Publié le 27 Jul 2012 - 10:08
CHEZ LES ''BAYE FALL''

 Le Ramadan et ses variantes

 

Ils ont leur propre style vestimentaire et façon de pratiquer la religion musulmane. Dès lors, le ramadan a une autre signification chez les Baye Fall qui se singularisent par la vivacité de leur foi...

 

 

Mardi 24 juillet. Quatrième jour du ''meilleur des mois'' du calendrier musulman. Il est 13h à Guédiawaye, non loin de l'ancien siège du PAI. Le soleil tient intact ses rayons. L'endroit, d'habitude très animé, affiche un calme plat. Des jeûneurs sont allongés à plat ventre, au moment où d'autres marchent à pas lent. Les Baye Fall, du nom des disciples de Cheikh Ibra Fall, le 40e compagnon du fondateur de la confrérie Mouride, qui apportent un souffle de vie aux lieux, brillent par leur absence. Comme par enchantement, ils ont déserté, ce jour, la dibiterie du coin, leur point de convergence.

 

Baye Mangoné Fall, dreadlocks dissimulés derrière un foulard, chapelet au cou, ne passe pas inaperçu. Il presse son allure et dégage la mine d'un vrai sportif. Sa mise vestimentaire renseigne sur son appartenance au mouvement ''Baye Fall''. L'homme est imposant mais se fait surtout remarquer par son regard perçant, sa vivacité d'esprit, sa sérénité.

 

Il a acquis une belle notoriété dans ce quartier populeux, en raison de son ''exemplarité''. Investi du titre de ''djawrigne'' (chef), il s'enorgueillit, au détour d'une conversation, de la noblesse de son caractère qu'il a tirée de l'Islam, sa religion. Paradoxe : l'observation des 5 piliers de l'Islam n'est pas une obligation pour lui.

 

Ses pairs et lui se sont fait une religion : pas de contrainte en religion. Même s'ils n'ont eu de cesse, disent-ils, de proclamer l'Unicité de Dieu, à longueur de journée, par des zikrs et des actes de bienfaisance. ''Je suis un Baye Fall pure souche, né de père et de mère fervents disciples de Cheikh Ibra Fall, qui a été exempté de prière et de jeûne, en raison de sa dimension spirituelle. Chez nous, jeûner n'a jamais été une règle. Il nous arrive de le faire en guise de ''hadiya'' (étrenne) à notre guide.''

 

«Il nous arrive de jeûner pour remercier notre guide»

 

Baye Mangoné Fall a épousé aussi une ''yaye fall'', répondant féminin de ''baye fall''. La dame est également à cheval sur les enseignements de leur guide. Leurs valeurs communes leur permettent de resserrer les liens. Chez eux, le respect du culte de l'autre est une exigence. ''Nous ne jeûnons pas, à la maison, depuis mon enfance. C'est une tradition. Mais nous avons toujours évité de préparer à midi un repas qui puisse aiguiser des appétits par respect pour le voisinage. Nos femmes cuisinent dans la discrétion'', selon M. Fall.

 

Les propos ne varient pas chez nos interlocuteurs. Tous soutiennent tenir à la discipline, à la courtoisie, au respect du prochain, raison pour laquelle ils se sustentent, durant ce mois de privations, loin des regards. ''On peut se contenter de l'arachide grillée, de quelques biscuits, d'un verre de lait caillé comme repas à midi. La spiritualité est notre tasse de thé'', confie, pour sa part, Baye Massamba Fall, un autre membre du mouvement qui tire sa substance du mouridisme.

 

Mais chez la famille Diop au quartier Fith Mith, cuisiner un bon ''ceebu jën'' (riz au poisson) à midi s'inscrit dans l'ordre normal des choses, qu'importe si cela gêne dans le voisinage ou si les effluves taquinent des narines. ''Jusqu'au décès de mon premier mari, je ne me suis jamais acquittée du jeûne conformément à ses injonctions. Mon actuel mari m'a incitée à observer le ramadan, mais mes enfants ont décidé de suivre les pas de leur défunt père. Je ne peux les priver du droit de manger à l'heure du repas'', explique Ndèye Fall, une commerçante respectueuse des enseignements de Cheikh Ibra Fall.

 

Dans une communauté musulmane sénégalaise en majorité attachée à la charia et à la sunna, les membres de ce courant passent pour des ''anticonformistes'', des ''hors-la-loi'', voire des marginaux. Or, se défendent-ils, avec force arguments, la religion est une philosophie, un état d'esprit. Elle se vit intérieurement. Et le jeûne dépasse, pour eux, l'abstinence alimentaire. ''Nous pratiquons le ramadan à notre façon en faisant preuve de générosité envers les nécessiteux.

 

Nous faisons chaque jour don d'un ndogu, le repas de rupture du jeûne, à la mosquée, pour rendre grâce à Dieu. Aider son prochain pour l'amour divin, ériger le travail en culte, fermer les oreilles aux médisances, cela a plus de valeur chez nous que des pratiques mécaniques. Nous sommes convaincus que la religion n'a de sens que si elle contribue à l'élévation spirituelle de l'individu. Notre éducation religieuse nous a aidés à dépasser certaines contingences de la vie'', tient à préciser le djawrigne Baye Mangoné Fall.

 

«Pour nous, le maadjal a la même valeur que le jeûne»

 

Dans cet univers particulier, le ramadan a une connotation religieuse qui dépasse l'entendement du commun des Sénégalais. Baye Massamba Fall en est une illustration. Ce fervent disciple qui se réclame de Serigne Abdou Karim bou Serigne Fallou sert un récit énergique quand il évoque le sens de leurs pratiques religieuses.

 

Sueur suintant sur son visage, les sourcils broussailleux, il respire à grands coups, en marquant une pause suite à un longue marche. Depuis le début du ramadan, il parcourt, chaque jour, sous un soleil éclatant, des kilomètres pour mendier en vue de nourrir les nécessiteux. Le maadjal est sa façon à lui de pratiquer le ramadan. ''C'est une pratique qui nous a initiés à l'humilité et à la générosité. Elle a la même valeur que le jeûne'', dit-il.

 

Comme d'autres, ils marchent de la banlieue au centre-ville de Dakar pour bénéficier, d'après lui, de l'agrément divin : ''Nous cherchons à servir notre prochain et, par là, à proclamer la grandeur divine.'' ''Vous conviendrez avec moi que la religion repose sur le partage, la solidarité, l'amour du prochain. Les pratiques cultuelles instituées par la religion n'ont pour but que de dépouiller le cœur humain de souillures telles que la jalousie et la haine. Nous avons été astreints à des contingences de la vie qui font de nous de vrais musulmans et qui nous ont aidés à purifier nos cœurs.

 

Nous avons pu atteindre ce niveau grâce à notre vénéré marabout, un homme multidimensionnel. Pratiquer les rites sans avoir un cœur pur est pour nous un acte vain'', renseigne Baye Massamba Fall. Il s'en va, après s'être reposé, à la quête de pièces d'argent pour le ndogu à offrir aux couches démunies. Non sans souligner que leurs œuvres font tache d'huile et inspirent des mouvements de solidarité dans notre pays.

 

 

«A l'origine des marmites du cœur»

 

Cheikh Thiam, propriétaire d'une grande bijouterie en face du siège du PAI, ne semble pas du genre à faire étalage de sa richesse. Son magasin, qui brille par l'éclat des bijoux en or et en argent, est d'un style sobre. Mais l'homme se dit insensible aux ''faux brillants'' de la vie. Fervent talibé ''baye fall'', il pratique à la lettre les recommandations divines. Homme d'une cinquantaine d'années, Cheikh Thiam a toujours jeûné.

 

Il n'a jamais raté une prière, bien qu'il soit béat d'admiration pour son vénéré guide spirituel. Il s'extasie quand il revient sur les grandes étapes qui ont marqué la vie de son maître spirituel ; lequel serait, aux yeux de Cheikh Thiam, à l'origine du concept des ''marmites du cœur'' : ''Il nous a toujours exhorté au don de soi et au culte du partage. Faire don de repas copieux aux couches démunies est une règle d'or chez nous.''

 

S'il fait partie des rares disciples de Cheikh Ibra Fall à respecter les piliers de l'islam, dont le jeûne, c'est parce que, dit-il, il n'a pas le temps de s'acquitter, en ce mois béni, de travaux agricoles ou de faire le ''maadjal'', lesquels dispensent du jeûne chez les baye fall. ''Je me donne à fond dans mon boulot. Le travail fait partie des actes de dévotion. Mais comme tout fidèle disciple, je contribue chaque jour à l'élan de solidarité envers les nécessiteux par le biais d'une cotisation'', se justifie-t-il.

 

MATEL BOCOUM

 

 

Section: