Publié le 21 Jun 2019 - 20:19
COMMUNICATION AU SOMMET DE L’ETAT

Les ‘’ennemis’’ s’entredéchirent

 

Cela a tout l’air d’une guerre fratricide au sommet de l’Etat. Alors qu’on n’avait pas fini de parler de la cacophonie dans la communication gouvernementale, El Hadj Kassé, Yakham Mbaye et Mahawa Diouf en rajoutent à la confusion déjà grande.

 

Ça tire sur les frères à l’Alliance pour la République. Consciemment ou inconsciemment, les responsables du parti présidentiel s’assassinent les uns les autres. Le tout, sous le regard impuissant du père de famille qui semble ne plus avoir le contrôle sur ses hommes.

Après El Hadj Hamidou Kassé dont la sortie restera dans les annales, c’est Yakham Mbaye qui est monté, hier, au créneau pour faire feu sur son collègue. Le journaliste et non moins directeur général du quotidien national ‘’Le Soleil’’ n’y est pas allé de main morte. Il fulmine : ‘’Ce que El Hadj Kassé a fait est l’œuvre d’un parfait traître, orfèvre en l’art de planter un couteau dans le dos de celui qui prend le risque de lui faire confiance. Tout ce qu’il a dit relève de contrevérités et d’inventions.’’

Le crime de M. Kassé, c’est d’avoir livré sur la place publique une ‘’information’’. Mais pour Yakham Mbaye, il s’agirait, en vérité, de ‘’contrevérités’’.  ‘’C’est faux, peste-t-il. El Hadj Kassé, dont l’œuvre est apparemment commanditée, a usé de ruse pour tenter de poignarder Aliou Sall dans le dos, parce qu’il figure au rang des ennemis de l’intérieur qui sont pires que ceux qui animent l’opposition radicale vouée à déstabiliser le président Macky Sall’’.

Un jour auparavant, et contrairement aux allégations d’Aliou Sall et d’une bonne partie des responsables du pouvoir, l’accusé Hamidou Kassé soutenait, sur le plateau de Tv5, que les 250 000 dollars américains dont parle la Bbc ont bien été versés à Agritrans, mais à des fins de consultance. Suffisant pour faire monter Yakham Mbaye sur ses grands chevaux.

Mais de quoi renferme au juste cette histoire ? Yakham y va également de ses ‘’informations’’. Selon lui, il y a une semaine, le communicant en chef du palais s’est invité au domicile d’Aliou Sall pour lui tenir le discours suivant : ‘’Je suis venu te voir et te parler en tant que grand frère et collaborateur du président, votre frère aîné. J’ai l’obligation d’être à tes côtés pour te soutenir, surtout dans la communication. À cet effet, comme tu sais, parce que tu es journaliste de formation, donc ayant une aptitude dans le domaine de la communication, il faut que tu me briefes en profondeur. Ainsi, je pourrai construire des éléments de langage qui vont faire mouche dans la stratégie de contre-offensive que nous sommes en train de mettre en œuvre.’’

La question que l’on est en droit de se poser, c’est de savoir si le rapporteur de cette discussion était ou non de la rencontre, puisque lui ne le précise pas. Au cas contraire, qui l’a mis au parfum de cet échange ? Et pourquoi il a cru en sa version plutôt qu’à celle diffusée par El Hadj Kassé ? Dans ses diatribes, Yakham ne manque pas de tirer la couverture sur le frère du président, non sans revenir sur les animosités dans le plus proche entourage du chef de l’Etat. ‘’Aliou Sall, tel qu’il est, en dépit de mes mises en garde, s’est dit qu’il n’avait aucune raison de se méfier, car ne figurant pas El Hadj Kassé au nombre de ses ennemis de l’intérieur’’.

Pour Yakham, le frère du président, dans son échange avec Kassé, aurait insisté sur trois ‘’vérités essentielles’’. D’abord, il n’a jamais posé des actes qui puissent ternir le magistère de son frère aîné. Ensuite, il n’a jamais bénéficié d’un apport financier venant de Frank Timis versé dans le compte bancaire de sa société Agritrans. Enfin, toutes ces accusations relèvent d’inventions d’individus qui veulent déstabiliser le président Macky Sall.

Ainsi, avec la sortie de Kassé, c’est toute cette stratégie de la défense qui s’effondre. D’ailleurs, le chargé de la communication de la coalition Benno Bokk Yaakaar n’a pas tardé à monter au créneau, pour y aller, lui aussi, de son commentaire. Mais c’est juste pour démentir Kassé, qui est quand même censé être son supérieur.

Toutefois, il lui accorde le bénéfice du doute, en ce qui concerne sa bonne foi. Contrairement au Dg du ‘’Soleil’’ qui recommande même que ce dernier soit entendu par les autorités judiciaires. ‘’Il est nécessaire qu’El Hadj Kassé soit entendu par les autorités judiciaires et policières en charge de l’enquête qui a été ouverte. Je le dis sans prétention aucune : c’est une exigence citoyenne. Et El Hadj Kassé aurait mieux fait de se plier à cette exigence, au lieu d’aller pérorer sur le plateau d’une télévision étrangère’’.

Ainsi, est-il coupable de ‘’félonie’’, selon toujours Yakham dans tous ses états. Il ne s’en limite pas. Il demande tout bonnement au patron de la majorité de mettre de l’ordre dans ses rangs. ‘’Je ne suis pas de ceux qui élèvent la prétention à un niveau où ils se sentent investis de la prérogative de donner publiquement des directives au président de la République. Mais, il apparaît clairement que le vase déborde. Trop, c’est trop. Et tout le monde constate en listant les coups de Jarnac qui se multiplient, provenant de l’intérieur. C’est le président de la République qui est visé. C’est lui qu’on veut affaiblir, ensuite déstabiliser et, enfin, pousser vers la sortie pour abréger le mandat que le peuple sénégalais souverain lui a confié’’.

Monsieur Mbaye reste convaincu que Kassé n’est pas le seul, dans la majorité présidentielle, à ‘’dérouler des agendas cachés’’. Mais qu’ils se le tiennent pour dit, autour du président Sall, il existerait aussi des gens comme lui, prêts à tout pour défendre la cause du président Macky Sall. ‘’Ils devront passer sur les cadavres de plusieurs personnes, totalement déterminées, loyales et désintéressées, avant de réussir leur funeste projet’’, a-t-il ajouté.

Mais en insultant quasiment son homologue, le boss du quotidien national ne se rendait pas compte que lui-même était en train de commettre le même délit que Kassé. En effet, si on l’en croit, Aliou Sall, pensant qu’il échangeait avec un frère, un camarade de parti et un collaborateur direct du président de la République, et dans un souci de transparence, a listé nombre de mouvements dans le compte de sa société (Agritrans), ces dernières années. Et d’ajouter que Sall aurait même précisé à son interlocuteur leur nature et leur provenance. Le hic, et c’est le journaliste Abdoulaye Cissé, chroniqueur à la Rfm, qui le rappelle, c’est que l’ancien gérant de ladite société, l’oncle du président et d’Aliou Sall, avait déjà dit aux Sénégalais qu’il n’a jamais été au courant d’activités de la société.

‘’Depuis la période où la société a été créée à ce jour, je n’ai jamais été au courant d’activités ou de transactions financières faites par le biais de ladite société qui s’est avérée être une coquille vide’’, affirmait-il dans le journal ‘’l’Observateur’’.

Effet boomerang, vous dites ?

ABDOULAYE CISSE, JOURNALISTE-CHRONIQUEUR

‘’La sortie de Yakham Mbaye est tout aussi catastrophique que celle de Kassé’’

Journaliste à la Rfm, Abdoulaye Cissé analyse pour ‘’EnQuête’’ les failles au niveau de la communication de crise du gouvernement.

Quelle lecture faites-vous des dernières sorties de responsables de la majorité dans cette affaire Petro-Tim, de toute cette confusion autour de la communication du gouvernement ?

Je n’ai pas pu traduire le ‘dieufour’ en français. Mais c’est exactement ce à quoi on assiste. Normalement, dans une situation pareille, tout le monde devrait se taire et garder les secrets. Mais on se retrouve dans une situation où chacun essaie de dire ce qu’il sait sur l’autre. Et dans la communication du palais, c’est une catastrophe. A chaque fois que quelqu’un ouvre la bouche, que ça soit El Hadj Kassé, Yakham Mbaye et Pape Mahawa Diouf (coordonnateur du pôle de communication de Bby) c’est un enchainement de catastrophes. J’en veux pour preuve la sortie de Yakham Mbaye qui pense sauver le soldat Aliou Sall, en démentant El Hadj Kassé. Mais dans son démenti, il y a quelque chose qui semble lui échapper.

En effet, il nous dit qu’Aliou Sall a confié à Kassé l’existence de mouvements sur certains de ses comptes, notamment Agritrans. Il semble oublier ainsi que le gestionnaire principal de cette société, en l’occurrence Abdoulaye Timbo, nous a déjà dit que cette société, depuis qu’elle a été créée, n’a pas eu d’activités. Comment une société qui n’a jamais eu d’activités peut connaitre de telles transactions ? C’est pourquoi je dis que, quand vous mettez toutes ces déclarations en plus de celles d’Aliou Sall, c’est un enchainement de catastrophes depuis le début. Le palais est dans une stratégie presque de sabordageL’idéal serait qu’ils se taisent à jamais. Mais ils sont dans une sorte de course à l’échalote où chacun veut dire un mot pour sauver le soldat Aliou. Mais, finalement, ils se sabordent.

Et à quelle version se fier dans cette confusion ?

Il y a les faits. Je pense qu’il faut rester sur les faits. Et c’est pourquoi, pour une fois, et je suis sincère quand je le dis, je crois en la bonne foi d’El Hadj Kassé. Il nous dit qu’il livre une information. Et il l’a dit de façon très réfléchie, posée. Je le crois, parce que, pour une fois, je pense qu’il est de bonne foi. Que oui ! Il y a eu un versement de commissions occultes, on le sait. On serait tenté de prendre Aliou Sall pour un expert agricole. Mais, jusqu’ici, il ne l’a pas assumé. Je pense que le procureur tient son témoin principal dans cette affaire. Je ne parle pas de culpabilité, puisque la présomption d’innocence doit valoir pour tout le monde. Mais, au moins, l’appel à témoins devrait être réglé. Parce que Kassé a donné une information capitale. Et il est allé sur le plateau de Tv5 pour donner cette information. Mais il la tient bien de quelque part. Moi, je le crois jusqu’à preuve du contraire.

Mais qu’est-ce qui peut motiver une telle sortie, si l’on sait que la défense de Sall et du gouvernement a été de nier l’existence de cette transaction ?

Vous savez, d’abord, il n’existe pas de crime parfait. Mais je me refuse de verser dans la sophistication, à savoir essayer de comprendre qu’est-ce qui est derrière la sortie d’untel ou d’untel. Chacun est dans sa stratégie, croyant qu’il sauve le soldat Aliou Sall. Mais comme il n’y a pas de crime parfait, il y a toujours des détails qui, mis bout en bout, permettent d’être suffisamment édifiés. Aliou Sall, ce qui est sûr, n’en demandait pas tant, d’être défendu comme il l’est. Ni d’ailleurs par El Hadj Kassé ni par Yakham. La sortie de Yakham Mbaye est tout aussi catastrophique que celle de Kassé. Et Pape Mahawa, qui est le porte-parole de Bby et qui dément le porte-parole du président de la République. A la limite, on ne comprend plus.

Mais quand Yakham en arrive à parler ‘’d’ennemis’’ entre les plus hauts responsables du régime, n’y a-t-il pas problème ?

Oui, mais ce n’est pas une première. Rappelez-vous de l’épisode Yakham Mbaye, quand il s’était permis d’insulter tout le monde et de penser qu’on lui faisait la guerre. Encore que Souleymane Jules Diop a été exfiltré. S’il était là, je pense qu’en tant que communicant du palais, il aurait eu son mot à dire. C’est cela aussi ce palais. Les gens se tiennent en respect. J’ai comme l’impression qu’ils travaillent ensemble, mais ils ne s’apprécient pas. Dès qu’il y a un coup à jouer pour tuer l’autre, on ne s’en prive pas. Chacun veut être plus royaliste que le roi. Chacun veut donner des gages de fidélité au prince, en l’occurrence.

Pourtant, avec tout ce conglomérat d’hommes de médias, on espérait que Macky Sall ferait mieux…

Vous savez, les journalistes n’ont jamais été les meilleurs communicants. Ils analysent les choses à leur façon. Aussi, il faut savoir que, quand on n’a pas un bon produit, c’est connu des marketeurs, on ne fait jamais une bonne stratégie de communication. En l’occurrence, le bon produit, ici, ce n’est pas les personnes, mais le fond du dossier. Et c’est carabiné.

On accorde certes la présomption d’innocence, mais le fond du dossier, depuis le début, est carabiné. Et c’est ce qui mène vers tout ça. Il ne faut pas oublier que Kassé a d’abord mouillé le président de la République, en le présentant comme le président le moins bien informé de la planète. Un président qui n’est pas au courant d’un rapport de l’Inspection générale d’Etat qui circule depuis sept ans.

Il faut le plaindre. Vous savez, on a eu le roi fainéant, Chirac et Abdou Diouf. Il faut éviter d’isoler un peu plus le président Macky Sall, par cette bataille entre communicants. J’ai l’impression que ce sont ces gens qui essaient de jouer aux stratèges, au point de l’isoler pour que lui-même ne puisse pas prendre l’initiative de la communication.

Conseiller quelqu’un, ce n’est pas prendre toutes les initiatives de ce qu’il doit dire. Les conseillers doivent parfois s’effacer et laisser au maitre l’initiative de ce qu’il doit dire et l’opportunité de ce qu’il faut dire. Il est clair que Macky Sall n’a pas autorisé cette sortie d’El Hadj Kassé. Sur l’Ige, on peut le penser. Mais dans ce cas, il serait à plaindre.

MOR AMAR

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