Publié le 31 Dec 2015 - 09:35
CONTRIBUTION

La bombe fonciere au Sénégal

 

Dès leur accession au pouvoir en 2000, la volonté obsessionnelle des tenants du régime libéral s’identifiait à la volonté de réaliser le plus rapidement  possible un  enrichissement, afin de jeter les bases de l’avènement d’une bourgeoisie locale, par le truchement de la prévarication des ressources publiques. L’audace, la gratuité et l’irresponsabilité déconcertantes avec lesquelles des franges de ce régime se faisaient des libéralités ou laissaient faire pour une accumulation rapide du capital, dépassaient l’entendement et choquaient les consciences humaines.

Le motif était qu’il fallait vite rattraper le temps perdu ,pour avoir passé de nombreuses années à trimer à la périphérie des affaires publiques et privées, en faisant main basse sur les ressources relevant du patrimoine commun, à l’instar de conquérants arrivés sur de nouveaux territoires pour effectuer une razzia, dans le but de s’adjuger d’immenses trésors. C’est ainsi que le Sénégal, à partir des années 2000, apparaissait aux yeux des vainqueurs comme un nouvel eldorado avec une conception de l’état dans laquelle les biens publics devraient leur appartenir. Si bien que la consigne était d’accumuler le maximum de biens dans la totale impunité, avant que d’autres ne viennent prendre leurs places de sinécure.

la grande vitesse avec laquelle les vainqueurs voulaient s’enrichir, se mesurait aux sommes astronomiques qui caractérisaient les transactions frauduleuses et dont le chiffre pourrait bien avoisiner plus 1500 milliards de FCFA mis hors circuit ces 15 dernières années, soit, plus du budget actuel  d’investissement   du Sénégal. C’est ainsi ,qu’après seulement quelques années d’exercice du pouvoir, les serviteurs supposés de l’état ont rattrapé le temps perdu et n’ont plus  de complexe à se faire devant les plus riches de ce monde dont les fortunes, pour la plus part, possèdent une traçabilité et une origine licite, ou, en tous les cas, de non prévarication de ressources publiques.

A la question de savoir « Pourquoi votre régime accuse une forte propension à développer l’affairisme d’état ? »Le président Abdoulaye Wade répondit avec ce brin d’humeur qui le caractérisait  « les socialistes ne comprennent pas que nous sommes des libéraux » comme si, pour lui, le libéralisme, pour des serviteurs de l’état, voudrait dire affairisme d’état. Or, le libéralisme se définit comme la recherche du profit, dans un contexte de la libre entreprise par le laisser-faire où l’état, à travers ses serviteurs, n’a pas à intervenir dans les relations d’affaires, contrairement aux pratiques interventionnistes du régime libéral dans la sphère de l’activité économique. C’est dire que le libéralisme tropical des tenants de l’ancien régime dont la doctrine s’assimile à bien des égards à celle du régime issu de la seconde alternance en 2012, n’est  qu’une stratégie pour asseoir l’ambition et une volonté d’avoir le pouvoir de l’argent par le truchement du pouvoir politique.

Toutefois, cette accumulation primitive du capital sur des bases de prévarication des ressources publiques ne pourra pas générer de véritables capitaines d’industries dans les divers domaines de l’activité économique, en ce que le recyclage des capitaux ne pourra s’effectuera que dans les  secteurs spéculatifs pour blanchiment. De sorte, qu’au lieu d’intervenir pour orienter les capitaux vers le secteur productif réel, ce qui aurait permis  de minimiser les pertes implicites par des gains de croissance, les tenants du régime libéral développent, plutôt, des réflexes de prise d’intérêts dans des projets spéculatifs au détriment de l’intérêt général.

Cet affairisme d’état outrancier dont les pratiques sont toujours en cours, en dépit de la deuxième alternance qui semble perpétuer une continuité, se manifeste à travers l’élaboration de projets très  souvent éloignés des préoccupations réelles des populations, projets à travers lesquels des prises d’intérêts sont monnaie courante..

Parmi les secteurs ciblés pour s’enrichir à une vitesse supersonique, l’accaparement des terres du domaine national au profit d’affidés, plus que le captage de ressources par les autres canaux financiers de l’état (corruption, concussion, détournement) constitue le procédé le plus rapide et le pernicieux d’accumulation primitive du capital, C’est pourquoi, la gourmandise  foncière en cours dans notre pays  est tellement visible ,au point que le partage de vastes territoires qui s’est opéré ces dernières années au Sénégal reste unique dans les annales des injustices de l’histoire.

En effet, des pans entiers du domaine national, allant des zones publiques protégées ou classées jusqu’au domaine privé de l’état, ont connu ces dernières années de nombreuses aliénations pour servir des intérêts particuliers, au mépris du droit des autochtones à disposer de la terre de leurs ancêtres, de la classification des zones selon les code d’utilisation des terres, de la sauvegarde des biens publics de l’état et de la protection de l’environnement. Si bien qu’une nouvelle terminologie dans le langage administratif en termes de délocalisations, dé classifications, expropriations, désaffections sont devenus  les mots  plus usuels pour la réalisation de projets spéculatifs et éloignés du développement réel sur fond de prise d’intérêts.

A la différence des physiocrates qui agissaient pour l’intérêt général et qui pensaient qu’il fallait accumuler le plus de terre pour développer l’agriculture et accroitre ainsi la richesse des nations, ce qui n’est pas totalement faux avec la raréfaction des ressources foncières et le croit démographique, nos pseudo libéraux sous nos latitudes, n’ont comme seul souci de s’auto s’ enrichir indûment, tels des fauves affamées qui se jettent sur une proie rare .Aussi, la course vers l’accaparement des terres libérées de l’emprise des régimes de protection pour la sauvegarde du patrimoine et du développement durable, étaient-elles devenue viscérale, en dépit de la catégorisation des zones et du respect des codes et conventions internationales.

Les exemples de la destruction du stade Assane Diouf ,le  squattage d’une partie des  forêts classée de Mbao, de aloup Kagne et des zones de protection du littoral dans les Niayes (filaos), les mélanges de genre entre zones industrielles ,zones de production agricole et zones d’habitat à l’instar du pôle urbain de Diamniadio ,la razzia sur les réserves foncières du CICES ,de l’aéroport de Dakar et du stade LSS ,l’expropriation d’exploitants agricoles dans la zone humide des Niayes à Sangalkam ,Bambilor, Sébikhotane  et  Pout , ainsi que l’octroi de plusieurs milliers d’hectares à des membres du gouvernement , aux élus , fonctionnaires et marabouts à Fanaye et Mbane  ou dans d’autres localités  du Sénégal, en sont des exemples éloquents.

Pis, après avoir aliéné et réaffecté, l’état, à travers ses démembrements que sont l’IPRESS ou la caisse de sécurité sociale chargés d’épargner les cotisations des contribuables, rachète à prix d’or ce qui lui appartenait, comme il s’agissait de transférer gratuitement des milliards de Francs à des individus; Parfois, la supercherie frisait le comble, qu’il eut fallu inventer la notion de dation en paiement  dans les transactions foncières de l’état pour des marchés de complaisance. Certains bénéficiaires d’affectations  se mettent  à négocier de vastes étendues de terres avec des multinationales en mal de surfaces arables dans leur pays pour la culture des agro-carburants, tandis que d’autres morcèlent des espaces pour de l’habitat dans  des  zones non aedificandi ou à vocation agro pastorale.

Le désordre foncier sur fond d’accaparement et de spéculation des terres est perceptible partout dans les quatre points cardinaux du Sénégal. La privatisation des terres du Sénégal fut sans conteste entreprise à un rythme soutenu dans le but  de transférer les missions sociales de sociétés d’états (SICAP,  OHLM, ZACS) à des partisans .Même les autorités coloniales respectaient les zones d’habitat et de production des autochtones, contrairement à l’attitude prévaricatrice des supposés serviteurs de l’état. Car, la terre restera toujours le patrimoine commun le plus sacré et la seule propriété exclusive de la providence ; Elle ne devrait pas subir des aliénations, sauf s’il s’agit d’utilisation publique, en raison de ce qu’elle peut symboliser dans l’histoire, les cultures et civilisations des populations .Les guerres les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité furent ,pour la plus part, la résultante de l’occupation de territoires par des conquérants venus d’ailleurs ,générant des mouvements de libération ou révolutions .

Depuis pratiquement l’indépendance du Sénégal jusqu’au années 2000, la loi sur le domaine national de 1964 octroyant plus de 95%  des terres du Sénégal au patrimoine commun  a régi, tant bien que mal, l’homme à l’espace par une combinaison des droits portant sur les utilisations, l’environnement et l’écosystème. A cet effet, nous avons connu une gestion plus ou moins harmonieuse du foncier conforme aux réalités socio-économiques et aux types de rapport société-nature. C’est dire que les différentes catégorisations des terres par la loi sur le domaine national en zones rurales, zones urbaines, zones classées, zones pionnières et zones du terroir restent pertinentes et, de la bonne gestion des terres selon les codes d’utilisation dépend une harmonie et une quiétude sociale.

Le fondement de cette loi sur le domaine national repose sur nos us et coutumes, lesquels sont  caractérisés par un communautarisme sur les formes d’appropriation des terres aux antipodes de l’option libérale avec la privatisation des terres entreprise depuis 2000 sur fond d’enrichissement illicite. Des pans entiers du territoire national sont distribués à des particuliers sans association des autochtones et des remembrements de zones protégées sont entrepris, provoquant non seulement une aggravation des inégalités et de la pauvreté, mais aussi, une destruction de l’environnement dont le souci pour sa conservation avait donné lieu à l’existence d’un arsenal de codes (code de l’eau, code de l’environnement, code forestier, code de la chasse, et de la protection de la faune, code de la pêche, code minier).Nous faisons remarquer à ce niveau, que la disparation des communautés rurales avec l’acte 3 sur la décentralisation, constitue une négation des valeurs ancestrales de civilisation à la base du mode communautariste  de production africain et demeure la réforme la plus libérale et la plus  contre révolutionnaire prise ces dernières  années, à contre sens de notre identité et de notre histoire.

Aujourd’hui, aucune tentative résolue n’est prise  pour un audit foncier exhaustif sur l’accaparement des terres relevant du patrimoine commun, au vu de la gravité et de la gratuité des actes léonins pris sur le dos de la collectivité depuis les années 2000. Nos efforts contre  l’enrichissement illicite et  contre l’impunité seraient dérisoires, si les autorités actuelles ne prennent pas la pleine mesure de la réédition des comptes, de la justice sociale et de la bonne gouvernance sur le foncier ; Car le domaine foncier est la source principale de l’enrichissement illicite et partant, des injustices sociales et des inégalités au Sénégal, ces dernières années.

Kadialy  Gassama

Economiste

Rue Faidherbe x Pierre Verger

Rufisque

 

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