Publié le 20 Jul 2018 - 19:21
CONSTITUTION PARTIE CIVILE ETAT

La défense pilonne pour l’irrecevabilité

 

Dans le procès en appel de la Caisse d’avance de la ville de Dakar, arguments et contre-arguments sont allés bon train, hier, au tribunal de Dakar. Pour l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’Etat.

 

Le président de la Cour d’appel, Demba Kandji, devrait rendre normalement un arrêté important ce matin : écarter l’Etat du Sénégal du procès en appel ou l’y maintenir. Après un duel à fleurets mouchetés entre conseils des différentes parties hier, la décision a été prise de reporter l’audience à ce vendredi. Les robes noires de la défense se sont évertuées à démontrer les interférences extérieures à ce procès. Me Ndèye Fatou Touré, qui a exclu l’Etat d’une ‘‘taxe chimérique, puisque ça appartient aux collectivités territoriales’’, s’est beaucoup inquiétée de la parution de l’arrêt du président Kandji, le mercredi, avant son prononcé par la cour. ‘‘Avant la suspension de l’audience d’hier (mercredi), votre arrêt était déjà disponible dans Igfm. Nous devons avoir les garanties et travailler dans la sérénité’’, a-t-elle déclaré, suscitant un brouhaha dans la salle. Une fuite contre laquelle Demba Kandji a décidé de sévir éventuellement, après vérification. Son suivant et confrère, Me Amadou Sall, a tenté de démonter la constitution de l’Etat dans cette affaire. Un fait éventé par la presse sur une réunion secrète entre Macky Sall et différentes institutions impliquées dans le volet juridique de la Caisse d’avance de la ville de Dakar.

‘‘Le jugement a débouté l’Etat de toutes ses demandes. L’avocat général souffrira d’entendre cela, mais on ne peut pas exclure la corrélation entre cette réunion secrète et la présence de Khalifa dans ce tribunal. On ne peut pas ignorer ce fait, sauf en à démontrer l’existence. Personne ne conteste ce fait, on considère qu’il est acquis à ce débat. L’Etat défend bec et ongles son emprisonnement, effarouché comme une vierge, alors qu’il n’a pas subi de préjudice’’, a tonné l’ancien ministre de la Justice. D’ailleurs, il a rappelé que cette charge qu’il a occupée ne lui confère aucune obligation particulière par rapport à ses autres confrères. La veille, l’avocat général lui avait reproché un manque de dignité, en tant qu’ancien ministre de la Justice, d’avoir mentionné cette réunion secrète comme une thèse complotiste contre l’édile dakarois. ‘‘Je considère que c’est une attaque en règle contre ma personne. Qu’on ne fasse pas ce genre d’observation, qui  donne une charge émotionnelle et une tonalité subjective dont je ne voudrais pas’’, a répliqué Me Sall. Et de se laisser aller à une anecdote entre le maire de Dakar et le président de la République en 2012. A chaque fois que Khalifa a rencontré Macky, ce dernier lui a demandé de le soutenir. ‘‘C’est assez tôt’’, lui répondait tout le temps Khalifa Sall. ‘‘Si vous ne me soutenez-vous, terminerez votre carrière en prison’’. Maintenant, il est en prison ! ’’, a-t-il tiré comme conclusion.

Prima facie

Dans des débats plus techniques, les autres conseils de Khalifa Sall et de ses coaccusés ont essayé de mettre le juge dans l’obligation de vider, hic et nunc, l’irrecevabilité de la constitution de l’Etat du Sénégal comme partie civile dans cette affaire. A l’image de Me Demba Ciré Bathily, ils ont considéré qu’une telle décision relève de l’évidence, puisque l’Etat du Sénégal n’a subi aucun préjudice. ‘‘En droit facile, c’est comme un père de famille qui a deux fils majeurs : Etat et collectivités ; chacun avec des ressources propres. Il n’y a pas de relations de tutelle. Donc, leur dessein, c’est d’être dans ce procès, alors qu’ils n’ont rien à y faire. Ce qui les intéresse, c’est d’être présents pour soutenir un dessein politique. C’est pour ça qu’ils veulent que vous joigniez ça au fond. Un examen prima facie de la participation de l’Etat permet de l’écarter. Nous parlons du compte 6490 de la ville de Dakar qui ne peut recevoir aucun fonds de l’Etat’’, a avancé l’avocat. Et d’ajouter, sur un ton taquin, qu’il pourrait bien leur concéder leur présence : ‘‘Ils n’ont pas à être ici, mais ils peuvent rester. D’ailleurs, nous les affrontons tous les jours et nous les battons tous les jours. Mais nous avons l’obligation de leur dire que vous n’êtes pas là pour défendre les deniers de l’Etat’’, déplorant également un choc personnel de voir qu’un avocat français soit appelé en renfort, ‘‘avec le nombre de talents à l’Agence judiciaire de l’Etat’’. Ce sont des intérêts de l’Etat, pas des intérêts privés.

 Son confrère, Me Ciré Clédor Ly, a été plus loin dans son intervention. Pour lui, la particularité de ce cas oblige Demba Kandji à statuer au plus vite. ‘‘Nous sommes dans le cadre d’un incident contentieux et non d’une exception. Il oblige le juge à vider le contentieux. L’article 261 insiste sur l’immédiateté à statuer. Si l’incident est évacué et que l’Etat du Sénégal reçoit du juge qu’il ne plus prendre part au procès, il deviendra spectateur et nous n’aurons pas à débattre de ses arguments’’, a-t-il fait observé. ‘‘Prima facie, le juge n’avait aucune difficulté. Le préjudice a été subi à la mairie, les sommes appartenaient à la mairie. Si ces sommes sont supposément détournées, qui en souffre ? C’est la mairie. L’Etat n’a rien à y faire’’, poursuivra-t-il. D’ailleurs, Me Borso Pouye fera observer que l’Etat n’a pas porté plainte dans cette affaire, puisque c’est le procureur qui s’est autosaisi.

Quant à Me François Sarr, il a fait remarquer au juge qu’il ne pouvait pas ‘‘joindre cet incident au fond’’. ‘‘Si vous le faites, vous ferez comme le premier juge. On se rendra compte qu’à la fin, ils n’avaient rien à faire ici’’, clamera-t-il. 

L’avocat de la ville de Dakar a abondé dans le sens de la défense. Me Ousseynou Gaye estime que ‘‘l’Etat du Sénégal n’a pas sa place dans ce procès. S’ils sont là, ils répondent à une instruction très claire de bousculer un candidat à la présidence de la République’’, déclare-t-il.

La lettre transmise à l’Aje

Des arguments battus en brèche par l’agent judiciaire de l’Etat. Antoine Félix Diome s’est évertué à opposer aux avocats de la défense leurs propres contradictions. La transmission d’une pièce de la procédure par les conseils de la défense à l’Aje a été la brèche dans laquelle s’est engouffré l’ex-substitut du procureur de la Crei. ‘‘Il est étonnant de voir que ceux qui nous dénient la qualité de partie civile aient été les premiers à nous saisir, procéduralement parlant, le 23 mars 2017, avec une demande de liberté provisoire qu’ils nous ont communiquée. Si vous estimez que nous n’avons quelconque prétention à être ici, le bon sens aurait conduit à ne pas nous notifier cette demande’’, a avancé M. Diome. Un argument contre lequel Me François Sarr a opposé une lettre du 23 mars 2017, communiquée à l’Aje sous la pression du juge d’instruction, dira-t-il. La missive comportait en caractères gras : ‘‘En tant que de besoin et sous toutes réserves.’’ Une formule qui, de son avis, a été utilisée pour leur signifier leur réticence face à cette exigence. Me Jean Sylva a relevé que l’Etat a bien sa place au procès. ‘‘Je suis étonné qu’on s’étonne de la présence de l’Etat. L’article 152 ancien du Code pénal modifié en 79 justifie bien sa participation’’. 

OUSMANE LAYE DIOP

 

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