Publié le 3 Oct 2015 - 09:14
CONTRIBUTION

L’équation des chefs d’Etats Africains

 

Comment qualifier certains chefs d’Etats de notre continent, qu’il s’agisse de ceux dont on a réussi heureusement à se débarrasser, de ceux qui sont morts naturellement ou assassinés lors de coups d’Etat, ou de ceux qui ont réussi à s’agripper encore à leur pouvoir exécrable, à tous égards ? A l’évidence, ces derniers font souffrir leurs peuples, mais c’est le cadet de leurs soucis.

Passons en revue certains célébrissimes parmi eux, dont de véritables despotes doublés de bouffons, des dictateurs sanguinaires, des pillards  patentés  des ressources de leur pays, dont ils plombent ainsi le décollage économique.

Commençons par quelques uns de ceux qui sont partis, morts ou vifs. Qu’on souffre que je les cite nommément, la langue de bois me causant quelques fois des démangeaisons.

Le commandant Moussa Traoré, devenu très vite Général, et ses acolytes, après avoir renversé le premier Président de la République du Mali, Modibo Keita, se mirent à se comporter comme bon leur semblait, en dirigeant leur pays d’une main de fer.

Inimaginable comme l’homme peut être un loup pour l’homme ! Les militaires putschistes avaient fait subir des atrocités impensables à leur victime, en le transférant d’abord dans une zone où sévit une chaleur torride, ensuite en  l’y laissant périr de faim et de soiffe, dans une cellule digne d’un fauve en captivité, sans même un simulacre de procès au préalable.

Pour quoi tout cela ? Rien, si ce n’est le fait qu’ayant à leur disposition les armes, la mode chez certains officiers des armées africaines est de se dire pour quoi ne pas s’en servir pour écarter n’importe qui du pouvoir et prendre sa place ? 

Même s’il est évident que le fait de disposer d’armes ne justifie pas qu’on s’en serve pour prendre le pouvoir, une folle envie d’y accéder peut pousser des militaires à « chercher des poux, même sur des cranes rasés » de ceux qui l’exercent légitimement, pour s’inventer des motifs fallacieux, les dégager et prendre leur place, en les accusant d’être sales.

Le Président Sékou Touré, champion de la lutte  contre « l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme ». Ce « digne fils de l’Afrique », du moins à son entrée en politique, via le syndicalisme, était devenu un dictateur sanguinaire, au contact de l’exercice du pouvoir qu’il avait, il faut le reconnaître, conquis de haute lutte et avec courage, ce dont personne ne l’a jamais soupçonné d’avoir profité pour accaparer des  fortunes colossales, comme cela se constate généralement dans plusieurs pays du continent.

Mais avait t-il fait un bon usage de son pouvoir? En tout cas, très vite, des   guinéens et des étrangers qui vivaient parmi eux, sentant venir une existence, où mourir serait préférable à continuer à vivoter sans oser murmurer sa déception, prirent la fuite, se faufilant, qui à pied, qui en taxi-brousses, vers les frontières des pays limitrophes pour sauver leur peau. Et pour cause !

Quant aux autres pour lesquels le comportement de plus en plus enragé de leur idole  se justifiait par le fait qu’il ne pourrait pas faire autrement, dans  un premier temps, où il y’aurait des risques que des contre-révolutionnaires de la fameuse cinquième colonne de « valets de l’impérialisme » tuent dans l’œuf la révolution, il fallait soutenir le héro national.

Mais « balaa ngay daw dangay am ay tank », (il faut se sauver, pendant qu’il est encore temps) dit un proverbe Wolof.

Lorsque les non-prévoyants se rendirent compte de ce qui risquait d’arriver avec le régime de Sékou Touré, ils commencèrent à prendre leur disposition pour prendre la poudre d’escampette, mais c’était trop tard pour pouvoir se sauver. Contraints et forcés, ils restèrent dans l’enfer guinéen sous Sékou Touré jusqu’à leur mort ou la sienne, à moins qu’ils aient eu la chance de l’avoir survécu.

Qu’en est t-il du bilan du règne du héro de l’indépendance de la Guinée ? Nul sur le plan économique, nul sur le plan des libertés individuelles, nul sur le plan de la diplomatie, nul dans le domaine de la formation des cadres, nul surtout sur le plan de la démocratie. Rien que de la phraséologie, qui ne nourrit pas son homme.

Dans un tel cas d’espèce, on pourrait peut être comprendre l’avènement d’un coup d’Etat, en l’absence d’un quelconque autre moyen.

Dès lors qu’à cette époque la limitation du nombre des mandats présidentiels ou leur durée n’était pas encore posée, rarement un Président élu ou putschiste quittait le pouvoir autrement que dans un cercueil, et le plus souvent sans les honneurs.

La Guinée n’était pas sortie de l’auberge avec la disparition de son premier Président, qui avait déçu plus d’un. Au lieu d’élections pour procéder à son remplacement, ce fût par un coup d’Etat, mode très répandue en Afrique, que l’Amé y procéda. 

Un officier, Lansana Konté, s’installa, sans le souci de mieux faire que son prédécesseur, ce qui ne devait pourtant pas être difficile, mais avec celui de jouir, et de ne quitter le palais présidentiel que dans un cercueil, lui aussi, mort naturellement. Par rapport au Président Sékou Touré, ce fut blanc bonnet bonnet blanc.

La mode des coups d’Etat, militaires ou constitutionnels, pour accéder au pouvoir, s’y river ou, à défaut, se faire remplacer par son fils est à bannir. On comprendrait les militaires si pour des cas exceptionnels ou de forces majeures, ils se servaient de leur outil de travail, qu’est l’armement dont ils sont dépositaires et non propriétaires, pour prêter main forte à des forces de l’ordre, qui viendraient à être dépassées ponctuellement dans l’exercice de leur mission de maintien de l’ordre.

Combiens d’anciens chefs d’Etats africains étaient, ou sont arrivés au pouvoir ou y sont restés par des méthodes hors normes, depuis le coup d’Etat, le tout premier, qui coûta la vie au Président  Silvanus Olympio, le tout premier Président élu de la République du Togo? Difficiles à dénombrer.

Les militaires togolais, ho quelle ignominie ! En le pourchassant, le flinguèrent comme un gibier, juste au moment où le pauvre arpentait le mur d’une Ambassade pour leur échapper.

Deux mots sur certains anciens chefs d’Etat africains, parmi les plus célèbres, tant à cause de leurs pitreries que pour leur incompétence. On raconte qu’une certaine opinion publique américaine ne conçoit pas que l’on continue à revendiquer une égalité parfaite entre les blancs et les noirs, si  un Idy Amin Dada avait pu être Président de l’Ouganda, et plus grave, de l’OUA, tout comme Bokassa 1er avait régné sur la République Centre Africaine et en avait profité pour être Président de la même organisation internationale, le système de rotation entre chefs d’Etat en fonction aidant.

Ne parlons pas de cet autre clown de chef d’Etat, dont le nom s’allongeait proportionnellement à son degré de folie, Mobutu Sese Seko…

Terminons en par la très ridicule tentative de coup d’Etat militaire qui vient de se passer au Burkina Faso et, subséquemment, sur le cas de l’ex-président Blaise Compaoré qui, même s’il n’en était pas l’instigateur, était parti pour  en profiter.  Il n’était pas rassasié du pouvoir, bien que l’ayant exercé vingt sept ans durant,  avant d’être déboulonné par la rue. Et dire que plus d’une fois celui-ci s’était pavané ça et là, pour des médiations de paix, alors qu’il était arrivé au pouvoir, suite à un coup d’Etat ponctué du massacre du Président Thomas  Sankara.

De quel prétexte pouvaient s’armer le Général Diendéré et ses acolytes lorsqu’ils s‘introduisirent subrepticement dans la salle où se tenait le conseil des ministres de la transition pour arrêter ces derniers ? Celui qu’ils avaient invoqué les avait discrédités du coup. 

C’était ne pas compter avec la combativité de la rue avec, à sa tête, le Balai citoyen, une société civile très mobilisatrice, un garde fou pour un conseil constitutionnel qui n’avait d’yeux et d’oreille que pour Blaise Compaoré, lors qu’il cherchait à tout prix à rempiler pour un troisième mandat. Comme les fameuses majorités écrasantes, les conseils constitutionnels à l’africaine se sont jusqu’ici révélés les ennemis de la démocratie. 

Ne serait t-il pas temps que les dirigeants africains comptent avec les furies de la rue et évitent de se croire tout permis, s’estimant à l’abri, une fois les prétendus porteurs de voix enrôlés, et les transhumants, subitement thuriféraires, incrustés dans les médiat ? Au besoin, qu’ils prennent l’avis d’un Moussa Traoré, ancien chef de l’Etat du Mali, et, plus près de nous, d’un Maître Abdoulaye Wade, lorsqu’il était à deux doigts de modifier la constitution pour créer une fonction de vis président. C’était ne pas compter avec la détermination de la rue, dopée  de la combativité de Y’EN A MAR. 

Pour en revenir au cas du Burkina Faso, ce n’est pas seulement les naïfs qui pensaient que le galon d’Officier supérieur n’avait de place que sur les épaules de soldats sur lesquels leurs pays pouvaient compter en cas de situation critiques. Pour tout dire, le commun des mortels pense que tout officier sans exception, est un citoyen accompli, qu’il faut traiter avec déférence. C’est peut être dans cet ordre d’idée que dans l’armée on dit que leurs ordres doivent être exécutés sans hésitations ni murmure.

Ce qui est arrivé au régiment d’élites qu’il coachait nous apprend qu’on a toujours besoin d’un plus petit que soi. Peut-être que si les hésitations et les murmures n’étaient pas bannis dans les rangs, quelqu’un de la troupe aurait dit : trop c’est trop.

Au Sénégal, heureusement nos galonnés qui s’en tiennent à leur fonction régalienne, n’auront pas à se le faire rappeler.

Maître Wagane Faye

 

 

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