Publié le 6 Sep 2021 - 21:47
CHRONIQUE DE PHILIPPE D’ALMEIDA

Condé est tombé

 

Comme dans une ultime crânerie, Alpha Condé, chemise froissée ouverte sur la poitrine, parait poser pour les photographes qui prennent les premières images de sa chute : le coude droit posé sur l'accoudoir d'un canapé, le poing collé à la joue, la jambe gauche ramenée contre lui et le pied sur le siège du canapé, l'ex-président se fait taiseux face aux premières questions qu'on lui pose et qui viennent de ses tombeurs. Il donne l'impression d'avoir été brutalement confronté à l'accélération des événements et de se donner le temps de les digérer. Des tirs nourris d'armes automatiques ont abrégé sa grâce matinée dominicale. De quoi le rendre vaseux...

 Le Groupement des forces spéciales, avec à sa tête Mamady Doumbouya, ancien légionnaire de l'armée française, a renversé son pouvoir au bout de quelques heures de combat. La danse du scalp pouvait commencer...

Le scalp d'un homme déraisonnablement accroché au pouvoir, après l'avoir démocratiquement conquis en 2010 et avoir brisé tous les rêves démocratiques qu'il avait pu faire miroiter à son peuple, après des décennies de tyrannies successives dont la plus sinistre fut celle de Sékou Touré. Dictature originelle d'un Etat permanent de totalitarisme et de souffrances qu'Alpha Condé avait sacerdoce et mandat d'arrêter.

Mais le 18 octobre 2020, après avoir échoué sur tous les registres, il annonçait sa candidature pour un troisième mandat et se faisait proclamer président le 7 novembre au milieu de tensions et d'émeutes qui allaient faire des dizaines de morts. Pas les premiers. Les onze années de pouvoir de cet homme que l'on dit obstiné, cassant, arrogant, colérique et volontiers violent, aura été émaillé de nombreux morts, de tortures et d'exactions en tout genre.

Alpha Condé aura, par ailleurs, aggravé le scandale géologique de ce pays pourvu de richesses minières et hydrologiques considérables, mais dont la moitié de la population vit avec moins d'un euro par jour...

S'accrochant au pouvoir en dehors de tout bon sens, Alpha Condé en était arrivé à ne voir son pouvoir qu'à travers le prisme de ses illusions. Il est bien connu qu'à travers les fenêtres des tours d'ivoire, l'on ne voit qu'un monde déformé. Le tyran guinéen, ivre d'échecs jusqu'à la fatuité, se sera habitué à ces déformations jusqu'à ce qu'hier matin, des rafales de kalachnikovs le ramènent à la réalité.

Et l'on attribue les raisons de ce coup de force aux conséquences de la mise à l'écart du commandant des forces spéciales qui n'était nul autre que le nouvel homme fort autoproclamé du pays. Mais cette mise à l'écart n'est que l'épiphénomène d'une situation de ras-le-bol ; le déclic militaire d'un contexte politique tendu qui confinait à l'impasse.

Il fallait en sortir. Les condamnations qui fusent, depuis hier, de toutes les institutions internationales et qui en appellent à une libération immédiate du président Condé, font cependant, hormis la CEDEAO qui n'inspire plus ni respect ni crédibilité, l'économie d'un appel au "retour à l'ordre constitutionnel " comme elles le firent pour Ibrahim Babacar Keita (moins antipathique) au Mali, il y a quelques mois. Ce n'est pas anodin. Même la communauté internationale avait fini par se lasser de ce bouffon obtus et sanglant qui incarnait l'antithèse du modèle démocratique auquel aspire une Afrique intégrée aux paradigmes de gouvernance moderne et ouverte.

Les scènes de liesse qui ont suivi la chute de Condé sont révélatrices de la satisfaction générale qu'elle procure. Ce n'était pas le schéma idéal de libération de ce pays, car il conforte l'idée d'une Afrique toujours malade ; il souligne la vérité d'un pays qui a encore du chemin à faire pour s'affranchir d'un destin douloureux.

Mais il met un terme à l'opprobre que ce pouvoir ubuesque jetait sur tout un peuple et ce n'est pas le moindre de ses mérites.

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