Publié le 26 Oct 2019 - 03:00
CLASSEMENT DOING BUSINESS

Le bond en avant du Sénégal 

 

Contrairement à 2013, quand le président de la République Macky Sall tapait sur la table pour la 178e place donnée au Sénégal, le gouvernement s’estime, aujourd’hui, très heureux d’être passé, en un an, du 141e au 123e  rang dans le classement doing business 2020 dévoilé, hier.

 

La Banque mondiale a publié, hier, le rapport doing business 2020. Si l’on se fie au classement, le Sénégal fait partie des meilleurs élèves d’Afrique en matière de réforme de l’environnement des affaires. Il gagne 18 nouvelles places et se hisse au rang de 123e mondial, 16e en Afrique subsaharienne, derrière des pays comme le Togo qui est la 97e mondiale et qui fait partie du top 10 des réformateurs dans le nouveau rapport. Entre 2013 et maintenant, le Sénégal a ainsi gagné presque 60 places, pour un total de 23 réformes reconnues par le doing business, depuis 2015. Directeur général de l’Apix, Mountaga Sy s’enflamme : ‘’C’est un bond significatif et exceptionnel qui nous a valu, dans ce cycle de 5 ans, d’avoir été 3 fois de suite parmi les 10 meilleurs réformateurs au monde…’’.

Comme pour montrer que le Sénégal n’a rien à envier au Togo, pourtant devant lui presque partout. Il dit : ‘’Le Togo a déroulé des réformes que nous, nous avons déjà fait. Je ne cite pas le nom des pays. Mais, il y en a qui étaient là l’année dernière et que vous ne voyez pas ce matin. D’autres étaient là il y a deux ans et vous ne les voyez pas. Nous, nous sommes là depuis 2012’’. En fait, le lancement du rapport, chaque année, est fait en vidéo conférence avec les meilleurs élèves de chaque zone.

Selon le directeur général de l’Apix, dans le nouveau rapport, le Sénégal a fait valider 4 réformes majeures. Il s’agit notamment du e-taxe qui permet aux entreprises d’honorer leurs obligations fiscales sans se déplacer, de la facilitation de l’obtention de prêts par la création du Bureau d’information sur le crédit, de la création du tribunal du commerce qui aurait permis de réduire de 30 à 35% les délais d’exécution des contrats en cas de conflit…. Autant de réformes qui, estime-t-il, ont largement contribué à l’amélioration du classement du Sénégal. ‘’Ceci, renchérit-il, s’appuie sur un socle qui est le programme de réformes de l’environnement des affaires et de la compétitivité (PREAC) mis en place par le président de la République, avec un mode de suivi et de pilotage représentant l’ensemble des administrations du pays avec une implication forte du gouvernement’’.

Lors de la vidéo conférence qui a réuni des experts de la Banque mondiale à Washington, ainsi que les parties sénégalaise et togolaise, la présentatrice du rapport en ce qui concerne le Sénégal a précisé que : ‘’C’est grâce à deux réformes très importantes que le Sénégal s’est hissé au niveau où il se trouve. Il s’agit de l’obtention de prêts et du paiement des impôts et taxes’’. Elle renseigne, en outre, qu’en matière de facilitation des affaires, le Sénégal obtient un score de 59,3 sur 100 contre 54,4 sur 100 dans le rapport antérieur (100 étant la meilleure performance). L’expert souligne que : ‘’La meilleure performance pour le Sénégal est dans l’indicateur : création d’entreprises. Dans cet indicateur, le Sénégal est à 91,2 sur 100. Les meilleures performances sont aussi dans le raccordement à l’électricité et l’obtention de prêts’’.

Toutefois, selon la Banque mondiale, le Sénégal a des efforts significatifs à faire dans le domaine de l’exécution des contrats, ainsi que le règlement de la solvabilité ou la protection des investisseurs minoritaires. ‘’Le Sénégal est à 44,3 sur 100 dans le règlement de la solvabilité... Ce qui est dû au fait que le rapport trouve, qu’à l’issue d’une procédure d’insolvabilité d’une entreprise commerciale, les créanciers recouvrent 30% de leurs créances’’. Aussi, malgré les efforts consentis dans le nouveau classement, le Sénégal est toujours très en arrière au niveau du paiement des taxes et impôts, avec sa 176e place qui contraste avec les résultats ailleurs.

Du côté des acteurs économiques, on confirme les avancées notoires qui ont été réalisées, tout en recommandant davantage de réformes. Directeur exécutif de l’Unacois Yessal, Alla Dieng témoigne : ‘’Nous avons effectivement constaté des progrès très importants en matière de création d’entreprises. Les délais sont effectivement passés de 1 mois environ auparavant à 48 heures maintenant. La dématérialisation des procédures administratives est aussi une réalité en matière d’obtention de permis de construire, tout comme pour le paiement des impôts’’.

En outre, Monsieur Dieng salue l’amélioration de la fourniture de l’électricité qui s’est nettement améliorée, ces dernières années. Mais, malgré les efforts, les complaintes ne manquent pas. Sur le paiement électronique, après avoir confirmé l’effectivité, il souligne que l’administration devrait former les acteurs pour qu’ils se l’approprient davantage. Par rapport à l’accès au crédit qui, avec la mesure qui précède, a permis au Sénégal de faire autant de progrès cette année, il est plus dubitatif. ‘’Nous avons d’énormes difficultés à accéder aux financements...’’, soutient le directeur exécutif de l’Unacois Yessal.

De ce fait, d’ailleurs, il demande la facilitation de l’accès au foncier et à la propriété pour les investisseurs, des transferts de crédits de pays à pays… Alla Dieng : ‘’Le contrôle est trop strict. Moi-même, j’en ai été victime avec des partenaires extérieurs. Je pense qu’il faut un certain nombre de facilités pour encourager les investisseurs’’. Par ailleurs, le commerçant renseigne que les entreprises souffrent également des Couts des facteurs de production, notamment l’eau, l’électricité, le téléphone… ‘’Tous ces éléments font partie des raisons pour lesquelles les PME-PMI meurent très vite. On dit que 30 à 40% des PME-PMI meurent au bout de deux à trois ans d’existence seulement’’, analyse-t-il.

Par ailleurs, les lenteurs au niveau du port non plus ne sont pas de nature à renforcer la compétitivité de l’économie sénégalaise. Selon Alla Dieng, il y a une lourdeur dans les procédures qui contribuent à la cherté des taxes. ‘’Le port, dit-il, a intérêt à améliorer ses procédures pour rendre Dakar attractif par rapport à Abidjan et Accra. Parfois les containers peuvent durer jusqu’à un mois. Ce serait bien d’avoir un guichet unique comme avec l’Apix’’.

Pour sa part, le représentant de la Banque mondiale à la cérémonie, Laurent Corthay, est revenu sur les importants chantiers à réaliser par le Sénégal pour booster encore son classement. Il s’agit de continuer à simplifier la fiscalité des affaires et les procédures d’import/export, continuer l’investissement dans la dématérialisation des procédures administratives et la gestion du changement que cela implique, de moderniser le cadre réglementaire et institutionnel des partenariats publics privés, d’investir dans le capital humain, afin de préparer la jeunesse à un monde du travail en pleine évolution, de continuer à soutenir la compétitivité du secteur des télécoms et le développement de l’économie numérique et de l’évolution.

Le gouvernement, par la voix du DG de l’Apix, semble être bien conscient des chantiers qui se dressent encore sur le chemin. Il déclare : ‘’Nous travaillons, pour rentrer dans le Top 100, à achever les réformes déjà entamées’’. Parmi ces réformes en cours, il cite : le foncier, la législation du travail, les procédures au niveau du port…

Le rapport doing business mesure les améliorations de l’environnement des affaires dans 190 pays selon dix indicateurs spécifiques, qui suivent le cours de la vie de l’entreprise, depuis sa création jusqu’à sa dissolution éventuelle. A en croire Monsieur Corthay, l’Afrique subsaharienne est devenue la première région réformatrice au monde avec 73 réformes reconnues dans le rapport cette année. Si l’on se fie à son propos, il y a une concurrence rude entre les différents pays. ‘’Le Nigéria et le Togo se placent parmi les 10 économies les plus réformateurs dans le monde. Le Kenya a accompli 6 réformes, et l’ile Maurice, le Cap-Vert et le Eswatini en ont accompli 4 réformes chacun’’, a-t-il signalé. Le Togo a obtenu, selon le rapport, un score de 62,3 points dans le domaine de la facilitation du climat des affaires.

NDONGO SAMBA SYLLA, ECONOMISTE

‘’Qui vainc par le doing business périra par le doing business’’

Joint par téléphone pour apporter quelques commentaires sur le rapport doing business 2020, l’économiste Ndongo Samba Sylla décline gentiment : ‘’Pour être honnête, je ne regarde plus le classement doing business depuis 2013’’. Pour en savoir les raisons, il renvoie à sa contribution publiée par EnQuête en novembre 2013. A l’époque, le rapport mettait le Sénégal à la 178e place sur un total de 189 pays pour ce qui est de l’indicateur facilité de faire des affaires. ‘’Plus infamant, disait-il, dans notre très libérale sous-région ouest-africaine, nous ne devançons que la Guinée-Bissau’’.

A en croire NSS, avec la publication des rapports doing business, ce qui devait constituer ‘’un non-événement est devenu fait politique majeur’’ du fait simplement de la qualité du commanditaire. ‘’Le classement doing business, s’indignait le spécialiste, n’a rien de scientifique. Ce n’est pas non plus un guide pertinent pour la politique économique, surtout dans le contexte des pays les plus pauvres où l’engagement étatique dans la construction économique est crucial. Ce classement est tout au plus un bulletin météo à l’usage du capital étranger’’.

La première ‘’limite météorologique’’ comme il les appelle, c’est que le classement ne prend compte que de la ville où les affaires sont plus dynamiques et sur une catégorie d’entreprises bien spécifiées en l’occurrence les SARL. ‘’… De sorte que ce qui s’avère pertinent pour les types d’entreprises sélectionnées peut ne pas l’être pour le reste’’, constate le spécialiste.

Comme pour démonter l’efficacité vantée du rapport, Monsieur Sylla donnait l’exemple de la Chine, deuxième économie mondiale à l’époque et qui était classée 96e, largement derrière des pays au bord du gouffre comme le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Aussi, renseignait-il, le rapport avait tendance à favoriser les paradis fiscaux ainsi que la dérèglementation de l’économie. Il ajoute : ‘’D’un point de vue empirique, les objectifs les plus importants de la politique économique (création d’emplois décents, réduction de la pauvreté, égalité et équité sociales, croissance économique) ne semblent pas être corrélées avec la facilité de faire des affaires telle que mesuré par le classement. Ce qui n’est pas une surprise car ce rapport s’intéresse à la nature des régulations, beaucoup moins à leurs conséquences réelles’’.

L’économiste démontait également la perception selon laquelle les pays les mieux classés attirent plus d’investisseurs. ‘’Durant cette dernière décennie, des pays mal classés comme l’Angola, le Nigéria, la Guinée équatoriale et la République démocratique du Congo ont attiré plus d’investissements directs étrangers que la plupart des bons élèves africains’’. Selon lui, le rapport repose sur une théorie simpliste du développement économique. Il conclut : ‘’Qui vainc par le doing business périra par le doing business. Pendant plus d’une décennie, on nous aura vendu l’idée que le Sénégal était sur la voie de l’émergence, car nous avions le satisfecit de la banque mondiale dont les rapports DB constataient nos progrès en termes de réformes institutionnelles. Nous voilà maintenant, nous les apprentis bons élèves, plus démunis que jamais’’.

M. AMAR

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