Publié le 9 Aug 2016 - 21:06
CONFÉRENCE PRESSE SIDIKI KABA

L’Etat sénégalais ne lâche pas Karim et Cie

 

On croyait qu’avec ‘le protocole de Doha’ c’était le bout du tunnel pour Karim Wade, Ibrahim Aboukhalil dit Bibo Bourgi et Pape Mamadou Pouye. Ils devront déchanter selon le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, qui promet la poursuite des avoirs mal acquis. Il s’est également prononcé sur d’autres sujets de l’actualité

 

Karim Wade et ses complices sont sortis de prison, mais pas de l’auberge. Le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, qui donnait une conférence de presse hier, au siège du ministère a réitéré la volonté de l’Etat du Sénégal de poursuivre la politique de recouvrement des avoirs mal acquis. Prétexte à cette réaffirmation, la récente condamnation des sociétés Menzies Middle East and Africa S.A (MMEA) et AHS International ltd par le Centre international de règlement des différends sur l’investissement (Cirdi).

Ce dernier, entité de la Banque mondiale les a condamnées, le 5 août dernier, à supporter solidairement l’intégralité des frais de l’arbitrage et à rembourser la contre-valeur de 413 millions 944 mille 85 FCFA.  ‘‘C’est une importante victoire. Karim Wade et ses complices voulaient obtenir du tribunal arbitral, entre autres la condamnation de l’Etat du Sénégal à leur payer plus de 27 milliards 300 millions au titre de préjudice économique et de la perte de chances d’obtenir de nouvelles licences d’exploitation’’, s’est réjoui le garde des Sceaux.

Me Sidiki Kaba se félicite du fait que l’Etat du Sénégal  ait réduit la marge de contre-attaque judiciaire des principaux condamnés du 23 mars 2015. Avec un désaveu antérieur de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (Ohada), le garde des Sceaux estime que la ligne de défense consistant à s’en prendre à la légitimité de la Crei est bancale. Récemment le Sénégal a été saisi d’une plainte de Karim Wade devant le comité des droits de l’Homme des Nations Unies dans ce sens. ‘’Le ministère de la Justice, avec les acteurs concernés met tout en œuvre pour lui apporter la réplique appropriée, et encore une fois, faire échec à son initiative’’, lance-t-il. Sidiki Kaba annonce qu’une demande d’entraide judiciaire pénale internationale pour la confiscation des avoirs bancaires en France (Société Générale, Barclays Bank Paris) et dans la principauté de Monaco (Banque Julius Baer) a été initiée.

Sur la défensive

Disert jusque-là, le garde des Sceaux a pourtant été sur la défensive quand il s’est agi de répondre à la question relative à la discordance du budget alloué à la Cour suprême. 846 millions 63 mille FCFA, selon ses services, dispensant ainsi son Premier président, Mamadou Badio Camara, de déclaration de patrimoine devant l’Office nationale de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) ; 1 milliard 811 millions 925 mille 720 d’après le document portant projet de loi des Finances 2016. Le ministre a persisté, signé, et confirmé ses services.

‘‘Ce que je voudrais dire de manière précise et que vous pouvez vérifier est que le budget de la Cour suprême ne dépasse pas 800 millions. Donc le président n’est pas dans les conditions prévues par la loi pour faire sa déclaration de patrimoine. Pour toute autre polémique, j’appose les chiffres. Ils sont là, incontestables’’, a-t-il défendu. Dans sa lancée, il assure que le recours de la présidente de l’Ofnac devant la Cour suprême, ‘’sera traité de manière professionnelle et équidistante’’.

Sidiki Kaba de déclarer : ‘‘Lorsqu’un citoyen estime que ses droits sont violés, il doit avoir la conviction que si la Justice est saisie elle examinera la requête avec impartialité et équité. Si Nafi Ngom Keita a saisi la Cour suprême, celle-ci se fera un devoir en tant que plus haute juridiction du pays de prendre une décision conforme à sa propre jurisprudence. Nous devons veiller à chaque fois que nous avons un problème avec la justice. Nous y veillerons sans un esprit quelconque de politique’’.

Macky Sall magistrat suprême

Chef suprême des Armées, protecteur des Arts et des Lettres, ‘‘le président Macky Sall est le président du Conseil supérieur de la magistrature’’, a tenu à préciser le garde des Sceaux. A l’image de Barack Obama qui a la prérogative de nommer le président de la Cour suprême des Etats-Unis, le ministre ne demande pas moins que la plus grande démocratie du monde. L’indépendance dans la magistrature n’est pas une chimère pour autant. Il en veut pour preuve l’affaire Aida Ndiongue où l’Etat du Sénégal a été débouté en première instance, d’une demande de 47 milliards ; l’inamovibilité des juges du siège ; et la prérogative exclusive des magistrats à juger leurs compères.

‘‘Qui peut dire que la justice sénégalaise est vassalisée ?  Il y a bien l’affaire Aida Ndiongue où l’Etat qui la poursuit pour 47 milliards a été désavoué par les magistrats. Je ne suis pas la justice ; les juges jugent. Je suis soumis, tout comme vous,  à la glorieuse incertitude du résultat judiciaire’’, soutient-il. Le ministre de poursuivre que l’indépendance de la justice doit se faire par rapport à toutes sortes de pouvoir. ‘‘L’oligarchie financière et maraboutique, l’argent-roi, l’argent sale, l’argent de la corruption pour rendre la justice dans la dignité, l’intégrité, l’expertise et la compétence’’.

Autre preuve de cette indépendance, des éléments de force de l’ordre condamnés dans des affaires d’homicide. Qu’il s’agisse des cas des étudiants Omar Blondin Diop et Balla Gaye, tous les crimes assimilés à des crimes d’Etat depuis l’indépendance n’ont jamais été élucidés selon le ministre. Pour le cas de Bassirou Faye  ‘‘Il y avait une volonté déterminée de faire la lumière. Il ne fallait juste pas subir la pression de l’instantanéité’’, a-t-il défendu. Quant aux allégations de tortures sur les deux prisonniers de Colobane, il les exhorte à saisir la justice le cas échéant.

La malédiction de la prison

Les préjugés sont tenaces. Et ils sont certainement pour quelque chose dans la surpopulation carcérale au Sénégal. ‘‘Les longues détentions préventives sont problématiques. Il faut y apporter des solutions. La plus radicale consiste en la construction de prisons. Nous allons l’avoir à Sébikotane. Depuis 1863 on n’en a pas créé. Les murs ne sont pas extensibles. La raison à cela est la superstition. Depuis Mamadou Dia, on nous a dit que si l’on en construit, on risque d’y finir. Donc le président Senghor ne l’a pas fait, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade non plus. Le président Sall l’a décidé. Nous avons décidé, et c’est ma main qui a posé la première pierre. Peut-être que mon destin est d’y être. Nous allons vaincre le signe indien’’, déclare-t-il dans un accès de sourire et dans un tonnerre de rires.

ME BABOUCAR CISSE (CONSEIL DE BIBO ET POUYE)

‘’C’est de la désinformation’’

 Me Baboucar Cissé, un des conseils de Bibo Bourgi et Mamadou Pouye n’a pas la même lecture que le ministre de la Justice de la décision rendue le 5 août passé par le Centre international de règlement des différends sur l’investissement (CIRDI), entité du groupe de la Banque mondiale. Au moment où le Garde des Sceaux jubile et parle ‘’d’une importante victoire’’, Me Cissé veut ramener les choses à leurs justes proportions et ‘’rétablir la vérité’’.

‘’Nous n’avons rien perdu. C’est une désinformation car le tribunal arbitral s’est déclaré incompétent. Par conséquent, il n’a pas abordé le fond pour dire qui a raison ou qui a tort’’, a réagi la robe noire à EnQuête. Selon lui, il s’agit d’une simple décision d’incompétence qui ne concerne ni Karim Wade ni ses complices. D’après ses explications, les entreprises plaignantes sont les sociétés mères du groupe AHS et Menzies middle East and Africa.

Ces dites sociétés ont saisi le tribunal arbitral pour se plaindre de l’attitude de l’Etat sénégalais par rapport aux décisions prises contre AHS Sénégal. Sur sa lancée, le conseil ne comprend pas que l’Etat ‘’demeure étrangement silencieux’’ sur les décisions qui lui sont défavorables. A ce propos, Me Cissé rappelle qu’une autre procédure a été initiée par Bibo Bourgi devant la Commission des Nations unies sur le droit commercial international (CNUDCI). Celle-ci avait ordonné le 13 avril dernier, l'État du Sénégal à évacuer Ibrahim Aboukhalil dit Bibo Bourgi en France dans un délai de 20 jours. A l’en croire, la juridiction s’est prononcé sur les biens de Bibo Bourgi mais l’Etat garde le silence.

OUSMANE LAYE DIOP

 

Section: