Publié le 24 Dec 2014 - 09:12
CONTRAINTES DU DEVELOPPEMENT PASTORAL

Le Ferlo innove et donne des leçons au Sahel

 

L’élevage pastoral est un système d’élevage extensif, c'est-à-dire un système basé sur la mobilité saisonnière du bétail, suivant notamment la disponibilité des points d’eau et des pâturages. Cette dépendance du secteur vis-à-vis des ressources naturelles lie le destin du cheptel à l’accès à ces deux ressources principales (eau et pâturages). C’est en cela que le maintien de l’équilibre entre les ressources naturelles et la taille du cheptel est important dans le développement du pastoralisme.

Dans un contexte de réduction croissante des espaces pastoraux et de dégradation du couvert végétal, la protection efficace des ressources naturelles devrait donc être un volet prioritaire dans les politiques publiques d’aménagement. Tel n’est pas le cas au Sahel. La situation écologique de cette zone est encore alarmante, au regard des résultats mitigés des initiatives de sauvegarde des ressources naturelles.

De façon presque identique, le secteur de l’élevage au Sénégal et dans les autres pays du Sahel connait de nombreuses contraintes dont les principales sont :

  • La réduction des zones de pâturage consécutive à l’extension des centres urbains,
  • L’empiétement continu des projets d’investissement agricoles et miniers sur de grandes étendues de terres pastorales,
  • La centralité de l’agriculture au détriment de l’élevage, dans les grands aménagements hydro-agricoles publics,
  • L’occurrence d’événements extrêmes liés au changement climatique, qui impactent négativement le développement de l’élevage en général, et le pastoralisme en particulier. En 2002 par exemple, « les pluies diluviennes ont provoqué la mort de plus de 50 mille bovins autant de petits ruminants, dans le Nord du Sénégal et le Sud de la Mauritanie ».[1]

Les politiques de développement de l’élevage connues au Sahel prévoyaient jusque-là une modernisation du secteur par la sédentarisation des troupeaux et l’amélioration des races locales. Elles ignorent que « la culture pastorale fait partie du patrimoine culturel de l’Afrique ».[2]C’est pourquoi les programmes qui soutenaient ces approches dirigistes n’ont pas atteint leurs objectifs. Ils ont échoué parce que, d’une part les modèles de sédentarisation se heurtaient aux réalités culturelles des communautés pastorales, et d’autre part parce qu’ils ne responsabilisaient pas assez les éleveurs.

Dans toutes les zones où ils ont été mis en œuvre, les programmes de sédentarisation n’ont pas réussi à relever le défi de la maîtrise de la transhumance et du développement pastoral. Ce qui fait que jusqu’à présent l’accès des pasteurs aux services sociaux économiques de base, aux infrastructures et aux ressources naturelles reste un défi pour les politiques publiques.C’est dans ce contexte que les unités pastorales (UP) ont été introduites dans la zone du Ferlo, dans le nord du Sénégal, pour promouvoir l’élevage.

Cette innovation découle d’une approche communautaire de sécurisation structurelle et durable de l’accès des pasteurs aux services socioéconomiques de base, aux infrastructures et aux ressources naturelles. Une approche fondée sur les principes de responsabilisation des communautés pastorales et la promotion de partenariats multi-acteurs autour des enjeux développementaux du pastoralisme. L’approche promeut l’émergence d’institutions pastorales fortes, qui assument leur mission, à la satisfaction de leurs membres.

Dans un contexte de décentralisation marqué par le transfert des compétences, la gestion et la gouvernance concertée des ressources communes, l’émergence des unités pastorales – constitue une solution innovante. Diffusé à grande échelle, ce modèle de gestion pourrait permettre à court terme :

  • l’amélioration des systèmes de gestion des espaces pastoraux,
  • la réduction des conflits potentiels entre agriculteurs et éleveurs,
  • l’amélioration du potentiel tiré de l’élevage,
  • la préservation du cheptel très vulnérable aux crises éco-climatiques et sociopolitiques.

L’innovation– les UP - est pertinente d’autant plus qu’elle promeut le développement pastoral, dont la contribution à l’économie locale, nationale et sous-régionale est reconnue de tous. Si elles sont largement diffusées, les unités pastorales pourraient permettre aux éleveurs d’améliorer leurs moyens d’existence, à travers l’accroissement de la productivité du cheptel, et de mieux contribuer à la sécurité alimentaire de la sous-région, par l’approvisionnement des villes en productions animales. Ces villes représentent de nos jours de véritables centres de consommation, où la demande en nourriture augmente consécutivement au taux d’urbanisation qui « est passé de 16% en 1961 à 44% en 2009 », selon FAOSTAT 2009.

L’unité pastorale est un groupement d’agro-éleveurs habitant un même espace géographique et partageant le même forage ou point d’eau. La gestion des terroirs, dans le rayon de l’UP, est assurée par le groupement d’agro-éleveurs et fait l’objet de concertations qui ont abouti à l’élaboration du « Plan consensuel de gestion de l’unité pastorale ». Ce plan est le cadre de référence des aménagements et des initiatives de développement local. Il organise la gouvernance des ressources communes dans les limites de l’UP : l’accès aux services socioéconomiques de base (caisses locales d’épargne et de crédit, pharmacies vétérinaires, etc.), aux infrastructures (magasins de stockage d’aliments de bétail, parcs de vaccination, etc.) et aux ressources naturelles.

Le plan de gestion est élaboré par les éleveurs, avec l’aide des services techniques déconcentrés de l’Etat et le soutien des partenaires (ONG, projets de développement, etc.). Les clauses du Plan consensuel de gestion de l’unité pastorale sont conformes aux lois et règlements en vigueur. Les autorités administratives locales soutiennent la mise en œuvre du plan et veillent au respect de ses clauses par les acteurs.

Le système des UP est convainquant en raison de son caractère innovant.

  •  Il réhabilite les éleveurs et relance le secteur de l’élevage, en leur donnant pour la première fois de l’Histoire un droit sur les terres de parcours et de pâturage. Contrairement à une tradition longtemps établie dans la gouvernance foncière, qui excluait les éleveurs du processus d’accès à la terre, les UP donnent aux groupements d’agro-éleveurs la chance d’accéder à la terre. Les groupements définissent eux-mêmes les droits d’usage de la terre, en toute responsabilité.
  •  Le système des UP responsabilise les éleveurs dans la gestion des ressources naturelles locales. Dans plusieurs pays sahéliens, les éleveurs sont souvent sanctionnés par les services forestiers et les autorités compétentes en cas de coupe ou d’émondage d’arbres. Le plan de gestion des UP opère un changement de paradigme dans la gouvernance des ressources naturelles. Ce sont les populations elles mêmes qui se constituent éco-gardes, avec l’appui technique des services chargés des eaux, forêts et chasses, et du Centre de suivi écologique (CSE) du ministère sénégalais de l’Environnement et du Développement durable.

Les groupements d’agro-éleveurs créent des comités chargés, par exemple, de la surveillance de l’environnement. Ces comités sont chargés de prévenir, protéger et restaurer les écosystèmes situés dans les terres affectées par la collectivité locale aux groupements d’agro-éleveurs. En plus, un fonds de protection de l’environnement est mis en place. Il est financé par les cotisations des populations et les subventions émanant des collectivités locales et du secteur privé.

  • Le système des UP préserve la paix sociale et évite des conflits entre agriculteurs et éleveurs. L’unité pastorale n’est pas une approche exclusivement dédiée à la promotion du pastoralisme. Elle est aussi un exemple d’intégration économique. En plus de la pratique de l’élevage sous toutes ses formes, on pratique au sein des UP le maraîchage, l’agriculture et d’autres activités génératrices de revenus. Les clauses du plan de gestion prévoient l’aménagement, autour des habitations, de terres destinées à chacune de ces activités. Cela garantit une cohabitation pacifique et encourage la pérennisation du modèle, qui laisse de la place à toutes les activités économiques.
  •  Le système des UP promeut l’accès des communautés pastorales à des denrées alimentaires de haute valeur nutritionnelle, dont la consommation par les ménages était rare. Ces denrées sont constituées du poisson (un produit de la pisciculture pratiquée aux abords des forages) et des fruits et légumes (récoltés sur les périmètres maraîchers aménagés autour des forages).
  • Le système des UP intègre les jeunes et les femmes dans tous les processus de production, dans toutes les activités. Ces deux catégories sociales sont très actives dans les activités pastorales.
  • Le système des UP encourage le partenariat multi-acteurs et la synergie des efforts de développement. Les unités pastorales renforcent les organisations pastorales. Elles favorisent les partenariats entre tous les acteurs concernés par la gestion des ressources naturelles, dont la terre. Elles raffermissent les liens entre les collectivités locales et promeuvent plusieurs valeurs, dont la tolérance, la solidarité, etc.
  • Le système des UP facilite la maîtrise de la transhumance du bétail et de ses effets sur l’éducation des enfants d’éleveurs. Les peuplements d’éleveurs sont traditionnellement mobiles, et donc souvent en marge des réseaux d’infrastructures de base. Ils bénéficient faiblement des services sociaux (éducation, santé humaine et animale). Cette caractéristique du milieu pastoral traditionnel est nettement différente de celle qui est induite par les UP.

Les pare-feux mis en place par les unités pastorales pour prévenir les feux de brousse servent en même temps d’outils de désenclavement des collectivités locales, ce qui améliore la mobilité des biens et des personnes. Le système de santé animale s’améliore avec la mobilisation de relais de santé et la mise en place de points de vente de médicaments destinés aux animaux. L’accès à l’eau est permanant. En ce qui concerne l’éducation, les enfants ont accès à des écoles publiques implantées à proximité des habitations, grâce aux UP. Les adultes qui le désirent reçoivent des cours d’alphabétisation, dans des classes tenues par des moniteurs locaux.

Le système des unités pastorales est une innovation qu’il faut absolument vulgariser dans toutes les zones pastorales d’Afrique de l’Ouest, notamment au Mali, au Niger et au Sénégal. La sécurisation des systèmes pastoraux est un défi de taille, dans ces trois pays de la CEDEAO.

Biram Faye – Expert-consultant en gestion de projet et entrepreneuriat rural

Email : biramcodou@yahoo.fr

Tél : 772159540 / 779703163

 

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