Publié le 25 Nov 2016 - 11:52

Contre la peine de mortContre la peine de mort

 

Depuis quelques temps, à chaque fois, qu’il y a un crime odieux, certaines personnes en profitent pour réclamer le retour de la peine de mort. Je comprends bien l’émotion et l’indignation suscitées chez une bonne frange de l’opinion en de pareilles circonstances. Mais je refuse de subir un terrorisme intellectuel en donnant caution au retour de la peine de mort. Je suis foncièrement et humainement contre la peine de mort. La justice comme on l’apprend aux étudiants de première année de droit, ce n’est pas la vengeance.  « Le sang se lave avec les larmes, non avec le sang. Tant que la peine de mort existera, la nuit régnera dans la cour d’assise. » Dixit Victor Hugo.

Je fais volontairement l’économie de parler des risques d’erreurs judiciaires que ne prennent pas en compte les partisans de la peine de mort. Je leur demande simplement s’ils en ont la curiosité intellectuelle de consulter un des trois ouvrages que sont « les erreurs judiciaires de René Floriot, célèbre avocat français, « une ténébreuse affaire » de Honoré de Balzac et « le pullover rouge » de Gilles Perrault. Tous les crimes ne se commettent pas au grand jour et certains procès peuvent déboucher à des erreurs judiciaires. Pour coller à notre actualité, Il y a quelques mois en arrière, un verdict a été rendu sur le procès de la mort de l’étudiant Bassirou Faye, une personne a été jugée et condamnée. Pourquoi il n’y a pas un tollé pour demander sa condamnation à mort ?    

Des indépendances à nos jours, seuls deux de nos compatriotes ont été condamnés à mort et exécutés la même année en 1967. Il s’agit de Moustapha Lô (tentative d’assassinat du président Senghor) et d’Abdou Ndaffa FAYE (assassinat de Demba Diop). Pour le cas de Moustapha Lô, malgré beaucoup d’interventions de certains chefs religieux de l’époque, Senghor avait tenu à aller jusqu’au bout. Toutefois, après ces évènements jusqu’à son départ,  la peine de mort était rangée dans les tiroirs.

Quant à Abdou Diouf qui lui a succédé, il dira après son départ du pouvoir  qu’il n’avait pas supprimé, certes, la peine de mort, mais il a veillé à ce qu’elle ne soit pas appliquée sous sa présidence. Il ajoutera plus tard en sa qualité de président de l’organisation internationale de la francophonie que : « L’exécution d’un condamné à mort  devrait heurter profondément la sensibilité humaine pour envisager, au-delà des sentiments de vengeance et de peur, l’humanité dans sa nudité, dans sa dignité ». Mais c’est le président WADE, plus audacieux, qui prendra ses responsabilités en 2004 pour abolir la peine de mort de notre arsenal juridique.  C’est connu, les Sénégalais sont émotifs.

N’ont-ils pas acclamé Alex et Ino ? N’ont-ils pas accueilli Vaidéi (une actrice de film Indou, elle-même étonnée par la dimension de l’accueil) et Cheikhou Shariffou (un enfant innocent victime d’une sordide mise en scène) en grande pompe ? N’ont-ils pas tué des commerçants mauritaniens en 1989 ? N’ont-ils pas il tué comme des rats des personnes accusées de « rétrécisseurs » de sexes en 1997 ?… L’émotion, surtout celle négative, stimulée par la peur étouffe la raison et peut conduire à l’inhumanité. C’est faux de penser que la peine de mort est un remède contre la criminalité. C’est faux de penser qu’il existe une société, un pays sans des crimes odieux.

C’est faux de dire statistiquement que le taux de criminalité est élevé au Sénégal. Les crimes qui sont la source de ce débat sur la peine de mort ne peuvent même pas scientifiquement être érigés comme des faits sociaux, si on se réfère à la définition du fait social énoncée par Emile DURKHEIM dans les règles de la méthode sociologique. Pour cet éminent sociologue : «  est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer chez l’individu une contrainte extérieure, ou bien encore, qui est générale sur l’étendu d’une société donnée, tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles ». En vérité, certains de ces crimes relèvent de la psychologie individuelle non pas de la sociologie. D’ailleurs, c’est parce que globalement nous n’avons pas une société violente que l’émoi, l’indignation et la consternation ont atteint le niveau que nous connaissons. Le crime n’est pas encore une chose banale chez nous, alors qu’il l’est dans les pays à fort taux de criminalité.

Dans un autre registre,  c’est incohérent d’invoquer la religion islamique pour faire revenir la peine de mort au Sénégal. Il faut que nous assumions notre histoire et la diversité de notre peuple – qui n’est pas composé exclusivement de musulmans- pour savoir que ce n’est pas la charia qui a droit de cité dans notre pays. Et que reconnaître lucidement cet état de fait est loin de renier sa foi musulmane. Même le prophète Mouhamed (PSL) a cohabité avec des personnes appartenant à d’autres confessions religieuses tout en respectant leur foi. Encore que les sanctions édictées par la charia ne se limitent pas exclusivement au crime. Il y a bien d’autres que les partisans, au nom de l’islam, du retour de la peine de mort se gardent de défendre tellement que les péchés qui y mènent font lésions (l’adultère, le vol, les détournements de denier publics, la fornication, la consommation d’alcool …).

Par ailleurs, j’ai noté de dangereux mélanges de genres dans ce débat. Tous les crimes ne sont pas une question d’insécurité. Prenons simplement  trois des plus récents. Un chauffeur qui tue son patron, cela peut encore arriver vu la proximité des deux personnes ; une altercation entre deux chauffeurs qui virent au drame, du fait que l’une des personnes, détentrice d’une arme, n’ait pas pu maîtriser ses nerfs, cela peut encore arriver, une personne qui tue son amant (le jeune sénégalais et le chinois) sur fond d’homosexualité, donc un crime passionnel, cela peut encore arriver.

Dans toutes les sociétés, dans tous les pays, riches ou pauvres, que la peine de mort y soit appliquée ou non, quelle que soit la qualité et le niveau de sécurité, il existe ce genre de crime  dont, malheureusement, il est impossible de se prémunir. Du fait de l’obscurité et de la complexité de la personne humaine. Mêmes les meilleurs psychologues (professions spécialistes du comportement humain) sont incapables de prévoir toutes les réactions humaines. Il n’y a que l’Homme qui sait s’il est bon ou mauvais, les autres ne le connaissent point en vérité. Ils essaient uniquement de le deviner par conjecture incertaine. Et, mieux ou pire, l’Homme lui-même ne se connaît point.

Ce sont les circonstances auxquelles il est confrontées qui  permettent à lui et ses semblables de découvrir réellement s’il est cruel ou doux. C’est sûr que notre regrettée membre du conseil économique, social et environnemental aurait juré que son chauffeur serait incapable d’une acte aussi odieux. Ce  genre de crime n’a rien à voir avec le grand banditisme comme ce fut le cas récemment à grand Yoff et il y’a quelques jours à la pharmacie de Ndioum. Dans ces cas précis, une bonne politique de sécurité peut être un rempart pour diminuer considérablement, mais non pas enrayer totalement le phénomène et, en matière de sanction, la perpétuité peut bien suffire.

Khalifa Babacar DIAGNE

Psychologue Conseiller

   Master en droits humains

Maîtrise en interrelation population

 

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