Publié le 21 Mar 2024 - 11:06

Contribution au débat sur la monnaie

 

Quelques jours après le démarrage de la campagne présidentielle, l’on commence à percevoir les sujets majeurs sur lesquels il existe des divergences sérieuses entre les candidats. L’un de ces sujets est la monnaie, en l’occurrence le franc CFA sur lequel, les candidats se partagent en deux camps : le camp de la souveraineté et celui de la servitude.

Souveraineté ou servitude ?

La monnaie est une question fondamentalement politique. Comme telle, elle relève de la souveraineté d’un pays. Or, le franc CFA est un symbole de servitude pour les pays africains qui l’utilisent, comme le Sénégal. Par conséquent, tous les candidats sont interpellés sur cette question. Ceux qui soutiennent son maintien, sous une forme ou une autre, appartiennent au camp de la servitude.

Au premier rang de ces candidats, figure Monsieur Amadou Bâ, ancien Premier ministre du régime agonisant mais qui ne veut pas rendre l’âme ! Amadou Bâ est le candidat de la continuité, donc de l’allégeance à la France et à ses intérêts. En fait, beaucoup pensent qu’il est le candidat des milieux d’affaires français. Amadou Bâ s’est toujours illustré comme un des pions essentiels du camp de la servitude et un défenseur inconditionnel du franc CFA.

Certains se rappellent sans doute ses apparitions aux côtés de son homologue français Michel Sapin, alors ministre de l’Economie et des Finances, du temps de la présidence de François Hollande. C’était au moment où le débat sur l’avenir du franc CFA faisait rage dans les pays de l’UEMOA. Monsieur Sapin venait à la rescousse des régimes africains ébranlés par les critiques et mobilisations populaires contre le franc CFA. Devant Amadou Bâ donc, Monsieur Sapin répétait comme un perroquet que le franc CFA était « une monnaie africaine ». Non, le franc CFA n’est pas une monnaie africaine. Son sort se décide toujours à Paris et même à Frankfurt, siège de la Banque centrale européenne. Et non à Dakar ou Abidjan.

Comme Amadou Bâ, d’autres partisans inconditionnels de la servitude et défenseurs de la Françafrique ont lancé des diatribes contre la proposition de Bassirou Diomaye Faye. Ils parlent de « catastrophe » et présentent un tableau apocalyptique de la situation du pays qu’entraînerait la sortie du franc CFA. En plus d’être des partisans de la servitude, ces gens semblent vivre au siècle dernier, surtout au début des indépendances. Ils ne semblent pas comprendre les implications des transformations profondes du contexte mondial depuis plus d’un demi-siècle, avec la montée en puissance du Sud Global et le déclin concomitant de l’Occident collectif. Il y a une accélération de l’histoire en cours qui semble leur échapper. Ils ignorent peut-être que de nos jours, les accords de swaps permettent de se passer de devises comme le dollar ou l’euro, dans de nombreuses transactions internationales. La multiplication de ces accords a contribué à accélérer le mouvement de dédollarisation dans le monde, notamment dans les pays du Sud  

Le franc CFA : symbole de servitude

Un autre candidat qui semble rejeter l’idée de monnaie nationale souveraine avancée par le candidat Bassirou Diomaye Faye est Monsieur Khalifa Ababacar Sall. Dans une note publiée par sa Coalition en réponse à l’honorable député Guy Marius Sagna, il propose une monnaie souveraine mais au niveau ouest africain. Mais en Afrique de l’Ouest, jusqu’à présent, la seule monnaie souveraine envisagée au niveau régional est celle de la CEDEAO, comme nous le verrons plus loin. Le franc CFA qu’utilisent les pays membres de l’UEMOA ne peut pas être une « monnaie souveraine ». Même en changeant de nom, comme les présidents Alassane Ouattara et Emmanuel Macron ont envisagé de le faire en décembre 2019, en voulant usurper le nom ECO que la CEDEAO a choisi pour sa monnaie unique. Au contraire, le franc CFA symbolise la servitude des pays africains et aucune réforme ne pourra changer sa nature. Pour cette raison, le franc CFA est un obstacle au développement des pays africains. L’expérience de plus de 60 ans le prouve amplement. Faut-il rappeler que 7 des 8 pays membres de l’UEMOA sont classés comme « pays les moins avancés » (PMA) par les Nations-Unies ?   C’est-à-dire parmi les plus « pauvres » du monde. 

Depuis plusieurs années, l’avenir du franc CFA fait l’objet de débats au niveau académique, politique et citoyen. Donc aujourd’hui la question qui devrait être au centre des débats est : par quoi faut-il le remplacer ? Deux réponses possibles ont été avancées. L’une souligne que chaque pays membre devrait avoir sa propre monnaie, quitte à mettre en place une autre forme de coopération monétaire pour préserver leur solidarité. L’autre préconise le soutien au projet de monnaie unique au sein de la CEDEAO.

L’expérience de la CEDEAO

Le projet de monnaie unique de la CEDEAO a démarré depuis le milieu des années 1980. L’idée est de remplacer les monnaies des 15 pays membres, le franc CFA et les autres monnaies nationales, par une monnaie unique en vue d’accélérer l’intégration économique et de créer les conditions pour l’industrialisation de la Communauté. Mais le projet a été confronté à plusieurs obstacles politiques et économiques. Sur le plan politique, on note la réticence des pays de l’UEMOA, poussés par la France et l’Union européenne. La raison principale de cette réticence est la méfiance à l’égard du Nigeria qui représente plus des deux tiers du produit intérieur brut (PIB) de la CEDEAO. La France joue sur cette « peur » du géant nigérian pour essayer de torpiller le projet, avec la complicité de certains dirigeants de l’UEMOA comme Alassane Ouattara et Macky Sall 

Les obstacles économiques à l’avancée du projet sont les critères de convergence inspirés du credo néolibéral et copiés sur ceux de la zone euro. Le constat a été fait que les pays ne peuvent pas remplir ces critères en même temps. Mais apparemment, ils n’ont ni la volonté politique ni la lucidité de les modifier pour avancer. L’échéance de 2027 retenue par les chefs d’Etat pour l’adoption de la monnaie unique ne sera probablement pas respectée, comme toutes celles qui l’ont précédée. Ces rendez-vous manqués et d’autres considérations ont poussé certains à proposer des monnaies nationales souveraines à la place du franc CFA.

L’avenir de l’UEMOA et de la CEDEAO en question

Par-delà le débat sur l’avenir du franc CFA, aujourd’hui il y a une certaine incertitude quant à l’avenir même de l’UEMOA et de la CEDEAO. En effet, elles sont de plus en plus discréditées à la suite d’une série de décisions malencontreuses contre certains pays membres ayant connu des coups d’état militaires. Certaines de ces décisions sont de véritables actes de guerre. Imaginez le cas du Niger : du jour au lendemain, sans même aucun contact avec les nouvelles autorités, la CEDEAO décide d’imposer un embargo total, la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes, le tout accompagné d’une menace d’intervention militaire ! Pour corser l’addition, l’UEMOA décide de geler les avoirs du pays à la BCEAO et d’interdire toutes transactions financières avec ce pays. Ces mesures sont non seulement illégales mais tout simplement inhumaines et même criminelles. Elles visaient à asphyxier un pays sans littoral et en guerre contre le terrorisme ! Elles sont d’autant plus choquantes et honteuses qu’elles ont été prises à l’instigation de puissances étrangères, comme la France et les Etats-Unis.

La naissance de l’Alliance des Etats du Sahel (ES), formée du Burkina Faso, du Mali et du Niger, a été la réponse appropriée aux dérives de la CEDEAO et de l’UEMOA, devenues de simples syndicats de chefs d’Etat. Le 28 janvier 2024, ces trois pays ont pris la décision de quitter la CEDEAO, « avec effet immédiat ». Ils ont décidé de former une Confédération et pris plusieurs mesures pour renforcer leurs relations sur les plans militaire, politique et économique. Ce qui devrait logiquement les conduire à quitter l’UEMOA, un jour ou l’autre.

Ce serait un grand revers pour l’intégration en Afrique de l’Ouest. Certes, on aurait souhaité voir celle-ci renforcée et même accélérée. Mais quand des institutions communautaires dévient de leur idéal originel pour devenir des jouets entre les mains de puissances étrangères et se transformer en une menace contre des Etats membres et leurs peuples, alors elles ne sont plus viables. La CEDEAO et l’UEMOA ont perdu leur crédibilité et même une partie de leur légitimité. Leur probable implosion ne serait pas une surprise. Espérons que naîtra sur leurs ruines une authentique CEDEAO des peuples.      

Conclusion

Tous les candidats sont interpellés sur l’avenir du franc CFA, qui est un symbole de servitude. Proposer de le conserver, même avec des « réforme » signifie perpétuer la servitude et continuer d’hypothéquer nos perspectives de développement. En effet, il est impossible d’obtenir des résultats différents avec les mêmes instruments et politiques qui ont fait la preuve de leur faillite depuis des décennies. D’où la nécessité d’une rupture, comme le propose le camp de la souveraineté, représenté au premier chef par le candidat de la Coalition Diomaye Président. Certes, le changement a tendance à susciter la peur, car perçu comme « un saut dans l’inconnu ». Mais pour ce qui concerne le franc CFA, le choix est simple : continuer à accepter la servitude ou recouvrer la souveraineté !

DEMBA MOUSSA DEMBÉLÉ
Economiste

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