Publié le 30 Jun 2015 - 12:35
CONCURRENCE SÉVÈRE ENTRE MEUNIERS

La guerre de la farine

 

De 4 meuniers, le Sénégal compte aujourd’hui 6 minoteries après l’achat des moulins Sentenac par le groupe NMA. Aujourd’hui, les Grands Moulins de Dakar, NMA Sanders, le groupe Olam, Sedima, FKS et les moulins du Sénégal (MDS) se partagent les parts de marché. Mais avec le dynamisme des nouveaux venus dans le secteur de la farine, la concurrence est devenue rude. Chacun veut trouver sa place sous le soleil. Cette rivalité entre meuniers a d’ailleurs conduit à une situation de guerre des prix. Des acteurs du secteur  reconnaissent cette situation et accusent l’Etat d’avoir enregistré de nouveaux arrivants dans un marché saturé depuis longtemps.

 

On la sentait venir depuis un certain temps. Et aujourd’hui, la guerre de la farine a fini par s’installer. Ainsi,  le sac de farine de 50 kilogrammes est vendu par les meuniers entre 13 500 F et 15 000. Loin  du prix de 18 000 F fixé par l’Etat du Sénégal. Pourtant, au lendemain de cette décision du gouvernement d’homologuer le prix de la farine, ces mêmes industriels n’avaient pas manqué de déplorer cette décision, non sans reconnaître qu’ils étaient obligés de se plier à la volonté de l’Etat. Moins d’un an après, ces mêmes meuniers cèdent le sac de farine à un prix en deçà de celui fixé par le ministère du Commerce. Qu’est-ce qui explique cette volte-face ?

La principale réponse à cette question est, selon le Directeur général adjoint du groupe des Nouvelles minoteries africaines (NMA), l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs, ces dernières années. De 4 meuniers, le Sénégal compte aujourd’hui 6 minoteries après l’achat des moulins Sentenac par le groupe NMA. Aujourd’hui, les Grands Moulins de Dakar, NMA Sanders, le groupe Olam, Sedima, FKS et les moulins du Sénégal (MDS) se partagent les parts de marché. Avec l’implantation de nouvelles industries qui s’activent dans le secteur de la farine, la concurrence est devenue rude. Chacun veut trouver sa place sous le soleil.

Cependant, cette concurrence est tout sauf saine. ‘’Elle est déloyale’’, selon les termes utilisés par le Directeur général adjoint du groupe des Nouvelles minoteries africaines (NMA). Trouvé à son bureau au siège du groupe, sur la route de Thiaroye, Claude Demba Diop ne cache pas son amertume face à cette concurrence notée depuis la fin de l’année 2014 et au début de 2015. Pendant toute cette période, dit-il, pour confirmer la thèse avancée par le ministre Alioune Sarr, ‘’le prix de la farine a chuté de 20 000 F à 13 500 F’’. ‘’La farine a connu une situation assez particulière et même inédite’’, informe-t-il. Ce phénomène, tente d’expliquer l’adjoint d’Ameth Amar, découle de la saturation du marché sénégalais. En effet, avec 4 minoteries déjà, l’offre de la farine était même déjà supérieure à la demande. Mais, poursuit-il, la situation s’est aggravée avec l’arrivée, en moins de 2 ans, de nouvelles minoteries. Parmi ces nouveaux arrivants, le Dg adjoint de NMA cite la Sedima, leader dans l’aviculture, qui est venue  avec ses 250 tonnes, le groupe Olam, 500 tonnes, les moulins du Sénégal 150 tonnes.

Le Directeur général adjoint aux affaires commerciales de la Sedima abonde dans le même sens. Pour Abibou Ndiaye Samb, ‘’le marché de la farine est caractérisé par une surabondance de l’offre’’. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. ‘’En moins d’un an, le marché sénégalais s’est enrichi de 800 tonnes. Or, avant même que ces dernières structures n’arrivent, il y avait 4 meuniers au Sénégal qui déjà, fonctionnaient à hauteur de 70% de leurs capacités de production. Lorsqu’il y a encore 800 tonnes de plus sur le marché, qu’on ait de grosses difficultés pour accueillir ces nouvelles structures, donc une concurrence s’impose’’, croit savoir M. Samb.

Les 6 minoteries,  après le rattachement des Moulins Sentenac à la NMA, ont à peu près 2 640 tonnes de capacité de production par jour, informe le chargé des affaires commerciales à la Sedima. Or, le marché n’absorbe qu’entre 1 200 et 1 500 tonnes chaque jour. Ce qui fait dire à l’ancien directeur commercial des Grands moulins de Dakar, que les usines devraient tourner à 57% de leur capacité de production pour que l’offre soit stable. Autrement dit, elles ne devraient fonctionner que 3 jours par semaine. ‘’Pour que le marché soit stable, il ne faudrait pas que l’offre soit supérieure à la demande. Si une telle situation se produit, il est évident que  la conséquence directe sera une guerre des prix. Car chaque société va tout faire pour écouler sa production’’, dit-il.

La loi du plus fort

Face à cette concurrence, à la fois déloyale et sévère, les petits industriels risquent d’être les plus grands perdants. Les anciennes minoteries,  qui sont sur le marché depuis un demi-siècle, ne veulent pas perdre une part de leur marché. Au contraire, elles veulent même gagner plus, analyse Abibou Ndiaye Samb. Pour les derniers arrivants, il faut batailler ferme pour trouver une place. D’ailleurs, le directeur aux affaires commerciales de la Sedima, dont la société fait partie des nouveaux venus dans le secteur, accuse certains leaders historiques de ne pas vouloir voir d’autres industries émerger. Les industriels, qui se sont déjà fait un matelas financier de plusieurs milliards depuis des dizaines d’années, dit-il, veulent ‘’asphyxier’’ ou ‘’étouffer’’ les nouveaux arrivants.

Alors que pour ces derniers, leur devise est de gagner des parts de marché importantes. Pour cela, ils sont dans l’obligation de proposer des prix les plus bas possibles pour attirer de nouveaux clients et développer leur portefeuille. Mais, pour Claude Demba Diop dont l’entreprise fait partie des leaders dans le domaine,  ces novices dans le secteur doivent faire face aux anciens qui, à son avis, ‘’ont un réflexe naturel de protéger leur portefeuille’’. ‘’Du coup, les prix sont toujours tirés vers le bas. Les structures ont perdu beaucoup d’argent l’année dernière. L’Etat également a été le premier perdant. Non seulement la collecte de la Tva a été difficile mais, au-delà, l’impôt sur le revenu a été largement chahuté’’, renchérit M. Diop. Ce dernier de prophétiser : ‘’C’est clair qu’il y aura malheureusement des structures qui ne tiendront pas longtemps. Travailler à perte, c’est tout simplement conduire la structure à remettre la clé sous le paillasson’.

Un prix plancher pour casser la concurrence

Face à cette situation où c’est la loi de la jungle, l’Etat est loin de croiser les bras. Le marché  est certes dicté par la libre concurrence, mais  l’Etat est obligé de sévir, sinon, les conséquences risquent d’être lourdes. C’est dans cette optique que le ministre du Commerce a tenté de jouer aux sapeurs-pompiers. Alioune Sarr a en effet réuni dans son bureau tous les industriels pour mieux organiser la concurrence avant que la situation ne dégénère.

‘’De mémoire, jamais un ministère n’a pris autant d’initiatives pour essayer d’organiser le secteur. Il a tout fait pour amener à la raison les différents acteurs du secteur’’, révèle Claude Demba Diop. Son concurrent Abibou Ndiaye Samb de la Sedima de renchérir : ‘’On n’a absolument rien à reprocher au ministre du Commerce. Il a tout fait. Il a vraiment tout fait.’’ Pour trouver une solution qui sera bénéfique aux différentes parties, Alioune Sarr est même allé jusqu’à proposer un prix plancher aux industriels. Dans le décret, il fait savoir aux différents industriels qu’ils n’ont plus le droit de vendre à moins de 16 500 F. Mais sans succès. ‘’On devrait lui être très reconnaissant. On devrait lui tirer le chapeau. Mais je pense qu’il doit aller plus loin, porter le dossier au niveau du ministère des Finances, au Conseil présidentiel de l’investissement et établir un système de partage du gâteau. Une fois qu’on règle cette question d’offre et qu’on l’équilibre à la demande, on aura réglé le problème définitivement’’, plaide le Directeur général adjoint aux affaires commerciales  de la Sedima.

 Toujours dans l’optique de trouver une solution définitive à cette guerre larvée entre meuniers, M. Samb recommande à l’Etat d’accroître la consommation en farine. Mais comment y parvenir ? La solution est toute simple selon lui. Explications : Il suffit juste d’augmenter le poids de la baguette de pain. Claude Demba Diop est aussi d’avis que cela pourrait régler une partie du problème. Ce dernier reste persuadé que la baisse du poids de la baguette de 210 grammes à 190 grammes a fait baisser la consommation en farine.

 ‘’Le Sénégalais qui avait l’habitude d’acheter 2 baguettes continue à acheter 2 baguettes. Ça veut dire que le Sénégalais mange plus de 20 grammes de moins.  On dit qu’au Sénégal on produit 3, 5 millions de baguettes par jour. Si on le multiplie par 20 grammes, ça fait 70 tonnes de farine par jour qui auraient dû être consommées et qui ne le sont pas’’, calcule M. Samb. Avec la baisse du poids de la baguette, la consommation de farine est passée de 1 300 tonnes à environ 1 200 tonnes/jour alors que la capacité de production de l’ensemble des unités est de 3 000 tonnes. Donc il y a aujourd’hui un gap énorme. Et on se partage des miettes’’, explique le Directeur général adjoint du groupe des Nouvelles minoteries africaines (NMA.

Une autre solution, même si elle ne pourra pas être celle du miracle, consisterait ‘’à bloquer tout investissement dans le secteur de la farine jusqu’en 2029 y compris même les extensions’’. Et c’est encore une proposition de Abibou Ndiaye Samb, qui fut aussi ancien directeur commercial des Grands moulins de Dakar. A ses yeux, si l’Etat interdisait toute nouvelle installation dans le secteur jusqu’à cette date, de même que les extensions, cela pourrait apaiser la tension .Quoi qu’il en soit, cette concurrence entre meuniers est de plus en plus vive. Et pour combien de temps encore ?

ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

Section: