Publié le 26 Oct 2016 - 23:32
CONSTRUCTION EFFRENEE D’IMMEUBLES

Haro Sur Le Point E

 

Difficile de faire le tour de ce quartier sans constater des travaux immobiliers d’envergure. Des chantiers qui débutent ou en finition existent dans tous les coins et recoins du Point E. Cette localité est comme  le centre-ville en miniature. De quartier résidentiel auquel on aimait accoler le qualificatif de ‘‘chic’’, le lieu attire de plus en plus des promoteurs immobiliers dont les visées mercantiles ont peu à peu raison de l’aspect résidentiel. La faute au déclassement de cette zone en quartier d’affaires, pour laquelle la mairie ne compte plus les autorisations de construire qu’elle reçoit mensuellement. Les riverains n’ont pas d’autres choix que la résignation ou le déménagement.

 

Au Point E, ce sont les fondations. Et si ce ne sont les fondations, c’est déjà le gros-œuvre. Et sinon, ce sont des bâtiments érigés haut qui se dressent fièrement. Comme cette immensité architecturale de 13 étages, en l’état de gros-œuvre, qui côtoie un autre moins imposant mais tout aussi impressionnant sur l’Avenue Cheikh Anta Diop. Couvert d’un filet de protection vert, l’ouvrage qui compte également deux niveaux de sous-sol est immanquable en face de l’Université de Dakar. Les ouvriers sont tellement haut perchés au dernier étage qu’on ne devine que leurs formes qui s’acharnent sur les murs à l’aide de marteaux. Au rez-de-chaussée, devant une rangée de briques superposées et de camions remplis de sacs de ciment, c’est le blackout sur les conditions d'érection du bâtiment.

Pas de chef de chantier, ‘‘absent !’’, se désole un jeune maçon qui repart aussitôt rejoindre la dizaine de compères arborant des casques jaune et blanc sur la tête. Moins de trente mètres plus loin, c’est l’autre bâtiment, aux dimensions plus modestes, qui n’en est pas moins impressionnant. Un géant dont les échafaudages transpercent les murs qui supportent des maçons installés sur les barres métalliques avec insouciance. ‘‘A ce rythme, nous serons bientôt obligés de déménager à cause des désagréments que nous subissons’’, se révolte un riverain résidant sur la Rue de Kaolack, qui tient à garder l’anonymat.  A peine cent mètres devant, à la jonction de plusieurs ruelles, en face de l’ancienne Direction de la statistique, les fondations ont déjà fait place au premier étage d’une construction qui devrait continuer de toiser des dimensions ‘respectables’ d’une dizaine d’étages.

Pareille situation a lieu en face de la Piscine olympique nationale. Un large bâtiment qui se dresse fièrement et domine les alentours. Encore en chantier, cet ensemble de bureaux, de logements, et de commerce devrait rendre ce coin un peu plus commercial à la fin des travaux pour un édifice dont l’autorisation de construire date de 2011. A côté de ces chantiers, les œuvres finies font florès. La façade en ravalement d’un immeuble gris sur la Rue de Kaolack porte l’énorme enseigne en néon d’un distributeur de consommables informatiques. Du rez-de-chaussée, l’on aperçoit d’autres enseignes portant les noms d’institut de formation professionnelle, qui lui disputent la hauteur. De part et d’autre de cette ruelle animée où glaciers et restaurants chics abondent, les grands immeubles sont la règle et les maisons basses constituent les exceptions. 

Cessions

Le Point E est devenu un paradis pour les entrepreneurs immobiliers et un enfer pour les résidents. Le maire de la commune de Fann-Point E-Amitié, Palla Samb, regrette le paradis perdu de cet ensemble de sept quartiers. ‘‘Aujourd’hui, on ne peut plus dire que c’est une commune résidentielle’’, déclare-t-il dans les locaux de la mairie où l’on se prépare à la prière du vendredi dans une ambiance assez bruyante. Les fonctionnaires de la hiérarchie A qui ont remplacé les colons aux postes de responsabilités, après l’indépendance, ont été les premiers habitants de ce quartier qui, avec Fann Hock, Zone B, Amitié 1 et 2,  Sicap Rue 10, Sicap Fann Hock, et Fann Résidence constituent cette commune qui a la particularité de ne pas partager les difficultés chroniques des autres collectivités du Sénégal. Fann-Point E-Amitié est la seule circonscription territoriale du pays où l’on peut faire un cursus académique complet, de l’élémentaire à l’université, sans en sortir. `

La commune a également l’avantage d’être une des rares localités dakaroises construites avant les indépendances et bénéficie à ce titre de presque tous les services qui font défaut aux nouvelles zones de résidence de la capitale érigées après les années 1960. Un cadre urbanisé avant les indépendances, des maisons assez vastes d’un minimum de 400 m carrés, des rues larges, un réseau d’assainissement  fonctionnel ‘‘même si ça vieillit’’, dixit le maire, constituent son équipement infrastructurel. Les institutions sanitaires de référence comme le centre hospitalier national universitaire de Fann, et le centre de santé Gaspard Camara, viennent étoffer les services. De ce fait, estime le premier adjoint au maire Samb, Cheikh Guèye, l’intérêt des promoteurs immobiliers se comprend aisément. Ceci, d’autant plus que ces maisons grand standing ont souvent dû être cédées, (et continuent à l’être) après  des problèmes d’ordre familial, à de nouveaux types d’acquéreurs qui ne font pas mystère de leurs ambitions entrepreneuriales. D’après l’analyse de Cheikh Guèye, l’adjoint au maire de la commune, c’est ‘‘après un héritage problématique que beaucoup ont été obligés de vendre les maisons puisqu’il n’y avait pas de consensus sur le partage’’. La revente demeure pratiquement l’unique option pour les investisseurs immobiliers puisque la commune, le quartier du Point E notamment, ont atteint leur limite d’extensibilité, croient savoir les services de la mairie.

Dématérialisation de procédure

Deux raisons expliquent cette frénésie dans les constructions. D'abord le déclassement de ce quartier résidentiel en quartier d’affaires qui explique ces constructions d’immeubles.  Puis par l’obtention facile de l’autorisation de construire, ou permis de construire, dont le processus a été dématérialisé. Les lourdeurs administratives dans l’obtention de ce document sont tous levées. Cette autorisation qui vise à garantir le respect de normes urbanistiques et architecturales est exigée pour les travaux neufs de construction, la réalisation de clôtures d’une hauteur dépassant deux mètres, les modifications extérieures apportées aux constructions existantes, les reprises de gros œuvres, les surélévations et les travaux entraînant une modification importante de la distribution intérieure des bâtiments existants.

Il concerne tous ces travaux quel que soit l’usage (habitation ou autre) du bâtiment. Mais avec la télé procédure du Système administratif des formalités informatisées (Safi), le processus est dématérialisé et explique la fréquence rapide à laquelle les autorisations de construction pleuvent sur la table du maire. Si ce dernier parle de deux à dix demandes de permis de construire au moins, reçues mensuellement dans ses locaux, son premier adjoint estime que c’est presque deux fois plus qui sont traités. Une statistique assez préoccupante d’autant plus que ce sont des bâtiments de plus de dix étages qui sont concernées. ‘‘Au minimum, nous sommes à 20 permis de construction par mois. Depuis les Etats-Unis ou l’Europe, vous pouvez instruire un dossier en suivant chaque étape jusqu’à la signature.

En tout, c’est un délai de 25 jours pour les dossiers simples et 41 jours pour les dossiers compliqués’’, explique Cheikh Guèye. Des dispositions qui sucent à la moelle les prérogatives du premier magistrat de la commune. Avant, c’était la Ville de Dakar qui délivrait les permis de construire, mais à l’entrée en vigueur de l’Acte III de la décentralisation, ce sont les maires des communes (Ndlr : pas tout le conseil municipal) qui ont cette prérogative. Seulement les mairies des communes n’ont pas de services techniques adéquats qui peuvent instruire ces dossiers, regrette-t-on à la marie du Point-E.

Ces permis de construire sont traités en amont par les services déconcentrés de l’Etat (le ministère de l’Urbanisme, le Cadastre, la Dscos, les Impôts et Domaines, la Protection civile). Quand tous ces services donnent un avis favorable, le dossier arrive sur la table du maire qui n’a que trois jours pour la signature du permis. S’il décide d’apposer son veto, il faut qu’il donne une raison motivée. Un fait accompli devant lequel, les édiles n’ont pas une marge de manœuvre conséquente. ‘‘Il y a beaucoup de choses dites sur les maires, mais ce ne sont pas eux qui instruisent les dossiers. Il est extrêmement difficile pour un maire  de donner un avis défavorable alors que les services techniques compétents ont tous approuvé’’, explique M. Guèye.

CHER PAYE

La construction est dans tous les cas une affaire très fructueuse. Avec des titres fonciers d’un minimum de 400 mètres carrés et un maximum de 600 à 700 mètres carrés, la bulle immobilière point à l’horizon. Elle se traduit par un écart important et persistant entre le prix des immeubles et la variation de ses déterminants économiques comme de revenus salariaux modestes ou un rendement locatif  somme toute modeste. Mais les prix d’achat des terres sont exorbitants pour ce quartier chic.

‘‘Pour les coins avec impasse, il faut débourser 500 000 F CFA le mètre carré et, si ça se trouve sur les avenues ou rues, c’est entre 750 000 et un million le mètre carré’’, informe l’adjoint. Des coûts onéreux qui sont loin de décourager les investisseurs. Résultats ? Une pile de dossiers qui ne cesse de s’accumuler sur la table du maire et aucun service technique suffisamment outillé pour veiller à la trentaine de prescriptions du Code de construction.

Les immeubles mélangent le plus généralement des locaux à usage d’habitation, des bureaux, et des commerces au rez-de-chaussée. Ils sont de la 4ème catégorie, c’est-à-dire un établissement comprenant entre 20 à 300 personnes, selon l’article R 93 du Code de la construction. Le système est simple pour les agents de la mairie : les dossiers simples se font de plus en plus rares. ‘‘Quand il y a une demande (d’autorisation de construire) pour deux étages, c’est sûr que c’est un privé qui veut en faire quelque chose de familial. Sinon, ce sont les promoteurs immobiliers pour la plupart. Beaucoup d’entreprises sénégalaises dirigées par des Sénégalais ont pignon sur rue au Point E’’, détaille l’adjoint au maire.

Paradis perdu

L’autre problème, ce sont ces immensités architecturales qui côtoient les maisons basses. Beaucoup de résidents déplorent le non-respect de certaines servitudes de mitoyenneté, et des désagréments qu’entraînent ces travaux.  ‘‘Quand on vous met une tonne de béton devant chez vous ou que l’on vous y crée des mares d’eau, en travaillant la nuit, pour une population assez âgée,  ou qu’on travaille sans filets de protection où une brique peut tomber sur votre maison, vous êtes forcément obligé de taper sur la table’’, peste le riverain et fonctionnaire retraité Abdoul Basse. Ce septuagénaire de regretter le paradis perdu du Point E lorsqu’il avait vraiment le statut de quartier résidentiel. 

‘‘Il n’y a qu’à regarder. A la limite le Point E est devenu presque le centre-ville de Dakar. Vous avez toutes les commodités qui en font une ville. Avant, quand vous vouliez manger un chawarma, il fallait aller dans le Plateau, maintenant à chaque coin de rue, vous pouvez en trouver’’, proteste-t-il avec résignation, légèrement agacé par l’invasion de ‘’son temple résidentiel’’ par les marchands. Pour lui, la dégradation progressive du cadre de vie doit beaucoup au laxisme des autorités sous le régime libéral.

L’homme en sabador gris de regretter une loi sous Senghor qui fixait un seuil de trois étages qu’on ne pouvait pas dépasser, mais qui a disparu sous le règne d’Abdoulaye Wade. Pour les autorités locales, la situation est révoltante puisqu’elles sont légalement désarmées pour faire face à un tel cas de figure. ‘‘On a des réclamations de gens qui se sentent agressés dans leur espace intime avec les constructions de huit à dix étages qui surplombent leurs maisons.

Nous recevons des plaintes. Nous essayons de trouver un terrain d’entente avec des visites sur le chantier car le bruit, l’empiètement et tous les désagréments que subissent les populations nous regardent au premier chef’’, explique pour sa part l’adjoint au maire, Cheikh Guèye. Lui-même en tant que résident ‘autochtone’ du quartier trouve les complaintes de ses ‘’voisins’’ totalement justifiées. Mais par-dessus tout, ce sont les interactions sociales du Point E des temps anciens qui lui manquent. ‘‘Nous avons grandi ici. Il se trouve que les gens qui habitent dans les immeubles ne nous connaissent pas. Ceux qui viennent pour le travail rentrent après 18 heures. Ils n’ont pas besoin de nous connaître non plus’’, se désole M. Guèye, le rire jaune.

OUSMANE LAYE DIOP

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