Publié le 24 Jul 2017 - 17:12
CEREMONIE DE DEDICACES DU LIVRE D’AMADOU TIDIANE WANE

‘’Il est temps que le Sénégal réhabilite Jean Collin’’

 

C’est une cérémonie pas comme les autres. Ce samedi, à l’Harmattan, le monde du livre, de la culture et de la politique s’est réuni pour célébrer les Mémoires de Amadou Tidiane Wane.

 

Amadou Tidiane Wane se lâche. Dans ses mémoires publiées aux éditions L’Harmattan, il est revenu sur les temps forts de son passage dans l’appareil d’Etat. Ses relations avec ses supérieurs n’ont pas toujours été apaisées. Tidiane n’avait pas froid aux yeux. Il le clame haut et fort dans son livre, intitulé ‘’De Collin à Diouf, un chaume de mil au cœur du pouvoir’’.

Ce n’est pas l’ancien premier ministre Habib Thiam qui dira le contraire. Tout jeune ingénieur agronome, Tidiane est affecté à la direction de l’Industrie comme chef de division de l’industrie agroalimentaire. Un jour, il participe à un Conseil interministériel sur la possibilité de cultiver la canne à sucre à Richard Toll. Un Conseil présidé par le président Senghor, lui même.  La salle était pleine de ministres sénégalais, et de leurs assistants techniques, tous toubabs. L’ordre du jour du Conseil était la possibilité de faire pousser la canne à sucre au Sénégal.

La conclusion du rapport présenté par le ministre du Développement rural est qu’il était ‘’impossible’’ de faire pousser la canne à sucre au Sénégal. Cette conclusion était erronée si l’on se fie au jeune ingénieur. ‘’Offusqué, je n’ai pas pu me retenir : ‘’C’est faux !’’, s’exclame-t-il avec plein d’audace, devant les yeux médusés de l’assistance. Le Foutanké venait ainsi de réaliser le scandale qu’il venait de susciter. Alors qu’il pensait aux conséquences de son acte, Senghor redresse la tête et demande : ‘’Qui a dit c’est faux ?’’ Daniel Kabou, (son ministre de tutelle) essaie d’arranger les choses. Il répond : ‘’M. le Président c’est M. Wane, ingénieur agronome, le jeune frère de Abdoul Aziz Wane…’’ Senghor le coupe en disant : ‘’envoyez-le à Richard Toll et qu’il fasse pousser la canne à sucre’’.

 Ainsi fut lancée l’opération canne à sucre en 1965. C’était l’acte I, prélude du duel entre le directeur de l’opération canne à sucre et le tout puissant Habib Thiam, futur ministre du Développement rural.

L’acte 2 se jouera dans le Nord, en 1969, à Richard Toll. Le ministre envoie à Tidiane son chef de cabinet pour lui demander de l’accueillir au croisement des routes vers Rosso et Dagana. Ce qui n’est pas du goût du fonctionnaire alors apolitique. Il déclare : ‘’Je fais alors comprendre au chef de cabinet que si Habib vient en tant que ministre je le recevrai. Mais s’il vient en tant que responsable politique du département de Dagana, je ne le reçois pas. Cette réponse a irrité M. Habib Thiam qui m’avait envoyé auparavant un de ses cousins à recruter. Je dis à ce cousin de revenir avec un document écrit m’enjoignant d’exécuter cette décision…’’

Cela en faisait trop. Mécontent, le ministre Habib Thiam le déchargea de l’opération canne à sucre et le laisse sans affectation. En mars 1971, sur instruction du président Senghor, il est affecté à Tamba comme chef du projet ‘’Terres neuves’’. Après avoir réalisé un excellent travail, il souhaite retourner à Dakar auprès de sa famille. Mais c’était sans compter avec l’hostilité de son ministre de tutelle. La conversation entre les deux hommes était houleuse.

‘’Habib Thiam : ‘’Etant donné les bons résultats du projet, tu dois retourner à Tamba’’. Tidiane : ‘’Je souhaite être affecté à Dakar pour m’occuper de la scolarisation de mes enfants’’. Habib furieux : ‘’il n’en est pas question. Tu retournes à Tamba.’’ ‘’Non M. le ministre je ne retourne pas à Tamba. Je ne quitte pas Dakar’’. Puis Tidiane se lève pour partir. Habib Thiam reprend la parole : ‘’Assieds-toi !’’ ‘’Non je m’en vais’’, rétorque Tidiane. Exaspéré, Habib Thiam fulmine : ‘’Si tu bouges d’ici je te casse.’’ La réponse est tout aussi cinglante : ‘’Tu ne peux pas me casser. Je suis ingénieur. Tu es un ministre. Et puisqu’il en est ainsi je démissionne de la Fonction publique’’.

‘’Faites ce que demande Mimran’’

Dans ses mémoires, Amadou Tidiane Wane est également revenu sur la nébuleuse autour de l’implantation du groupe Mimran au nord du Sénégal. D’après lui, le groupe de travail dont il faisait partie n’avait aucune prérogative. Tout se décidait en haut lieu. C’était en 1970. Abdou Diouf était ministre du Plan et de l’Industrie et il était candidat pour le futur poste de premier ministre. C’est lui qui avait la charge du dossier de l’installation d’une sucrerie et d’une raffinerie à Richard Toll. Les négociations étaient intenses. Souvent, le groupe de travail présidé par Magib Ndaw, alors conseiller d’Abdou Diouf, demandait une suspension de séance pour consulter ce dernier.

C’est ainsi que les questions sur le code du travail, le coût de l’énergie, les cadres supérieurs sénégalais à recruter… ont été soumises à Abdou Diouf par le groupe de travail. Diouf disait invariablement aux experts : ‘’Faites ce que demande Mimran’’ A la fin des négociations, le Sénégal se trouve pieds et poings liés, livrés à Jaques Mimran. Or, explique le spécialiste, il était plus judicieux pour le Sénégal de créer seul le complexe sucrier. Mais pour des raisons politiques, les autorités d’alors avaient opté de confier le secteur à l’homme d’affaires qui avait joué la carte Senghor contre Lamine Gueye. A la fin de ces ‘’négociations’’, les 12 000 Ha de Richard Toll ont été cédés à Mimran ainsi que le financement du Fond Koweitien et celui de la Banque européenne de développement, ‘’le tout pour un franc symbolique !’’, raconte-t-il dépité.

Par ailleurs, l’ancien maire de Kanel prend le contre-pied d’une bonne partie de l’opinion qui prend Jean Collin pour un ‘’monstre’’. Il estime que l’ancien ministre d’Etat est victime d’une grande injustice qu’il faut corriger. ‘’J’ai été collaborateur de Collin. J’ai vu qu’il est Sénégalais plus que certains Sénégalais. Il a occupé des postes où il aurait pu opérer des détournements. Il aurait pu ‘’karimiser’’ son fils, mais il ne l’a pas fait. Je me demande pourquoi cet ostracisme envers ce grand homme d’Etat. Pour moi, il est temps que le Sénégal réhabilite Jean Collin et lui rende justice. Ce qu’il a fait dans ce pays beaucoup ne l’ont pas fait’’, soutient Amadou Tidiane Wane.

MOR AMAR

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