Publié le 23 May 2018 - 03:04
CHEIKH BAMBA DIEYE, LEADER DU FSD/BJ

‘’Macky Sall est la source du mal du pays’’

 

Cheikh Bamba Dièye dézingue le président de la République. Le leader du Front pour le socialisme et la démocratie/Benno Jubël (Fsd/Bj), dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, estime que le mal du pays n’est rien d’autre que le président Macky Sall.

 

Après Balla Gaye en 2001 et  Bassirou Faye en 2014, un autre étudiant, Fallou Sène en l’occurrence, vient de tomber sous les balles des forces de l’ordre au cours d’une manifestation à l’Ugb. Comment avez-vous vécu ce drame ?

Je l’ai vécu avec beaucoup de tristesse et de mélancolie. La mort de Mahamadou Fallou Sène est inexcusable. Elle est la preuve de plus que dans les rapports entre la police et les citoyens, il y a souvent l’usage disproportionné de la force. Ce qui, souvent, entraine des morts d’hommes dans l’espace universitaire. Nous avons vu, lors du 4 avril dernier, l’Etat du Sénégal faire étalage d’un arsenal impressionnant de répression. Nous avions cru que c’était juste pour assurer la sécurité des Sénégalais, puisque certains esprits malveillants pouvaient penser, à juste titre, que c’était un  moyen de plus pour  impressionner les gens et les décourager à manifester leurs libertés constitutionnelles. Ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est faire toute la lumière sur cette affaire pour que, comme par le passé, nous évitions que ces situations ne puissent déboucher sur des impasses.

Pourquoi, selon vous, les étudiants doivent-ils toujours manifester de façon violente pour percevoir leurs pécules ?

Il faut qu’on se dise pourquoi l’Etat du Sénégal tarde à payer la bourse des étudiants à date échue ? C’est cela la question. Et la solution est toute trouvée. Elle n’est pas dans le fait de demander à l’Ige d’aller procéder à une enquête pour voir ce qui bloque au niveau du ministère de l’Economie et des Finances ou dans les banques. Mais la responsabilité est au niveau du président de la République. S’il était soucieux de la quiétude et de la sérénité dans lesquelles doit baigner l’univers  des étudiants et de nos universités, il se donnerait pour mission d’abord, avant de penser ponctionner dans le budget national ses fonds politiques,  de payer la bourse des étudiants à date échue.  Avant de payer des députés comme Cheikh Bamba Dièye, il faut qu’il puisse savoir si oui ou non les zones les plus fragilisées, les populations qui sont dans la précarité ont été servies. Avant de redistribuer de l’argent au Hcct ou au Conseil économique, social et environnemental, la question de fond, pour un président soucieux de la stabilité de son pays, c’est de voir là où les gens sont dans l’incapacité de soutenir des mois, des jours ou des semaines sans pour autant avoir leurs bourses. Il faut que le président de la  République soit plus rigoureux, puisqu’il est lui-même la source du mal.

Le paiement régulier des bourses des étudiants a toujours été le casse-tête des différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Selon vous, où se situe le problème ?

Lorsqu’on met en place, à la suite d’une alternance, un système politique nouveau, je crois que nous sommes en droit d’attendre des ruptures. Et la rupture voudrait que sur la base de la reddition des comptes et de la gestion sobre et vertueuse, qu’on échelonne les priorités dans la République. Il y a certains qui peuvent supporter des salaires qui arrivent le 10 ou le 15, mais il y en a d’autres qui sont dans une extrême fragilité qui ne leur permet pas de supporter cela. La justice élémentaire et la solidarité avec laquelle nous devons construire ensemble notre commun vouloir vivre, devrait nous imposer cette lucidité. Si l’Etat du Sénégal avait fait une priorité le paiement des bourses, soyez sûr qu’aucun étudiant ne sera en retard par rapport à son paiement. C’est comme cela qu’on règle le problème, il n’y a pas milles solutions.

Idrissa Seck met ce drame sous la responsabilité du président de la République. Est-il réellement lié à cette affaire ? 

Ce pays est géré par Macky Sall et par personne d’autre. Il est lui-même la clé de voûte de tout le système, comme il aime à le rappeler. Un Etat, c’est un tout globalisé. Si nous avons des retards de bourses, ils sont  imputables à l’organe qui a en charge le paiement des étudiants, au ministère de l’Economie et des Finances qui s’occupe de la distribution des ressources de la République, et au président de la République. C’est comme ça que ça marche. Quand ça marche et que tout est bien, on l’impute au président de la République. Donc, de ce point de vue, il ne faut pas aller chercher loin. Sa responsabilité est totale et entière. Nous avons eu à vivre ces affres, des étudiants qui ont été tués ; cette fois-ci c’est à l’Ugb, mais avant c’était à Dakar et ailleurs. Il faudrait qu’on se pose des questions, qu’on accentue la formation du personnel de police qui est envoyé en première ligne auprès des populations pour qu’il soit professionnel comme le sont toutes les forces de police du monde, qu’il comprenne qu’il est de sa responsabilité d’encaisser la  furie des citoyens, de contenir les débordements et de veiller à ce qu’à la fin des manifestations, que les personnes comme les biens ne puissent en aucune manière être violentés.

Qu’en est-il de la justice et du traitement de certains dossiers comme ceux de  Bassirou Faye et de Balla Gaye ? Espérez-vous que justice soit faite dans ce dossier ?

On a toujours le droit d’espérer. Nous continuerons à espérer que justice soit faite cette fois-ci. Que ce soit Balla Gaye ou Bassirou Faye et aujourd’hui Fallou Sène, vous allez agglutiner un ensemble de frustrations ajoutées à d’autres secteurs où des citoyens honorables ont été victimes d’injustice ou l’injustice même est venue du système judiciaire. Je pense que tous ces éléments peuvent amener demain une instabilité chronique dans le pays. C’est  pourquoi on dit souvent qu’un mal, aussi petit soit-il, n’est pas à minimiser, parce qu’il peut engendrer un mal beaucoup plus grand et entrainer des conséquences désastreuses pour notre pays. De ce point de vue, j’espère et j’en appelle à la responsabilité du procureur et au système judiciaire sénégalais, pour que pour cette fois-ci, la lumière soit faite, les responsabilités situées et les auteurs de ce meurtre sanctionnés. Une mère de famille a perdu son enfant et personne n’a le droit de passer par pertes et profils, pour d’autres considérations, la mort d’un jeune étudiant qui plus est, était père de famille et venait juste de commencer à contribuer au développement de ce pays.

L’actualité, c’est également l’affaire du capitaine Mamadou Dièye. Comment appréciez-vous cela ?

Après la grande déception de 2012, lorsque le président de la République est revenu sur son engagement de réduire son mandat, d’installer la reddition des comptes et d’instaurer une gestion sobre et vertueuse, j’ai fait un repli sur moi-même pour analyser la société sénégalaise. J’ai même sorti un produit sous la forme d’un livre que j’ai appelé : ’’Le Sénégal, thérapie pour un pays blessé’’. Cette blessure est profonde dans notre société. Il n’y a plus un seul secteur dans la vie nationale qui n’est pas atteint par l’injustice, le laxisme, le parti pris et surtout le favoritisme. Ce sont ces éléments qui, aujourd’hui, créent cette instabilité chronique dans lequel le pays baigne. Il faut certainement ranger la sortie du capitaine Mamadou Dièye dans ces explosions sectorielles pour montrer l’état de délabrement de notre société. L’armée nationale, heureusement pour nous, pendant longtemps, a été une citadelle du silence où, a priori, on pensait que tout est trop bien dans le meilleur des mondes possibles. J’espère qu’il soit ainsi et le plus longtemps possible. Mais force est de reconnaitre que le mal sénégalais s’est gangréné partout et l’armée sénégalaise, comme tous les autres secteurs de la société, n’y échappe pas.

Le capitaine Dièye avait mis en place un mouvement dénommé  ‘’Nit’’ pour défier le président de la République en 2019. Comment appréciez-vous cette immixtion d’un soldat dans l’arène politique ?

La question qu’il faut se poser est de savoir est-ce qu’un citoyen sénégalais a-t-il oui ou non le droit de regarder sa société, d’estimer que la situation actuelle est désastreuse et d’en déduire qu’il doit investir un espace dans la vie nationale pour apporter sa contribution. Qu’est-ce qu’il y a de mauvais là-dedans ? S’il est dans un système qui ne lui permet pas de l’exprimer, parce que l’armée à ses règles, il  décide de démissionner, au nom de quoi et pour quelle raison devrons-nous faire de l’injustice ?

Est-ce une raison pour bafouer les règles établies à cet effet, parce que les officiers libérés par l’armée doivent rester un délai réglementaire avant de s’investir en politique ?

Je ne connais pas les artifices et les détails de cette affaire, mais je crois savoir que cela fait deux ans déjà qu’il a déposé une demande de démission. Si le pays fonctionnait normalement, un capitaine ou un officier de l’armée qui estime devoir aller ailleurs pour exprimer ses talents, il ne doit pas y avoir de problème pour qu’il soit libéré et que sa place soit occupée par d’autres qui ont envie de rester dans l’armée et de contribuer à son développement. Si, par laxisme ou par manque d’organisation, nous en venons à trainer les gens pendant deux ans pour quelqu’un qui a son projet personnel, qui estime ne plus être à l’aise dans l’armée, je crois qu’on ne peut pas imposer à quelqu’un cette loi du silence et le fixer quelque part sans donner cours à sa liberté. C’est cela le fond du problème.

Quelle appréciation faites-vous du limogeage du Dage de la présidence de la République qui a été débarqué pour avoir donné son point de vue sur cette affaire ?

C’est ce que je dénonce souvent, le centralisme absolu du pouvoir et sa surconcentration autour du président de la République. Si c’était un problème stricto-sensu militaire, croyez-vous que le président de la République devait se sentir offusqué ou interpellé dans le fait qu’un seul soldat ou un citoyen, en service quelque part, décide de ne plus y être et de démissionner ? C’est cela le fondement du problème. Pourquoi le président de la République pense que l’expression de la liberté du citoyen est une atteinte à son honorabilité ? Soit nous sommes dans une République avec des règles et des libertés pour tout un chacun, soit nous sommes dans une dictature.

Est-ce que le devoir de réserve ne lui impose pas une certaine neutralité ?

Mais vous ne pouvez pas nous opposer tout le temps le devoir de réserve. Lorsque l’individu prend sur lui la responsabilité de démissionner, cela veut dire qu’il a déjà personnellement rompu le contrat de confiance qui le liait à l’armée nationale. Dans son esprit et dans son comportement, il n’est pas souhaitable qu’un tel individu puisse continuer à demeurer dans une armée. Parce que l’armée est un corps homogène avec des règles très précises. Quand quelqu’un décide de se désolidariser de cela, je crois que pour la sécurité de notre armée, vouloir le maintenir est suspect. De ce point de vue, je pense que c’est un problème élémentaire qui aurait dû être réglé.

Vous n’en voulez plus, nous aussi nous ne voulons plus de vous, vous allez dénoncer ce que vous avez à dénoncer là où vous le voulez et le problème est terminé. Si c’était un problème stricto sensu réservé à l’armée, je pense que celle-ci a les moyens internes de le régler dans les règles et les modes prévus par la loi. Par conséquent, le commentaire qu’un individu, connu par ailleurs comme étant membre du parti du président de la République, n’est aucunement, à mon avis, un moyen pour l’invectiver. Maintenant le limoger, ce n’est pas de ma responsabilité, mais plutôt celle du président de la République pour toutes les raisons qui lui sembleraient bonnes. Ce n’est pas mon problème.

Parlons à présent du rejet de la requête de l’opposition auprès du Conseil constitutionnel pour faire annuler la loi sur le parrainage. Comment avez-vous accueilli le verdict de cette juridiction ?

Cette juridiction pose problème au Sénégal et cela n’a pas commencé en 2012. Voici un groupe d’hommes et de femmes que personne ne connait. Vous ne pouvez pas mettre un visage sur les noms. Ils sont tellement habiles que depuis qu’ils sont nommés, au lieu de répondre à l’idéologie de leur fonction, ils se contentent simplement de répondre aux quatre volontés de l’Exécutif. Ça n’a pas commencé avec Macky Sall. Remontez plus loin et vous vous rendrez compte que dans leur histoire, jamais ils ne se sont positionnés contrairement aux intérêts de l’Exécutif. En réalité, le Conseil constitutionnel sénégalais, contrairement aux Conseils constitutionnels d’autres pays africains comme ceux du Bénin ou du Kenya qui sont capables de prendre leurs responsabilités, ils ont accepté de s’étaler pour qu’on les piétine et qu’on piétine le droit par-devers eux. Je vous rappelle ce qui s’est passé en 2011 et le cas de l’honorable député Khalifa Ababacar Sall. Nous les avons saisis, ils se sont écrasés, alors que les libertés constitutionnelles d’un citoyen ont été banalisées. Ce Conseil constitutionnel n’est compétent que dans deux situations : répondre aux quatre volontés de l’Exécutif et aujourd’hui c’est Macky Sall qui siffle la trompette, et deuxièmement, être toujours compétent pour qu’à la fin du mois, aller prendre leurs salaires.

Pourquoi avez-vous donc choisi de saisir cette juridiction, si tel est le cas ?

Je ne suis pas de ceux qui vont démissionner. Je suis pour qu’on les interpelle, pour que l’histoire retienne que certains parmi eux qui sont payés avec les deniers du contribuable sénégalais et largement au-dessus du salaire des ministres, qui sont protégés par la loi, car le président de la République ne peut pas les démettre. Ils ont l’entièreté de leur liberté, personne ne les enferme, ils n’ont aucune contrainte, ils sont mis à l’aise avec nos efforts. Quand bien même qu’on les met dans les meilleures conditions, ils sont incapables de restituer le minimum de considération qu’ils doivent aux Sénégalais. Bien au-delà du Conseil constitutionnel, ils sont  nombreux dans les institutions. Je donne le cas du Cnra qui a un budget de 400 millions de francs Cfa.

Ils utilisent l’argent du contribuable sénégalais, mais l’opposition n’a pas droit de cité à la Rts. Depuis quand vous n’avez pas vu l’ombre d’un seul opposant à la Rts ? Vous avez vu le traitement qu’ils ont fait à l’opposition, lors des élections passées ! Ce qui est pire, c’est qu’il y a un ancien journaliste, président d’un groupe de presse qui est là-bas. Regardez également l’Ite, 140 millions y sont déposés chaque année. Est-ce que ces individus ont été capables de protéger le Sénégal lorsqu’il a fallu signer les contrats les plus calamiteux et les plus antipatriotiques sur le pétrole et le gaz ? Voici le problème que nous avons. Nous avons des individus au Sénégal qui sont pires que les transhumants. Eux, ils n’ont pas besoin de transhumer, ils se contentent de capter des forces pour user et abuser de l’argent public, alors qu’en retour l’obligation et le devoir qu’ils avaient vis-à-vis de la nation et de la stabilité de notre pays ne sont pas respectés. Souvent, on tire sur le président de la République, mais, en réalité, il est fort parce qu’il a énormément d’escrocs un peu partout éparpillés qui travaillent à conforter son escroquerie.

Compte tenu de cette situation que vous décriez, quelle est votre posture ?

Ma posture est celle d’un des plus illustres fils de ce pays, Mame Abdoul Aziz Sy en l’occurrence (que Dieu ait pitié de son âme). Il disait avec justesse que lorsque vous partagez un bien avec des individus, s’ils se lèvent pour le gaspiller ou pour le détruire, l’énergie qu’ils mettent à le détruire, mettez cette même énergie pour les contrer. C’est comme s’il y a aujourd’hui une association de malfaiteurs qui a fait main basse sur le pays. Il faudrait que tous ceux qui ne se retrouvent pas dans cette dynamique apprennent à parler ensemble et à créer des synergies pour contrer ce mal. Parce que comme le disait Edmond Berg, c’est l’indifférence des hommes de bien qui permet au mal de triompher. Le mal est profondément ancré dans la société. Il est dans les mœurs, dans le système, dans les modes de gestion et c’est ça le grand péril que nous sommes en train de vivre aujourd’hui.

Face à une telle situation, que préconisez-vous en tant que politique ?

La thérapie est très simple : j’estime qu’à l’orée des élections à venir, que des gens comme Cheikh Bamba Dièye, Thierno Alassane Sall, Hélène Tine et comme beaucoup d’autres dans l’espace politique, les Sénégalais les reconnaissent par leur crédibilité, leur constance, leur expérience de l’Etat et leur patriotisme, se retrouvent. Ces articulations devraient nous permettre à nous mettre ensemble pour que cette fois-ci, être les véritables pères fondateurs de notre pays. Aux indépendances, des efforts ont été certes fournis, mais force est de reconnaitre que ça n’a pas été à la hauteur, vu la situation actuelle du pays. Ce qu’il nous faut, c’est avoir à l’esprit l’idéal des pères fondateurs américains, que les jeunes générations apprennent à parler ensemble, par exemple dans une plateforme.

C’est pour cela que je suis dans ‘’Fippu’’ pour une alternative citoyenne où l’on appelle à créer cette plateforme où les gens viendront par devoir et par esprit patriotique, où chacun d’entre nous aura une mission dans un espace déterminé de l’Etat. Ensemble, on veillera à ce que trois choses soient respectées : tout acteur ou décideur au sommet de l’Etat qui aura menti dans ses fonctions devra être destitué ; deuxièmement, on ne confiera aucune responsabilité à un individu s’il ne justifie ses compétences et sa probité ; troisièmement, il y aura la certitude de la sanction pour toute personne qui sera en porte-à-faux avec les lois. Si la société nationale, celles civile, politique ou religieuse se mettent en harmonie et en accord autour de ces trois points, en ce moment, l’émergence de la nation sera possible et réalisable.

J’en appelle à la responsabilité de tout un chacun, puisque nous avons une contradiction essentielle, c’est Macky Sall et ses promesses ratées, parce qu’il n’y a plus de reddition des comptes, parce qu’on s’est battu contre Awa Ndiaye pour confier le pouvoir à Awa Ndiaye. Ce qu’il faut pour changer et refonder le pays, va heurter beaucoup de chasses gardées. Ce sera des mesures impopulaires à prendre. Il n’y aura qu’un groupe qui pourra l’assumer, un groupe de Sénégalais intègres, patriotes. C’est cela le fondement de ‘’Fippu’’ pour une alternance politique et citoyenne.  

PAR ASSANE MBAYE & HABIBATOU TRAORE

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