Publié le 22 Jun 2016 - 07:48
CHANT RELIGIEUX AU SENEGAL

Entre ascension et manque de producteurs

 

‘’Confiez-moi votre jeunesse et je m’occuperai de votre vieillesse’’, dit un Hadith. Cet appel est bien entendu par de jeunes artistes qui ont décidé de tourner le dos au mbalax, au folk, voire au hip-hop. Ils consacrent leurs belles envolées lyriques à Dieu et à des érudits de l’islam. Il y a quelques années, on ne les entendait qu’en période de ramadan. Aujourd’hui, ces chantres du Prophète (PSL) se produisent 12 mois sur 12. Ils remplissent les plus grandes salles de ce pays. A l’occasion de la journée mondiale de la musique célébrée ce jour, EnQuête consacre un dossier à cette ascension fulgurante qui transforme le paysage musical.

 

Le Grand-théâtre de Dakar et le théâtre national Daniel Sorano sont les espaces les plus prisés par les artistes de ‘’mbalax’’ pour leurs spectacles grandeur nature. Désormais, ils ne sont plus maîtres incontestés de ces deux hauts-lieux de la culture. Les chanteurs religieux leur disputent ces grandes salles. Alors qu’il n’y a pas longtemps, ces derniers ne se produisaient que dans la rue et pendant les fêtes religieuses. Actuellement, c’est partout et à tout moment.

C’est un fait, le chant religieux occupe une place prépondérante dans la musique sénégalaise. Il faut dire que ces chanteurs sénégalais ont su se renouveler. Ces ‘’rénovateurs’’ sont jeunes et pleins d’ambitions. Ils ont introduit certains instruments et rythmes dans les compositions. Ce qui leur permet de toucher un plus large public et de mieux toucher les jeunes. D’ailleurs, ils ont une plus grande place dans les programmes médias.

La Télévision futurs médias leur consacre deux émissions : ‘’Tabala’’ et ‘’Na birr’’. En plus des matinées d’intermèdes qui leur sont offertes dans ‘’Yewuleen’’. A Walfadjri, ils sont, chaque semaine, les hôtes de Kabir Sène.  Interrogés par EnQuête, ces chanteurs expliquent leur success story par une meilleure prise en compte dans les médias. En effet, la médiatisation de leurs événements élargit leur public. ‘’Avec les médias, on voit que les gens nous acceptent mieux. Et même ceux qui n’écoutaient que les autres genres musicaux nous apprécient et nous adulent’’, indique Ndiogou Afia Mbaye, le plus célèbre des chanteurs Baye Fall actuellement.

Toutefois, il reste beaucoup à faire dans le champ médiatique, pour assurer une meilleure promotion de ce genre musical. Moustapha Rassoul est d’avis qu’avec ses collègues, ils n’ont de temps d’antenne que pendant une période bien définie. ‘’Ce n’est que pendant le ramadan que l’on voit les chanteurs religieux dans toutes les télévisions. On les entend au niveau des stations radio, pour combler le programme. Et c’est le vendredi habituellement qu’on nous accorde 1h mais cela devrait changer’’, défend-il. Selon lui, puisque le Sénégal est composé en majorité de musulmans, cela doit se sentir dans les programmes de télévisions et ceux des autres supports médiatiques.

‘’Les jeunes s’intéressent de plus en plus à la religion’’

Quoi qu’il en soit, cette musique est sur une pente ascendante. Une montée en puissance dont Cheikh Bou Diop et d’autres pensent qu’elle relève de l’évidence. Car, disent-ils, ce qu’ils font est une musique de Vérité. ‘’Il faut d’abord dire que seule la Vérité est éternelle. Plus on avance, plus on se rend compte que la Vérité finit toujours par triompher et son contraire perd son éclat’’, dit l’une des belles voix de la communauté ‘’Khadriya’’. Un avis qu’il partage avec Soxna Maguette Zikr. ‘’Ce que l’on fait est authentique et on le fait pour quelqu’un qui peut tout nous donner, Mohamed (Psl)’’. ‘’J’ai toujours eu foi en l’évolution de ce que nous faisons. Et je pense qu’il reste encore du chemin. D’ici quelques années, le chant religieux gagnera plus de place dans le monde de la culture sénégalaise. Parce que c’est la vérité et la vérité ne s’estompe pas. Elle est éternelle’’, croit savoir Sidy Mboup Lamp.

Au-delà de ce fait, il y a aussi une évolution dans la manière de voir et de faire des Sénégalais. ‘’Les jeunes s’intéressent de plus en plus à la religion. Si aujourd’hui il y a des jeunes qui chantent, c’est bien sûr grâce à nos aînés qui, d’ailleurs, avaient beaucoup de maîtrise dans ce qu’ils faisaient. Mais aussi la religion intéresse de plus en plus les jeunes, contrairement à ce qui se passait avant’’, constate Sidy Mboup. Un témoignage qui contraste avec celui de Ndiogou Afia. ‘’Avant, en ce qui concerne les zikr Baye Fall, certains parmi ceux qui le faisaient avaient des comportements qui tranchaient avec ce qu’ils revendiquaient dans les textes. Certains consommaient de l’alcool, fumaient de la cigarette, etc.  Maintenant, on voit que le zikr est fait avec soin. Les chanteurs s’habillent correctement et sont propres. C’est ce qui attire un plus grand public’’, explique-t-il.

Une génération d’héritiers

Aujourd’hui, Ndiogou Afia et les plus connus dans le chant religieux sont des jeunes. ‘’Auparavant, cette musique était une affaire de vieilles personnes. L’on pourrait dire que la religion appartenait à cette catégorie. Mais actuellement, on se rend compte que les jeunes se l’approprient de plus en plus’’, explique Cheikh Bou Diop.

Seulement, cela n’est pas une vocation née ex nihilo. Ces chanteurs religieux gèrent presque tous un héritage familial. ‘’C’est en 2002 que j’ai commencé à chanter. Je peux dire que je suis devenu chanteur parce que j’ai trouvé mes parents dans ce domaine. Mes oncles sont des chanteurs. Dans ma famille, certains sont spécialisés dans la musique sénégalaise moderne et d’autres dans la musique religieuse’’, confie Ndiogou Afia. Il en est de même pour son collègue Moustapha Samb dit Moustapha Rassoul. ‘’J’ai commencé à chanter à  bas âge, parce que ma mère Adja Marième Diabi est une grande chanteuse à Saint-Louis. Et c’est elle qui m’a transmis le virus et m’a appris tout ce que je sais aujourd’hui’’, partage-t-il. Puis d’ajouter : ‘’Quand je me suis rendu compte que c’était cela ma vocation, je me suis  professionnalisé. Je suis allé en Amérique du Sud et j’ai appris la musique dans une école que l’on appelle Saint-Laurent de Maroni’’, précise-t-il.

Le record des grandes salles de spectacle 

Si la grandeur d’un artiste se mesure à son public, les chanteurs religieux sont tous grands. Que ce soit au Théâtre national Daniel Sorano ou au Grand-théâtre de Dakar, le résultat est le même. Les salles sont toutes combles, lorsqu’ils sont les têtes d’affiche. Exit donc les tentes où se tenaient les ‘’thiantes’’ et ‘’Gamous’’ (cérémonie de chant religieux). ‘’Je peux dire que je fais partie des premiers à avoir été invité dans un restaurant de la place pour chanter les Khaissaides. Cela avait d’ailleurs, à l’époque, fait un peu de bruit, parce que beaucoup disaient que je ne devais pas le faire. Mais j’avais une autre vision qui s’est concrétisée. Cette tendance qui est de remplir les grandes salles de spectacle est une réelle avancée pour nous. Et le meilleur reste à venir’’, promet Sidy Mboup Lamp.

Mais cela n’a pas toujours été aisé. Pour l’un des chouchous actuels,  Ndiogou Afia Mbaye, cela s’est fait par hasard. S’il est devenu l’un des habituels clients de Sorano, il se rappelle que la première fois, il voulait  célébrer son anniversaire à la place de l’Obélisque. ‘’C’est alors que Ndiaga Ndour de la Tfm que je suis allé solliciter pour la diffusion gratuite de spots publicitaires m’a conseillé de le faire dans une salle.’’ Ce qui devait être un coup d’essai est devenu un coup de maître. Car ce qui devait être une fête publique donnée gratuitement aux aficionados du chanteur s’est fait sur entrée payante et a refusé du monde. En revanche, même si ces espaces leur restent ouverts, Moustapha Rassoul lui, souhaite un espace qui leur est exclusivement dédié. ‘’On doit avoir une grande salle comme le Grand-théâtre, mais rien que pour nous les chanteurs du prophète (Psl) et l’appeler Keur Rassoul’’, suggère Moustapha Rassoul.

En attendant, les spectacles dans les salles qui existent marchent à merveille. En sus, ces rossignols sont très sollicités. Ils sont invités partout et dans des cérémonies aussi prestigieuses les unes que les autres, avec des cachets gracieusement payés. ‘’On anime des cérémonies de baptême, de mariage, etc. Ce qu’on nous donne lors de ces sorties, on ne le gagne même pas en organisant nos spectacles’’, avoue Ndiogou Afia.

La croix et la bannière pour trouver un producteur

Seulement, tout ne roule pas comme sur des roulettes pour ces jeunes. Des écueils, ils en rencontrent encore, surtout dans la production de leurs albums. ‘’Sur les 12 opus que j’ai sortis, deux ont été produits par Moustapha Fall Mouride Sadikh et un par Talla Diagne. Le reste, c’est moi-même qui l’ai produit. Le premier date de 1999. Ensuite, j’ai commencé à sortir un album tous les deux ans ; puis, tous les 6 mois’’, informe-t-il. Pour le chanteur religieux Moustapha Rassoul, trouver un producteur, c’est la croix et la bannière. En plus de ne pouvoir en trouver et de devoir s’autoproduire, il faut casquer beaucoup, si on veut un produit de qualité. ‘’Pour avoir une bonne qualité de musique et d’images, il faut investir et sur fonds propres’’, argue-t-il.

Par contre, Sidy Mboup Lamp semble mieux s’en sortir : ‘’Aujourd’hui, nous enregistrons dans les plus grands studios du Sénégal. Donc, les chanteurs religieux offrent une bonne qualité de son et d’images’’. Ceci étant, il souligne qu’il a des stratégies pour écouler ses albums. ‘’Par exemple, j’ai vendu mes cd à 5000 francs et je suis arrivé à presque tous les écouler. On se bat pour être des acteurs culturels dignes de ce nom’’. Il en est de même pour Soxna Maguette Zikr. Informaticienne de formation, elle compte dans son groupe des élèves, des commerçants et des étudiants. Pour elle, il faut avoir un métier, travailler et se financer. ‘’Je n’ai pas de sponsors. C’est moi-même qui paie cher mes enregistrements en studio. Je prévois de sortir un album et c’est sur fonds propres’’, annonce-t-elle.

L’autoproduction est donc presque partout le maître mot. ‘’C’est en 2009 que j’ai fait un premier single intitulé Touba Xaira. Deux ans plus tard, j’ai mis sur le marché mon premier album intitulé Serigne Saliou et c’est moi-même qui l’ai produit’’, affirme Ndiogou Afia. Plus chanceux, le jeune Médinois verra son prochain album dont la sortie est prévue pour bientôt produit par le Label Prince Art.  

BIGUE BOB ET AMINATA FAYE

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