Publié le 30 Nov 2015 - 20:46
COUVERTURE MÉDIATIQUE MAGAL 2015

Comment s’y prend la presse

 

Le Magal de Touba n’est pas seulement une effervescence populaire, mais également un succès médiatique. Couvrir la commémoration du départ en exil de Serigne Touba au Gabon n’est cependant pas une mince affaire. Les équipes de télévision et les studios de radio se sont pratiquement tous déportés dans la capitale du mouridisme et se confrontent plus ou moins aux aléas du direct. Sans compter un contenu immuable qu’il va falloir renouveler pour intéresser le public. 

 

Dans une des salles carrelées du grand immeuble au quartier Darou Khoudoss trente bi, c’est le branle-bas de combat. Reporters, cadreurs, monteurs, ingénieurs du son de la Sen Tv sont  plein d’entrain pour vite se remettre d’aplomb. On vient juste de reportage, mais on doit y retourner sous la houlette pressante du responsable de la production. Le gros travail déjà abattu et l’objectif déjà dépassé, à deux jours du Magal de Touba, avec plus de 50 plateaux, ne satisfont toujours pas Pape Doudou Djigueul. ‘‘C’est Touba la vedette. Tout tourne autour de Touba et de Serigne Touba. Nous n’avons ménagé aucun effort pour une large couverture de l’événement’’, lance-t-il assis sur un sofa près de son présentateur-vedette, Ndiaye Doss. Tout autour, habillés comme lui de Lacoste bleu clair, les travailleurs du groupe déambulent furtivement d’une salle à l’autre du rez-de-chaussée de ce bâtiment de quatre étages. Chargés de trépieds et de caméras, ils s’empressent à l’appel du doyen Abdoulaye Lam qui part sur un reportage.

Comme le précise Djigueul, le groupe a pratiquement délocalisé ses activités dans la capitale du mouridisme, depuis lundi.  Tous ses supports et 30 de ses  éléments y sont présents pour la couverture de l’événement. D’ailleurs, pour le jour-j, la chaîne prévoit d’émettre à partir de Touba, Mbacké plus précisément. ‘‘Nous disposons d’un faisceau. Les relais sont là, les gens pourront suivre toute la cérémonie sur notre chaîne’’, se réjouit-il avant de se déplacer, pressé par l’équipe qui doit sortir. 

Comme à l’accoutumée, le Magal de Touba fait courir du monde… et la presse. De 822 accréditations l’an dernier, la cellule communication du comité d’organisation dit avoir dépassé la barre des 1000 qu’il s’était fixée pour cette année. Aux environs immédiats de la grande mosquée de Touba, les chaînes de télévision semblent s’être passé le mot. Camions-régie à leur effigie ou banderoles imposantes comme signalétiques, pas moins de quatre télés y ont établi leur camp de base. En face de la grande mosquée, le camion de régie de la RTS déploie une énorme parabole qui suscite la curiosité de petits pèlerins. A ses côtés, celui de la Dtv, filiale du groupe Excaf télécom. Juste derrière, ce sont les barrières métalliques blanches du Groupe futurs médias qui intéressent les jeunes passants. C’est à qui mieux-mieux pour accrocher l’intérêt d’une foule qui commence à grossir dans les allées de Touba.

Les écrans géants diffusent, en très léger différé, le plateau qui se fait en direct, depuis la ville sainte. Des gesticulations sans paroles au niveau des écrans, puisque le son est noyé par les puissants décibels des haut-parleurs qui entonnent les panégyriques de Serigne Touba. Dans la résidence Khadimou Rassoul, qui abrite une partie de la presse, les équipes techniques de Touba Tv, en partenariat avec la Dtv, s’affairent aussi autour des programmes du soir. La concentration des techniciens est maximale devant les chutes et rechutes des courbes sur les écrans d’ordinateur. Le directeur des programmes, Djibril Ndao, fait savoir que la télé a adopté un programme spécial safar (Ndlr : deuxième mois du calendrier musulman), depuis le 20 novembre. Sa chaîne a également déplacé 30 personnes, mais s’est basée sur la logistique de la Dtv, qui couvre l’un de ses premiers Magal, pour mener à bien le traitement médiatique. 

La quête d’originalité 

Le Magal de Touba est un événement religieux très couru certes mais qui, dans le jargon  de la presse, est ce que l’on appelle un ‘‘marronnier’’ (un article ou reportage d'information consacré à un événement récurrent et prévisible). Pour les responsables de la production, la célébration constitue un énorme casse-tête sur le plan du renouvellement des idées. Les rédactions rivalisent d’ardeur pour dénicher la petite parcelle de terrain qui n’a pu être défriché dans ce champ médiatique traité et re-traité. Un problème d’angle de traitement qu’on essaie de résoudre dans les différents desks concernés par la cérémonie. Pour le présentateur de la Sen-Tv, Mamadou Ndiaye Doss, l’originalité cette année réside dans la priorité accordée aux reportages-découvertes. Aux portraits des sept fils de Bamba qui ont occupé le califat, la chaîne ‘‘a décidé de faire des éléments sur les fils de Serigne Touba qui n’ont pas eu la chance d’être califes ; ses fils méconnus du grand public ; ainsi que sa progéniture féminine dont Sokhna Fatou Dia était l’aînée’’, déclare-t-il.

Le directeur des programmes de Touba Tv n’est pas en reste. Après le classique portrait des fils du fondateur du mouridisme, avec un traitement spécial pour le dernier disparu, Serigne Saliou Mbacké, il promet 7 documentaires de 52 minutes spécialement concoctés pour le plaisir des téléspectateurs. Ce sont les pionniers de la littérature wolof qui ont chanté Serigne Touba qui seront à l’honneur. Le premier à le faire, Serigne Mor Kaïré, sera bien présenté au public. Mais, il y a aussi Cheikh Samba Diarra Mbaye et Mbaye Diakhaté. Ce sont eux qui ont inspiré Cheikh Moussa Ka, le chanteur de louanges le plus connu, explique-t-il. Une innovation qui fait suite au besoin de cette rédaction de sortir l’audimat d’un traitement médiatique figé de cette grande célébration religieuse.

‘‘Que la connexion perde la tête’’

Dans la maison de la presse située à ‘Niary étage’, l’ambiance est beaucoup plus feutrée, après la diffusion du journal de midi. La salle un peu vide fait résonner les éclats de voix qui s’étaient tues tantôt pour permettre le direct des journalistes radio. C’est presque la délivrance, sauf pour les rares reporters de presse écrite qui reviennent tout juste de collecte. Dans ce calme presque plat, les accrédités ne sont pas tous encore présents, les quelques liaisons directes s’élèvent et se mêlent au cliquetis des notifications sur les réseaux sociaux. Malgré les conditions de plus en plus améliorées dans lesquelles évolue la presse, des aléas et quelques impairs subsistent. A l’exemple des journalistes radio qui ne disposent pas de salle d’enregistrement pour ‘faire la voix’.

‘‘Des fois, l’irruption de nos confrères en plein direct n’est pas l’idéal, mais faute mieux…’’, lance une journaliste de la radio Al Bourakh de Tivaouane, avec beaucoup de philosophie. Pour compliquer la donne, une connexion internet intermittente vient parfois retarder des envois dont le besoin à la rédaction centrale est d’une urgence critique. La femme voilée d’un châle jaune se rappelle au mauvais souvenir du Magal de l’an dernier où elle a raté son papier faute de connexion. Depuis, elle s’est inculquée une précaution imparable. ‘‘Trente minutes avant la grande édition, je m’arrange toujours pour que mon élément soit envoyé’’, dit-elle sourire en coin. Des soubresauts auxquels les journalistes de presse écrite s’estiment heureux d’être affranchis, puisque très peu impactés par ces contraintes technologiques et étant capables de travailler hors-connexion. Leur seule peur est similaire à celle de la radio, poursuit la journaliste : ‘‘que la connexion perde la tête’’. 

OUSMANE LAYE DIOP 

 

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