Publié le 13 Oct 2018 - 00:08
COMMUNICATION DES PROCUREURS

Quand le parquet dédramatise à outrance  

 

Aïda Diongue, Fatoumata Makhtar Ndiaye, Khalifa Sall, Mariama Sagna… En privilégiant la communication sur des cas estampillés ‘’politiques’’ à tort ou à raison, le parquet semble accorder plus d’importance à certains justiciables qu’à d’autres. 

 

Faire le mauvais choix pour les bonnes raisons. C’est ce qui qualifie le mieux les motivations du procureur de Dakar et celui de Pikine-Guédiawaye à devoir communiquer. Excepté la conférence de presse ayant suivi la mort de l’étudiant Bassirou Faye, le parquet ne communique que sur les dossiers à forte teneur politique ou supposés comme tels pour annihiler les spéculations naissantes dans l’opinion.

Mardi dernier, le procureur du tribunal de grande instance de Pikine-Guédiawaye, Amadou Seydi, a vite fait de couper l’herbe sous le pied de ceux qui se plaisaient à faire la jonction entre le meeting réussi de la responsable politique du parti Pastef, Mariama Sagna, et son assassinat subséquent. ‘‘Aucune connotation politique. Elle a été violée et tuée par des charretiers’’, a déclaré le maître des poursuites. L’emphase avec laquelle il a déclamé cette phrase indique l’intérêt particulier qu’il avait de baliser la perception de l’opinion.  Dans le même temps, ce procureur aura pourtant choisi d’ignorer deux affaires concomitantes qui mériteraient de plus amples informations pour l’opinion et le corps de la douane notamment.

La mort du soldat de l’économie Cheikhou Sakho, dont les rumeurs les plus folles circulent sur les circonstances de son décès, et celle d’un adolescent de 15 ans poignardé par son ami de 14 ans sont survenues juste avant celle de Mariama. Mieux ou pis, Amadou Seydi n’a pas non plus jugé utile de communiquer sur l’été meurtrier sur les plages de Guédiawaye - sa juridiction de compétence  - où les pompiers ont recueilli 24 corps sans vie, alors que 10 sont portés disparus. N’y a-t-il que la politique qui mérite les égards pour que le parquet se sente obligé de communiquer ?

 L’avocat, Me Assane Dioma Ndiaye, bien qu’étant pour le principe de communiquer, trouve une circonstance atténuante aux procureurs. ‘‘A la décharge du parquet, il faut reconnaitre que la politique, au Sénégal, tient tout le monde en haleine. Elle exerce une hégémonie sur la vie sociale ; tout est politisé au Sénégal. Tous les citoyens se lèvent le matin écoutent la radio et achètent des journaux en s’attendant à des déclarations politiques ou à des imbroglios, à de la transhumance, à toutes les combines. Il faut reconnaitre que le parquet, la justice ne peuvent être en dehors de la société. La justice est fortement agie par le phénomène politique. Si ce ne sont des procédures à relents politiques, beaucoup d’entre elles sont suspectées ou supposées avoir des déclencheurs politiques’’, explique-t-il au téléphone d’’’EnQuête’’.

Serigne B. Guèye, la vice-présidente du Cese et Khalifa Sall

Mais pour le défenseur des droits humains, le constat général est on ne peut plus clair. ‘‘On a remarqué cette prééminence communicationnelle s’agissant des affaires à caractère politique ou supposées être sous-tendues par la politique’’, précise-t-il aussitôt. D’ailleurs, les sorties remarquées de l’alter ego dakarois d’Amadou Seydi, Serigne Bassirou Guèye, se sont également tenues dans des conditions presque similaires. D’abord, en novembre 2016, le crime crapuleux du 5e vice-président du Cese, Fatoumata Matar Ndiaye, le force à s’exposer sous les feux médiatiques pour la troisième fois depuis sa prise de fonction en avril 2013. La teneur de sa communication s’est évertuée à mettre le curseur sur un motif vénal et crapuleux, et à écarter l’idée d’un éventuel règlement de comptes politiques entre responsables de cette zone.

 ‘‘Le dossier est à l’information. On ne peut pas entrer dans les détails. Mais, en l’état actuel, il semble que le mobile soit financier. Ce n’est pas politique. D’autres informations vont tomber du juge d’instruction ultérieurement et éclaireront le dossier’’, avait déclaré le maitre des poursuites en conférence de presse. Pour vraiment écarter les suspicions légitimes sur la thèse politicienne qui commençait à se propager dans l’opinion, M. Guèye a eu l’intelligence d’adjoindre à ses déclarations un autre volet ‘‘commun’’ qui avait également défrayé la chronique un mois plus tôt. La procédure relative au crime de sang sur le chauffeur de taxi Ibrahima Samb, tué par balle, dans une station d’essence, a été à peine évoquée pour faire passer la pilule, alors que les autres cas qui avaient été promis ont royalement été ignorés dans ce face-à-face avec la presse.

Cette sortie a d’ailleurs été la seule du procureur qui n’a pas été exclusivement politique. Moins de cinq mois plus tard, le 3 mars 2017, sa conférence de presse sur l’affaire de la caisse d’avance sonne comme une plaidoirie avant l’heure contre Khalifa Sall qui sera inculpé quelques jours plus tard d’ailleurs.

Comment concilier le droit à l’information, la présomption d’innocence et le secret de l’enquête ? Sur ce point, le défenseur des droits humains, bien que d’accord sur le principe de communiquer, déplore la manière dont elle se fait. ‘‘Il ne faut pas non plus oublier que l’enquête doit être entourée de secrets pour ne pas permettre à certains qui pourraient être touchés de pouvoir se réajuster ou organiser une sorte de subordination. Il est difficile, pour le procureur, de trouver ce juste milieu. Mais, de façon globale, le principe est qu’il doit se limiter strictement aux faits et ne pas faire de commentaires, à partir du moment où la communication devient nécessaire. C’est là où l’on constate un certain nombre de dérapages qui peuvent nuire à l’efficacité de l’action judiciaire, mais aussi peut faire bon marché du principe de la présomption d’innocence. On constate qu’il y a toujours des commentaires qui s’ajoutent de façon superfétatoire à la nécessité d’informer’’, commente Me Assane Dioma Ndiaye. D’ailleurs, quelques mois après l’issue judiciaire de cette affaire de la caisse d’avance, un arrêt de la Cour de justice de la Cedeao avait même qualifié cette conférence de presse ‘‘d’attentatoire à la présomption d’innocence’’ du maire de Dakar.

Le malaise Aïda Ndiongue

‘‘L’anticonformisme’’ du procureur Guèye a atteint son point culminant avec sa contestation mémorable d’une décision de relaxe rendue par la 3e chambre correctionnelle favorable à Aïda Ndiongue et Cie, poursuivis pour faux, usage de faux et escroquerie. Le magistrat n’est y pas allé du dos de la cuillère et a incendié le jugement. ‘‘Une décision de relaxe nous semble manifestement illégale et même troublante’’, s’était-il alors offusqué dans un communiqué rendu public en mai 2015. Le flanc prêté est alors très manifeste pour ses détracteurs qui ne se privent pas de s’engouffrer dans la brèche. Le Msu France en vient à se demander si M. Guèye est ‘‘procureur de la République ou procureur de l’Apr’’, dans une sortie, et met en cause l’objectivité du maitre des poursuites. ‘‘En critiquant une décision de justice rendue par des magistrats intègres, mus par la seule volonté de dire le droit, le procureur Serigne Bassirou Guèye a violé les obligations qui incombent à sa charge et démontré un parti pris manifeste dans l’exercice de ses fonctions’’, s’offusquait alors le Msu. Le maître des poursuites venait alors de subir un cinglant revers après son point de presse inaugural du vendredi 19 janvier 2014, où il a littéralement livré Aïda Diongue. Selon lui, l’ancienne sénatrice libérale a amassé 47 milliards 675 millions de francs Cfa qui ont été découverts dans des comptes bancaires à la Cbao.

Me Assane Dioma Ndiaye : ‘‘Il faut encourager cette communication…’’ 

Mardi dernier, le procureur de Pikine, Amadou Seydi, est allé plus loin dans son désir de calmer l’opinion, dans sa conférence de presse, en lâchant les noms des suspects et en qualifiant l’acte de crapuleux. ‘‘Il faut encourager cette communication en ce qu’elle permet d’informer de façon sommaire et non pas exhaustive. A ce stade de l’enquête préliminaire, il n’y a aucune certitude qui peut être tirée. Des aveux peuvent être balancés par des contre-aveux. On ne sait pas d’ailleurs dans quelles conditions ils ont été obtenus’’, recadre M. Dioma Ndiaye. Hors de question d’une omerta organisée, pas plus qu’une communication qui déborde de son cadre, d’après ce dernier. La loi étant pour tout le monde, l’idéal serait, pour la robe noire, de trouver l’équilibre entre cette nécessité d’informer et la réglementation de la communication du parquet. ‘‘Dans certains pays développés, ces sorties sont codifiées. En France, par exemple, on admet les sorties du procureur, mais on lui interdit formellement tout commentaire. Ici, on n’en est pas encore à ce niveau. On subit plus l’évolution de la société communicationnelle, mais je pense qu’il arrivera un moment où elle sera encadrée par des textes’’, analyse Me Dioma Ndiaye.

OUSMANE LAYE DIOP

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