Publié le 22 Feb 2019 - 06:00
CHEIKH AHMED TIDIANE SY, PDT CADRE UNITAIRE DE L’ISLAM

‘’Aucun président n’a été élu exclusivement par une communauté’’ 

 

‘’Durant la campagne électorale, le discours a dangereusement glissé vers le repli identitaire à caractère confrérique ou, dans une moindre mesure, ethnique’’. Le constat est du président du Cadre unitaire de l’islam qui invite à ne pas saper ‘’les bases de notre concorde nationale pour des raisons bassement politiciennes et conjoncturellement électoralistes’’. Aussi, dans cet entretien, le religieux rappelle aux différents acteurs ‘’qu’aucun président n’a été exclusivement élu par une communauté’’.

 

Dans une contribution, vous alertez sur les dangers du vote confrérique. Y a-t-il des signes qui fondent votre crainte ?

Je vous remercie de l’occasion que vous m’offrez, en ma qualité de président du Cadre unitaire de l’islam au Sénégal, de m’exprimer sur la situation du pays dans ce contexte préélectoral à la fois sensible et important dans la vie de notre jeune nation. Dans l’histoire de toutes les nations, il y a des moments d’une importance cruciale où les enjeux au-dessus de toutes formes de divergences, nécessitent un sursaut, un dépassement et une forte volonté de préservation de l’unité nationale et de consolidation des acquis qui fondent le vivre ensemble. Le rôle multiforme des acteurs religieux dans l’espace social sénégalais fait qu’à chaque instant, sur tous les aspects relevant de l’intérêt supérieur de notre nation, une et indivisible, ils sont dans l’obligation d’agir au service de ce même idéal. D’abord, à la veille de la proclamation définitive de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel, nous avions lancé un appel à l’Etat et aux acteurs politiques, chacun en ce qui le concerne, à ne ménager aucun effort pour des élections libres, transparentes, mais surtout apaisées.

A vous entendre, les dérapages sont antérieurs à la campagne électorale ?

En effet, nous avions commencé à sentir un dérapage dans le discours des politiques, avec des surenchères et parfois des menaces fusant de toutes parts en fonction des intérêts des uns et des autres dans le déroulement du processus électoral. Pour les uns, il n’était pas question que leur candidature soit recalée ; pour les autres, force restera à la loi. Nous avions senti la nécessité de rappeler aux acteurs, l’Etat comme les politiques, leur responsabilité dans la préservation de la paix et la promotion de l’Etat de droit. Durant la campagne électorale, le discours a dangereusement glissé vers le repli identitaire à caractère confrérique ou, dans une moindre mesure, ethnique. Nous avons noté, à travers les réseaux sociaux, des appels à voter pour ou contre tel candidat en considération de son appartenance confrérique. Quand la religion s’invite dans le discours politicien, cela ouvre les portes à toutes les dérives.

Concrètement, quelles sont ces dérives ?

Parmi les dérives qui ont été notées, les confréries tidiane et mouride ont été interpelées au premier chef. C’est pourquoi leurs représentants au sein du Cadre unitaire, dont moi-même, Serigne Ahmed Badaoui Mbacké, Serigne Abdoul Aziz Mbacké Majalis, ont senti la nécessité de monter au créneau pour recadrer les personnes malveillantes qui sèment le trouble dans l’esprit des disciples, en véhiculant des messages de haine et de stigmatisation à l’encontre de certains candidats. D’autres associations islamiques ou leaders religieux nous ont emboité le pas pour dénoncer ces glissements en cette période sensible où les esprits sont surchauffés. De même, nous avons condamné la manipulation de symboles religieux par les candidats ou autres leaders religieux à des fins électoralistes et pouvant saper les bases de notre cohésion nationale.

En quoi un vote confrérique est-il dangereux ?

Le Sénégal a toujours bénéficié de mécanismes de régulation qui amortissent les tendances à des confrontations confrériques ou ethniques. Maintenant, il est vrai qu’au-delà des offres programmatiques proposées par les candidats, au-delà des qualités intrinsèques en termes de probité morale et de compétence managériale supposée ou avérée des différents candidats, le vote peut toujours revêtir un caractère affectif parfois communautariste lié à l’appartenance régionale, ethnique ou religieuse. Mais, souvent sous nos cieux, ce repli identitaire est tacite et les électeurs expriment leur scrutin sans violence verbale ou physique. Cependant, nous avons tous nos préférences envers tel ou tel candidat, même si, parfois, on dénie aux leaders religieux le droit d’afficher leur appartenance politique. Ce débat du religieux acteur politique et du religieux régulateur social n’est pas encore tranché. Mais, de toute manière, il faut nuancer la consigne de vote en faveur d’un candidat et l’appel à voter pour des considérations communautaristes.

Pour rappel, Serigne Abdoul Ahad Mbacké a donné une consigne de vote pour le supposé tidiane Abdou Diouf, là où Serigne Cheikh Tidiane Sy a appelé à voter pour Abdoulaye Wade le mouride affirmé. Si chaque communauté religieuse choisit son candidat en son sein et stigmatise les autres, cela se fera au détriment de la démocratie et de l’acceptation de l’autre qui est un principe bien islamique. Notre République repose sur un socle religieux solide et un greffe démocratique bien soudée et bien assimilée par le citoyen sénégalais. Notre bon vouloir vivre ensemble constitue cette exception sénégalaise tant convoitée à travers le monde. C’est cela notre contribution à la mondialisation. Nous ne devons pas saper les bases de notre concorde nationale pour des raisons bassement politiciennes et conjoncturellement électoralistes. Alors, votons pour le candidat de notre choix, fût-il mouride, tidiane, layène ou khadre, musulman ou chrétien, wolof, hal pular, sérère ou diola, mais votons utile et en toute conscience sur les enjeux de développement économique, social et culturel.

Et qu’en est-il du vote communautariste que vous avez évoqué plus tôt ?

Le vote communautariste ne fait qu’exacerber le repli identitaire qui peut être la cause des cassures sociales profondes, comme cela s’est vu au Rwanda avec le rôle de l’église dans le conflit ethnique. Historiquement, il n’y a jamais eu de vote confrérique au Sénégal, car aucun président n’a été élu exclusivement par une communauté. Nos guides religieux ont bien soutenu Senghor le catholique, car ils étaient conscients qu’un bon imam ou un excellent prêtre ne font pas forcément un bon président de la République.

Quel message lancez-vous aux électeurs et aux différents candidats ?

Je vous le rappelle que le Cadre unitaire est une structure de consultation et de concertation, la seule d’ailleurs regroupant les comités scientifiques des confréries soufies et certaines associations islamiques réformistes, et se veut un cadre de discussion et d’échange pour la promotion de la paix sociale et du vivre ensemble. A ce titre, nous sommes à équidistance de toutes les chapelles politiques en compétition. Ainsi, nous réitérons notre appel aux électeurs à rester hermétiques aux discours tendancieux provenant de certaines personnes qui se disent leaders religieux, mais qui n’ont aucune légitimité scientifique ou sociale et qui agissent souvent pour des intérêts bassement matériels et crypto-personnels basés sur le culte de la personnalité et la recherche de prébendes.

Nous appelons donc les Sénégalais à discerner le discours religieux constructif au discours électoraliste conjoncturel qui peut saper, à terme, les bases de notre cohésion nationale. Les enseignements islamiques et soufis qui sont à la base de nos différentes confréries doivent servir de viatique à chaque disciple. Les relations familiales, cordiales et affectueuses qu’entretiennent nos guides religieux, depuis fort longtemps, sont un exemple à méditer par les disciples.

Nous lançons un appel aux leaders politiques à éviter d’utiliser leur appartenance religieuse ou ethnique à des fins de propagande électorale, car ils risquent de toucher une corde sensible et fragile. Enfin, nous appelons l’Etat à assurer un processus électoral transparent et qu’au soir du 24 février, qu’il ne puisse subsister aucun doute quant à l’issue du scrutin. Nous prions Allah Swt de continuer à bénir le Sénégal par la grâce de son noble serviteur Mohamed Psl et nous comptons sur la maturité du peuple sénégalais qui, nous en sommes sûrs, sortira seul vainqueur de cette élection, car, quel que soit le président élu, il ne sera qu’un serviteur du peuple par la volonté de Dieu.

FATOU SY

 

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