Publié le 30 Jun 2016 - 21:38
CONDITIONS D’ELARGISSEMENT IMPRECISES

Les paris risqués de Macky et Karim 

 

La libération de Karim Wade, survenue il y a une semaine, a jusque-là induit plus de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Le nouvel ex-détenu, mais surtout le Président Sall, pourrait perdre gros, en entretenant ce flou politique, sur l’implication qatarie particulièrement.

 

Comme François Hollande qui soutient la Finance, après en avoir fait son ennemi, Macky Sall est caractérisé par un déphasage entre son discours teinté de réformisme, d’éthique, de rupture ; et des actes qui sont à l’opposé. La libération de Karim Wade dont il espérait retirer quelques dividendes politiques pourrait en fait réserver un retour de bâton. Après les critiques sur la transhumance, la réduction avortée de son mandat, l’obésité institutionnelle avec le Haut conseil des territoires, cet épisode Karim sonne comme un reniement de ce qui avait jusque-là été le socle de la rupture qu’est la gouvernance sobre et vertueuse. Le postulat de base du président semble s’être fracassé contre les parois rugueuses de la realpolitik.

Dans l’immédiat, c’est l’immixtion qatarie, avérée ou non, dans cette grâce qui demeure l’équation la plus embarassante que Macky Sall et son ministre de la justice, Sidiki Kaba, doivent résoudre. Les références médiatiques à cette libération sont risquées, puisque renvoyant à un épisode peu glorieux du passé politique : le protocole de Rebeuss. Les questionnements légitimes, mais ignorés, d’une bonne frange de l’opinion sur ce que EnQuête appelle le protocole de Doha sont dus au changement d’avis sur une condamnation pour laquelle le Président affichait jusque-là une intransigeance implacable, malgré les nombreuses sollicitations des foyers religieux. Ce qui a le don d’énerver le camp présidentiel dès que l’opposant Idrissa Seck parle de ‘‘deal international’’.

‘‘Penser que c’est le Qatar qui a piloté le dossier Karim est une insulte pour le Sénégal’’, défendait hier le ministre chef de cabinet du président de la République, Abdoulaye Badji. Mais c’était sans compter avec la sortie de l’ancien chef d’Etat. ‘‘Macky Sall n’a qu’à dire à ses compatriotes les véritables raisons de l’élargissement de Karim’’, a défendu Abdoulaye Wade hier dans les colonnes de l’Observateur. Une brèche dans laquelle s’engouffrent politiques et membres de la société civile. Si les premiers dénoncent ‘‘deal’’  et ‘‘énième reniement’’,  à l’image de la plate-forme politique Avenir sénégal bi nu bëgg, les seconds à l’instar de Y’en a marre n’excluent pas de reconduire des actions militantes qui, en leur temps, ont été un poil-à-gratter pour les dirigeants.

Karim, par ici la sortie !

En ce qui concerne Karim Wade, en dehors d’habiles manœuvres, sortir de prison pourrait être la seule monnaie qu’il gagnerait au change. Le candidat investi des Libéraux ‘‘n’a plus un sou en poche’’, comme l’a déclaré son avocat Me Amadou Sall sur les ondes de Rfi hier matin. La poursuite de la traque des biens mal acquis à laquelle s’agrippent les autorités pour compenser cette libération ‘‘forcée’’ risque de rendre Wade-fils encore plus désargenté. Si le parquet de Paris suit l’Etat du Sénégal, le 26 septembre, dans la procédure de recouvrement des biens des condamnés, Karim Wade pourrait être appauvri de manière irrémédiable.

Le candidat investi des libéraux pour la présidentielle de 2019 devra également s’inquiéter de la communication gouvernementale sur les conditions de son élargissement. Quitte à céder aux pressions externes (qataries ?), les autorités ne se sont pas privées de présenter un Karim faiblard, de faire passer sa grâce comme une aumône politique, et le faire sortir par la petite porte. ‘‘Pour des raisons humanitaires’’, selon le propos du ministre de la justice Sidiki Kaba, vendredi dernier en conférence de presse. Karim Wade aurait même refusé les conditions de sa grâce, avant l’intervention de Touba qui l’aurait fait revenir à de meilleurs sentiments.

C’est d’ailleurs à juste titre que l’ex-président Abdoulaye Wade s’est offusqué de cette présentation des faits en les qualifiant de ‘‘fallacieux’’, hier. ‘‘Aucune mesure humanitaire ne peut être évoquée’’, a-t-il déclaré dans le quotidien l’Observateur. L’élargissement est d’autant plus ‘préjudiciable’ pour Karim que l’euphorie, ou le triomphe, qui aurait prévalu en cas de purge totale de la peine jusqu’en 2019, laisse place à une frustration dans les rangs d’un parti qu’il n’a conquis jusque-là que de manière symbolique.

C’est fort de cela qu’il a appelé au téléphone certains leaders de l’opposition avant-hier pour éliminer toute velleité de démobilisation et les assurer de sa volonté à poursuivre le combat, en temps venu. Mais ceci paraît presque accessoire, avec la possible invalidation de sa candidature qui s’avère déjà litigieuse. La sortie du ministre de la justice mardi à l’Hémicycle, lors d’une plénière, démontre que Karim a un énorme chat à fouetter. ‘‘Pour être candidat, il faut avoir un casier judiciaire vierge’’, a déclaré Me Sidiki Kaba devant les députés avant de relativiser : ‘‘Au moment opportun, le Conseil constitutionnel jugera de l’opportunité ou non de sa candidature.’’ 

 

 

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