serait lié en grande partie à son budget drastiquement revu à la baisse. De 30 millions de francs Cfa par an, il a été réduit de 8 millions F Cfa en 2013. Or, rien que les charges salariales du centre engloutissent environ 21 millions. C'est dire les difficultés d'arbitrage qui se posent à son directeur entre le paiement des salaires et le subventionnement des activités culturelles.

Sauf que de sources sûres, beaucoup d’agents se réclament du CCBS alors que dans les faits, ils n’en sont pas. Autrement dit, ils sont gracieusement payés à ne rien faire. Selon nos interlocuteurs, depuis le départ de l'ex-directrice Awa Cheikh Diouf, le centre baigne ainsi dans une léthargie chronique. Très peu d'activités s'y mènent si ce ne sont des initiatives venues de l'extérieur.

La révision du statut des travailleurs

En fait, le personnel du CCBS comprend 15 agents contractuels directement liés au centre, 4 animateurs culturels dépendant du ministère, 6 fonctionnaires et 8 animateurs culturels. Quand le nouveau directeur Baba Ndiaye a pris fonction, il a voulu, selon certains, avoir plus de poigne sur ses agents. Il a ainsi fait signer à ses agents des contrats de travail en bonne et due forme. Il aurait néanmoins négligé de bien faire attention à la masse salariale du personnel avant d'apposer sa signature et se retrouve aujourd'hui dans des difficultés immenses pour faire face à ses engagements. Et, à en croire nos sources, un fondé de pouvoir du Trésor lui aurait donc suggéré de réduire le nombre d'agents.

''Revoir l'ancienneté à la baisse''

Baba Ndiaye aurait ainsi appelé son personnel en réunion pour les informer de la situation. ''Je ne vais pas renvoyer des agents, mais essayer de nous arranger en revoyant vos anciennetés à la baisse pour nous permettre d'être en règle avec les cotisations sociales'', aurait-il suggéré. Les agents auraient donné leur assentiment de prime abord mais, après s'être confiés à leurs proches - qui leur ont dit de refuser - certains ont décidé de solliciter l'appui de l'inspection du travail. Interpellée, la direction se serait déclarée prête à revenir sur sa décision et à étudier une autre piste.

Des travailleurs n'ont donc d'autant pas voulu réduire leur ancienneté de plus de 15 ans que la direction payerait mensuellement un chauffeur alors que le centre n'a pas de véhicule, ainsi qu'à deux cameramen alors que depuis longtemps l'établissement n'arrive plus à organiser une activité susceptible de recourir à leurs services. Selon certains, il aurait été plus sage pour M. Ndiaye de suivre le conseil du financier professionnel en procédant tout simplement au licenciement d'agents qui ne sont plus nécessaires au fonctionnement de la structure.
 

Une gestion en cause

Pourtant, les recettes extra-budgétaires du CCBS tournent aux alentours de 3 millions l’année, voire 5 millions si la moyenne est calculée sur la base des recettes par salle de spectacle et par semaine. Or il ne se passe pas une semaine sans que le centre n'enregistre des activités payantes, notamment les week-ends. L'organisation des foires, par exemple, permet une entrée d'argent à hauteur de 600 000 F Cfa sur une durée de 10 jours ou une semaine.

Rien qu'en 2012, on a ainsi décompté plus de 130 activités payantes. Cependant, il semble y avoir un problème de terminologie avec la direction qui parle de ''contribution'', en lieu et place de ''location payante'' au sujet de l’utilisation de ses salles. Interrogé, nombre d'utilisateurs desdits locaux, ont confié à EnQuête avoir payé entre 100 000 F Cfa et  300 000 F Cfa chaque fois qu'ils ont eu à utiliser les salles en question.

La question que les plaignants se posent est : à quoi servent ces recettes extra budgétaires ? Car le centre est dépourvu d'équipements, à en croire nos confidents, qui citent le manque de chaises, d'ordinateurs, de cartouches pour l’impression de documents administratifs, ainsi que de fournitures de bureau, etc. Et, a-t-on relevé, n'eût été l'appui de l'ambassade de la République populaire de Chine au Sénégal, le peu de matériels qui s'y trouve n'existerait même pas.

En outre, EnQuête a constaté que les toilettes ne sont pas entretenues, que les robinets coulent à longueur de journée. Le manque d'entretien saute à l'œil nu.

Les plaignants estiment que les recettes engrangées par le centre pourraient donc servir à subventionner des artistes dans la création de nouvelles activités qui ne se tiennent plus depuis plusieurs mois ; la direction estimerait que c'est de la ''promotion externe''. De l'avis de nos confidents, le coût des expositions mises sur pied à l'interne ne dépasse pas les 100 000 F Cfa en frais et les spectacles de danse ou de théâtre organisés par certains jeunes avec l'accompagnement des agents du centre coûteraient à peu près 150 000 F Cfa. D'ailleurs, le personnel aurait proposé, pour une bonne gestion des rentrées d'argent, la ponction de 30 à 40% sur les recettes de 100 mille FCfa pour faire fonctionner les activités internes.

Pour nos sources, il y a ''anguille sous roche'' : ''la location de l'espace ne laisse pas de traces car aucun reçu n'est remis à l'utilisateur. On parle de contributions pour participer à l'entretien et au maintien de l'espace expliquant le coût de loyers. En outre, il est démontré que certaines personnes qui se disent fournisseurs présentent des factures sans activités effectives, moyennant une somme d'argent. Ainsi, il n’y a pas de marchés fiables au CCBS''.
 
''Centre politique Blaise Senghor''

Par ailleurs, ce qui fait le plus mal aux artistes en grogne, ce sont les réunions que des politiciens tiennent depuis quelque temps dans le centre. Ironique, les plaignants parlent de ''centre politique Blaise Senghor servant de permanence aux marchands ambulants qui se réclament Apéristes''.

Mariétou Kane

 

Baba Ndiaye répond à ses détracteurs

A la direction du centre culturel Blaise Senghor depuis 2011, Baba Ndiaye a balayé d’un revers de main toutes ces accusations portées sur sa gestion. Il soutient mordicus que l'établissement n’est pas de tout repos mais est en sur-régime. Pour lui, à chacun ses méthodes et ses objectifs. Lui dit mettre l'accent sur la structuration plutôt que sur l’animation qui ne rapporterait presque rien aux artistes. Autrement dit, il s’inscrit dans la dynamique de recherche de rentabilité des gains des artistes.

A en croire M. Ndiaye, environ 200 entreprises ont été montées sous son règne, toutes immatriculées auprès de l’Apix avec des preuves à l’appui. Il a remarqué que les artistes sont sous-exploités, parce qu’ils n’ont aucune formation tangible leur permettant de mener à bien leurs entreprises.

Raisons pour lesquelles il s’est beaucoup investi à les structurer afin de leur permettre de mieux s’organiser pour bien gagner  leur vie. ''Ce que je fais a au moins une traçabilité’’, a-t-il ajouté. ‘’Le théâtre, ce n’est pas seulement le spectacle, c’est aussi des offres qu’il faut diversifier. La structuration est le cœur de l’activité artistique. Il faut éviter d’individualiser les projets ; cela ne mène nulle part'', a avancé le directeur.

Concernant la révision de l’ancienneté dont se plaignent beaucoup de ses employés, il estime qu’il n’y avait même pas de contrat à proprement parler lorsqu’il prenait service. ‘’Je voulais les aider à rendre concrets leurs contrats, c’est-à-dire, les légaliser au niveau de l’inspection du travail pour qu’ils puissent prétendre aux versements des charges sociales. Je ne peux pas payer une dette dont j’ignore comment elle était consentie. C’est vrai que l’Administration est une continuité, mais il faut s’engager suivant la capacité du budget'', s’est défendu Baba Ndiaye.

Concernant la gestion des recettes extra budgétaires, il est d'avis que cela ‘’complète le budget parce qu’il y a beaucoup de dépenses au niveau du centre et le budget de fonctionnement à lui seul ne peut pas tout couvrir’’. ‘’Les 22 millions ne servent pas seulement à animer le centre, mais un coup global destiné à tout faire quelle que soit la nature des charges’’, a-t-il dit.
Pour la gestion de l’espace, ‘’le centre a une mission de service culturel ; il faut que les gens le comprennent. C’est une offre de services aux populations et les ambulants en font partie. Si les gens cherchent un endroit pour se structurer, on leur donne la salle sous réserve qu’ils ne parlent pas politique ou APR’’, a rétorqué M. Ndiaye.

 

 

Section: