Publié le 4 Dec 2019 - 06:35
CONFERENCE INTERNATIONALE SUR LA DETTE

Ces menottes qui enchainent les Etats africains

 

Les Etats de l’Uemoa se révoltent contre la détérioration des termes de l’échange. Hier, à l’occasion de la Conférence internationale sur le développement durable et la dette publique, ils ont exprimé leur ras-le-bol sur le coût surévalué de la dette des pays en développement.

 

La dette. Encore la dette. Toujours la dette. Hier, une rencontre de très haut niveau a été tenue au Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio. Au centre des discussions, il y avait la dette publique et le développement durable. Comment trouver le juste milieu ?

Tous les chefs d’Etat de l’Uemoa, à l’exception de celui du Mali ‘’empêché’’, ont cogité sur cette question une bonne partie de la journée, en présence de la nouvelle directrice générale du Fonds monétaire international (Fmi) qui effectue sa première visite officielle en Afrique, de la Banque mondiale, de l’Union européenne, de l’Organisation des Nations Unies, entre autres partenaires techniques et financiers.

Presque à l’unanimité, les pays ont réaffirmé la nécessité de recourir à l’emprunt pour financer le développement du continent. N’en déplaise aux pourfendeurs de la politique d’endettement.  

Ainsi, pendant que ces derniers considèrent cet endettement outrancier comme un facteur aggravant de la dépendance de l’Afrique et qu’il faudrait tout faire pour limiter les dégâts, le président de la République, Macky Sall, lui, estime qu’il n’y a pas péril en la demeure. Mieux, pense-t-il, il faut davantage libérer les pays. Le chef de l’Etat de s’interroger même sur la pertinence des critères de convergence qui lient les Etats de l’Uemoa. ‘’Est-il équitable et pertinent, s’interroge Macky Sall, dans nos pays en développement où tout est à construire, d’avoir les mêmes critères de convergence que les pays développés ayant déjà terminé leur processus d’accumulation du capital ?’’. Donnant l’exemple du solde budgétaire qui est de 3 %, il ajoute : ‘’Est-ce que les plafonds définis par l’Uemoa sont pertinents ? Il ne s’agit pas d’engager une aventure vers un endettement non contrôlé ; il s’agit de nous défaire des chaines qui nous empêchent de décoller économiquement, lorsqu’on a l’ambition de porter des projets novateurs.’’

En fait, estime le président Sall, le véritable problème, c’est que lorsqu’il s’agit d’investir en Afrique, la perception des risques est toujours exagérée par les bailleurs, les notations idem. ‘’Ceci, souligne-t-il, a pour conséquence le renchérissement du  loyer d’argent et donc de l’investissement. Or, à vrai dire, le risque, en Afrique, n’est pas plus élevé qu’ailleurs. Quand même, quelles que soient les difficultés, les Africains paient toujours leurs dettes’’. De ce fait, le président sénégalais demande un renversement de la situation.

Ces dernières années, le continent africain a enregistré une forte augmentation de son niveau d’endettement. En effet, estime le Fmi, le ratio de la dette publique africaine est passé de 35 % en moyenne au début des années 2000, à 55 % du Pib en 2016. Mais, s’empresse de préciser le chef de l’Etat Macky Sall, sur la même séquence temporelle, la tendance haussière a été observée au niveau global à des niveaux beaucoup plus importants. ‘’En 2018, elle a atteint un niveau record de 184 000 milliards de dollars, soit 225 % du Pib mondial. On parle, en Afrique, de 55 % du Pib. On voit donc bien que l’Afrique n’est pas une exception. En réalité, ce qui handicape le continent, ce sont les préjugés et le regard stigmatisant posé sur lui’’, peste le président de la République.

Macky Sall poursuit son questionnement sur la problématique de la dette et du développement durable : comment financer, à moyen et long terme, les investissements d’aujourd’hui et de demain, sans remettre en cause la viabilité financière et budgétaire de nos Etats ? Quel niveau de déficit public et quel niveau d’endettement pour nos pays ?, se demande-t-il avant d’enchainer : ‘’Ce débat, ce n’est pas un procès contre les partenaires. Nous devons discuter de choses qui nous concernent tous. C’est à l’issue de ces confrontations d’idées que nous arriverons à des conclusions qui nous permettent d’avancer ensemble. Car nous sommes tous embarqués dans la même barque.’’

Le caractère indispensable de la dette

Pour sa part, le président Issoufou du Niger est également revenu sur le caractère indispensable de la dette. Il décrit l’Afrique que veulent les Africains, d’ici une cinquantaine d’années, à l’occasion de la célébration du premier centenaire de la création de l’Organisation de l’unité africaine. Pour bâtir cette Afrique, plaide le président Nigérien, il faudra consolider la Zone de libre-échange continental, mettre en œuvre le plan de développement des infrastructures en Afrique, construire des routes, des chemins de fer, renforcer l’accès à l’énergie, d’infrastructures de télécommunications, portières et aéroportuaires… ‘’Tout ça est prévu et bien ficelé. Nous avons aussi un plan de développement agricole et un plan de développement industriel. Juste pour dire que nous avons des objectifs clairs, mais les seules ressources internes ne vont pas suffire pour les relever. Il faut nécessairement recourir aux financements externes. Nous ne pouvons pas arrêter d’investir. Il faut juste maintenir l’équilibre et travailler à ce qu’il y ait une croissance plus importante’’.

Toutefois, à en croire le président Issoufou, il ne faudrait pas uniquement se baser sur l’endettement. L’Afrique, insiste-t-il, doit aussi compter sur ses ressources propres. Ce qui serait optimale, à son avis, c’est d’arriver à mobiliser 24 % des ressources internes et de réaliser un taux de croissance de 7 % au minimum, à défaut d’avoir une croissance à deux chiffres. La 2e source, selon lui, doit être les investissements directs étrangers. Et à ce niveau, pense-t-il, les pays de la région font beaucoup d’efforts pour rendre attrayant le climat des affaires.

En troisième lieu, Issoufou prône une manière novatrice de penser l’aide publique au développement en en faisant un mécanisme de garantie de la dette des pays en développement.

Alassane Ouattara : ‘’Eviter de s’endetter pour payer encore la dette antérieure’’

Saisissant la balle au bond, le président de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara demande des taux d’emprunt plus concessionnels et que l’argent soit affecté à des projets productifs.  La dette, pour l’ancien fonctionnaire du Fmi, est une nécessité, mais à condition qu’elle soit contractée de façon raisonnable et qu’elle soit utilisée à bon escient. ‘’’Il faut éviter de s’endetter pour payer encore la dette antérieure’’, analyse-t-il.

Par ailleurs, à ceux qui les accusent de compromettre l’avenir des générations futures, Macky Sall rétorque : ‘’Il faut aussi savoir que cette dette permet de construire des infrastructures, donc des actifs. En ignorant cet aspect, on porte un jugement biaisé. Je parle bien de la dette utilisée pour de l’investissement productif, pas de la dette qui est utilisée pour du fonctionnement. Ça, c’est de la mauvaise dette qu’il faut éviter’’.

Selon lui, l’essentiel est juste d’avoir les capacités de mobiliser des moyens pour rembourser les emprunts.

Pour une redéfinition des termes de l’échange

Hier, les présidents africains sont également revenus sur les termes de l’échange, largement en défaveur des pays africains. A cet effet, le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara explique : ‘’Le problème de fond que nous avons, c’est la rémunération de nos matières premières et leur transformation. Le président Houphouët-Boigny le disait d’ailleurs souvent. Les visiteurs disaient que le vieux, il a la même rengaine, mais en réalité c’est ça le véritable problème. C’est pour donner l’exemple du chocolat et du cacao dont nous détenons 40 % de la production mondiale. Le Ghana 60 %. Pour 100 milliards de chocolat vendu, le producteur ne reçoit que 6 %, soit 6 milliards. Vingt pour cent de ces ressources reviennent aux producteurs, 20 % aux intermédiaires et 20 % au titre des taxes’’.

Dans la même veine, le président Issoufou, estimant que ce qui est valable pour le cacao ivoirien est valable pour toutes les matières premières gisant en Afrique, appelle ainsi à un changement de paradigme. ‘’L’Afrique doit cesser d’être un simple réservoir de matières premières. Elle doit être productrice de produits finis. La seule solution, c’est la transformation qui permettra non seulement de générer des ressources supplémentaires, mais aussi de créer des emplois... Tant qu’on continuera à agir de la même sorte, on restera dans le pétrin’’.

Il invite également les institutions financières ainsi que les pays développés à mieux encadrer l’économie mondiale et à lutter contre la spéculation.

MOR AMAR

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