Publié le 19 Sep 2013 - 20:26
CHEIKH NGAÏDO BA, CINÉASTE

 ''Le cinéma, de Senghor à Macky''

 

 

Secrétaire général de l'association des Cinéastes  sénégalais associés (Cineseas), secrétaire régional de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) pour la zone Uemoa, Cheikh Ngaïdo Ba est accusé de s'accrocher à son fauteuil. Dans cet entretien avec EnQuête, le cinéaste, scénariste, producteur et acteur répond à ses pourfendeurs et jette un regard critique sur la situation de l’industrie cinématographique, au Sénégal et en Afrique.

 

 

Décrié par certains acteurs du secteur, le ministre de la Culture Abdou Aziz Mbaye vient d’être reconduit à son poste. Quelle lecture en faites-vous ?

S’il fait son boulot il doit rester.

 

Souhaitez-vous, comme d'autres, son départ de ce département ?

Je prends la balle au rebond. Moi, je ne m’attendais pas à son départ. Celui qui l’a nommé sait sur quelle base il l'a nommé, il a ses raisons, il est plus informé que moi ; un chef d’État est plus informé que quiconque même si tu es dans ton secteur. S’il l’a reconduit à ce poste, il sait pourquoi il l’a fait.

 

D’aucuns disent que le ministre n’associe pas les professionnels…

Être associé ne veut rien dire. Quand il va dans une région, concernant la diversité des expressions culturelles, il parle aux artistes de la région. Maintenant, être associé, c’est quoi ? Par contre, le partenariat, je ne le vois pas dans les projets du ministère. Un grand de votre profession (Mamadou Oumar Ndiaye, directeur de publication de l'hebdomadaire Le Témoin qui était en face de lui, juste avant le démarrage de l’interview, Ndlr) vient de le dire, il est question d'entrepreneuriat culturel. On n’attend pas d’être associé ; un entrepreneur n’attend pas qu’on l’associe. Il entreprend jusqu’à ce qu’on le trouve sur son chemin.

 

Que représente pour vous la société de la gestion collective en vue ?

La société de la gestion collective (Sgc) est un chantier important. Parce que simplement, aujourd’hui, les droits voisins nourrissent les droits d’auteurs. Rien que la copie privée peut emmener annuellement 5 milliards de francs Cfa.

 

A qui profitera cet argent ?

Aux artistes. Il va à la Sgc pour la répartition. L’artiste vivra mieux.

 

Que pensez-vous du débat sur la protection sociale de l’artiste ?

Il s'agit du statut de l’artiste. Je pense que le paysan peut demander son statut, le mécanicien et d’autres. Mais nous, nous sommes dans une industrie assez particulière, parce que la convention de l’Unesco nous dit d’ailleurs que la culture est une marchandise, mais pas une marchandise comme les autres.

 

Peut-on avoir une véritable industrie culturelle au Sénégal ?

Je suis membre du Conseil économique, social et environnemental. Et pour ne pas trahir un secret, dans notre prochaine session, nous parlerons du renforcement des industries culturelles pour faire en sorte que les acteurs culturels deviennent des opérateurs économiques.

 

  

Le ministre l’a-t-il compris ainsi ?

Je pense que le ministre, en tant qu’économiste, est sur cette lancée. Maintenant, va-t-il le réussir ou non ? Yàllà rek moo xam (Seul Dieu Sait). Je souhaite qu’il réussisse, tout comme je souhaite que l’actuel régime réussisse ce qu’il est en train de faire, la rupture dont il parle.

 

Doit-on en finir avec le Bureau sénégalais des droits d’auteurs (Bsda) ?

Il y a des gens que je connais, qui sont de grands artistes, qui ne sont pas sociétaires du Bsda et ne veulent pas de droits du Bsda. C’est leur droit ; mais ils entreprennent. Il faut qu’on revienne à l’orthodoxie.

 

C’est-à-dire ?

Avec la nouvelle société de gestion collective, des gens demandent qu'on ferme le Bsda tout de suite ; je ne suis pas d’accord. On ne peut pas fermer le Bsda.

 

Pourquoi ?

Ils se trompent, la nouvelle société collective hérite du Bsda. La dimension auteur, les locaux, l’existant, on ne peut pas liquider le Bsda. C’est un problème de niveau. Désolé, on ne peut pas dire que le Bsda, établissement public à caractère professionnel, créé en 1972 par une loi, qui est aujourd’hui obsolète et dépassé - tout le monde est d’accord là-dessus - doit être liquidé.

 

Est-ce que la valeur des droits voisins est  appréciable actuellement en Afrique ?

C’est cela qui nous manque. On a la loi depuis 2008, il faut simplement adjoindre les droits voisins, créer une société sénégalaise de gestion collective. On ne doit même pas parler de nouvelle, parce que cela vient un jour.

 

Est-ce pour cela que vous appelez à l'union ?

Oui, on a dit qu’on regroupe tout le monde, l’union faisant la force parce qu’en France, c’est éclaté. Dans les pays comme la Norvège, le Danemark, la Suisse, on a une seule société de gestion collective qui regroupe les droits d’auteurs et les droits voisins avec des collèges. C’est ce que nous voulons expérimenter ici.

 

Que pensez-vous du débat sur le monument de la renaissance et les droits d'auteur revendiqués par Wade ?

Une fois, je discutais avec le président Wade, je lui ai dit : ''Vous n’avez aucun pouvoir sur le monument de la renaissance''. Il m'a rétorqué que c’est son idée. Dommage, le droit d’auteur ne protège pas l’idée, il protège les œuvres. Si vous n’êtes ni le maître d’œuvre ni le constructeur de l’œuvre, vous ne pouvez pas avoir de droits d’auteur. Mais il m'a dit que je ne suis pas juriste, alors que lui est un agrégé en droit. Je lui ai répondu que concernant les droits d’auteurs, je suis allé les chercher : la Convention de Bernes, dama ko naan (je l’ai assimilée) ; idem pour la Convention de Rome et toutes les autres conventions connexes, parce que cela m’intéresse.

 

 

Le secteur cinématographique peine à être relancé. Que faire ?

Dans le cinéma, tout est fait, on ne fait qu’appliquer ce qu’il y a. Depuis 1990, nous avons travaillé sur le texte, nous avons une loi depuis 2002, nous avons des décrets d’application depuis 2004, on leur demande d’appliquer ce qui est fait, c’est tout.

 

Qu'est-ce qui a été fait jusque-là sur le cinéma sénégalais et africain ?

Rien ! Qu’est-ce qui a été fait ?

 

N'y a-t-il donc aucune avancée notable ?

Non, rien du tout (sourire). Le cinéma se porte très mal, il y a les cinéastes qui se battent et ça, ce n’est pas propre au Sénégal, c’est dans toute l’Afrique. Quand j’étais en Afrique du Sud, le diagnostic est le même ; les cinéastes se battent mais il n'y a pas de cinéma.

 

N’existe-t-il pas de subventions pour le cinéma ?

Là aussi, faisons la part des choses. Quand on dit subventions, il y a deux choses. L’industrie du cinéma, on ne la subventionne pas, c’est un investissement, c’est comme l’éducation, la santé, c’est le pouvoir régalien de l’État de créer un fonds pour la promotion de l’industrie du cinéma. C'est vrai qu'on fait des films, et qu'on n’a pas de fonds, mais on a raflé tous les prix à Ouaga (au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou - Fespaco 2013).

 

Vous avez demandé à ce qu’on fasse l’audit de tous les fonds, à quelle fin ?

Ce que nous disons, c’est le maintien du  Recidak (Rencontres cinématographiques de Dakar, Ndlr). Depuis 2002, il n'y a pas eu de Recidak. Il paraît que chaque année, c’est budgétisé à 50 millions de francs Cfa. 2002 à 2012, cela ferait une somme global de 500 millions, où est parti cet argent ? En outre, il y a le projet d’appui à l’industrie cinématographique et audiovisuel, c’est 300 millions par an, pendant 7 ans.

 

 

Et à qui est destiné le fonds d'aide ?

Le fonds d’aide est destiné à l’association des cinéastes sénégalais, aux subventions. Depuis 2009, nous n’avons pas reçu un seul sou. Les derniers 5 millions qu’on a reçus, c’était sous le magistère de Mamadou Bousso Lèye (mai 2009 - mai 2011, Ndlr). Depuis lors, on n'a plus rien reçu.

 

Et comment est structuré le bureau du président de Cenesa ?

Il y a un président, un vice-président, un secrétaire général, un secrétaire général adjoint, un trésorier et deux commissaires aux comptes.

 

Quelle est la durée du mandat du Président ?

C’est trois ans. Vous allez dire que j’ai fait deux mandats, j’enjambe un troisième mandat, oui…

 

Pourquoi ?

En 1968, j’ai rencontré Sembène Ousmane pour la première fois, et qui, jeune contestataire, a créé l’association. Je suis parti et revenu en 1973, j’ai adhéré à cette association. Elle ne va pas mourir entre mes mains avec la situation actuelle...

 

Vous vous accrochez, on dirait…

Je ne m’accroche pas. La preuve, je suis très collégiale, je m’entends avec tout le monde. Mais dans la situation actuelle, ce serait de la folie de laisser l’association telle quelle. Nous demandons à l’Etat  de donner les subventions, qu’on assainisse tout, qu’on aille à une assemblée générale.

 

 

Pourtant, on assiste à la création d’autres associations de cinéastes concurrentes...

Je les encourage, il n’y a pas de problème.

 

Ah oui ?

Nous sommes la mère des associations, nous sommes les dépositaires de Sembène Ousmane, Ababacar Samb, Mahaman Johnson Traoré, etc. Nous sommes là. Mais je réfute l'idée de concurrence, c’est une complémentarité, et c’est bien. Je suis pour la diversité des expressions. C’est mon combat. La pensée unique, je n’y ai jamais cru. J’ai lu le livre de Mao Tsé-Toung quand je n’avais pas 20 ans. Je suis à leur disposition et les soutiens de toutes mes forces.

 

Il se dit que vous travaillez sur un projet de long-métrage d’Alioune Badara Bèye qui s'appellerait ''Bilal''. De quoi s'agit-il ?

Oui, c’est bien cela. C’est un projet, vous saurez tôt ou tard.

 

Quels sont vos rapports avec les différents chefs d’État sénégalais et qu’ont-ils fait pour le cinéma ?

Pour Senghor, je sais pourquoi : j’avais aidé Francis Senghor à faire un film qui s’appelle ''Golden Baobab''. Quand j’ai rencontré Senghor, j’ai validé tout ce qu’il disait à savoir : ''La culture est au début et à la fin de tout développement ; le rendez-vous du donner et du recevoir ; la civilisation de l’universelle, etc.'' C’est ce qui se passe aujourd’hui. Il était trop en avance sur son temps.

 

Et qu’a-t-il apporté au cinéma ?

Il a révolutionné le cinéma africain en créant une rupture avec les boîtes coloniales. Il a mis en place la Sidec (Société d’importation, de distribution et d’exploitation cinématographique) qui a vraiment fait la promotion du cinéma sénégalais ; le coup de fouet. La Sidec alimentait la production (Xala, Ndiagaane, Tableau ferraille, L’enfant de Ngaari, Samba Talli, etc.).

 

Que dire d’Abdou Diouf ?

Mon grand frère et ami, commis de l’État, très froid ; mais il a créé la Snpc (Société nouvelle de promotion cinématographique). On avait demandé 500 millions par an. Finalement, il a coupé la poire en deux, en accordant 250 millions par an pendant 5 ans.

 

Et Wade ?

Il n’a rien fait. Mais il a eu tous les textes. C’est extraordinaire, c’est sous Wade qu’on a eu toutes les lois (la loi sur le code d’industrie cinématographique en 2002, les décrets d’application 2004), n’empêche, rien n’a été fait.

 

Y a-t-il de l’espoir avec Macky Sall ?

Il y a de l’espoir, car il a dit, au moins en tant que cosignataire d’abord du fonds de promotion depuis 2004 alors qu’il était Premier ministre, qu'il va l’alimenter, à partir de 2014, pour un milliard et ceci durant son règne.

 

 

Que comptez-vous faire pour relancer les salles de cinéma ?

Quand je disais que le fonds, c’est pour la production, les gens ne m’avaient pas compris. La création de salles est un business, je suis désolé. Si nos hommes d’affaires savent qu’ils ont un coup à apporter, libre à chacun de développer ses affaires. Et puis les salles de 2 000 places, c’est dépassé. On avait un projet, je ne veux pas m’avancer, avec la place du service d’hygiène ; je ne sais pas où il en est.

 

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