Publié le 5 Mar 2021 - 23:50
COUVERTURE MANIFESTATIONS

La presse attaquée de tout bord

 

Entre suspension temporaire du signal, saccage de bureaux, la presse sénégalaise a vu rouge, hier. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel est, en premier, entré dans la danse, en coupant le signal de Walf TV et de Sen TV. Des manifestants s’en sont ensuite pris à la RFM et au journal ‘’Le Soleil’’. Des actes dangereux que la Coordination des associations de la presse et le Synpics ont dénoncés.

 

Alors que les journalistes dénonçaient la malheureuse sortie du préfet de Dakar demandant, mercredi, de ‘’gazer’’ la presse, voilà que le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) entre dans la danse de manière on ne peut plus offensive. L’organe de régulation a coupé le signal de Sen TV ainsi que celui de Walf TV. ‘’Attendu que suite à des constats de manquements à la réglementation, le conseil a, par un communiqué en date du 3 mars 2021, rappelé aux médias leur obligation de veiller à sauvegarder la paix et à ne pas diffuser de programmes faisant, notamment, explicitement ou implicitement l’apologie de la violence’’, rappelle le CNRA dans sa note suspensive.

Dans ce cadre, il demandait à la Sen TV et à Walf TV de ‘’cesser la couverture irresponsable de la situation et à mettre un terme aux violations flagrantes de la réglementation’’. Il les prévenait d’une probable suspension de leur signal pour une durée de 72 heures.

Mais, relève le CNRA, malgré cette mise en garde, la Sen TV et Walf TV ont persisté ‘’dans leur logique de violation de la réglementation, en diffusant en boucle des images de violences’’.

Par conséquent, Babacar Diagne et Cie ont décidé de suspendre la diffusion des programmes de la Sen TV et de Walf TV, du jeudi 4 mars 2021 à 17 h au dimanche 7 mars 2021 à 17 h. ‘’La Société de télédiffusion du Sénégal (TDS SA) et Canal+ Sénégal sont chargés de l’application de la présente décision qui sera notifiée au promoteur de la Sen TV et publiée partout où besoin sera’’, ajoute-t-on dans la note. Ce qui a été immédiatement appliqué. 

Pour contourner cette décision, Walf TV et Sen TV se sont rabattues sur les réseaux sociaux. Elles diffusaient en direct sur leurs sites Internet.

La Cap : ‘’CNRA, un organe obsolète aux ordres’’

Cette décision du CNRA a poussé la Coordination des associations de presse (Cap) à se prononcer. Elle se dit ‘’très préoccupée et peinée par la situation en cours où des entraves manifestes à la liberté de presse et au droit du public à une information plurielle sont notées’’. La Cap ‘’pensait que l’épisode de vendredi dernier à l’Assemblée nationale, lors du vote de la levée de l’immunité parlementaire de monsieur Ousmane Sonko, où la presse avait été interdite d’accès à l’hémicycle, était juste un malheureux incident isolé. Mais, à sa grande surprise, elle a l’impression que tout cela entre dans le cadre d’un plan d’action ourdi et planifié pour empêcher la presse de jouer son rôle’’. 

Le communiqué du CNRA le confirme, dit-elle. Car, considère la Cap, il ‘’ne peut chercher à dénier aux journalistes un droit fondamental élémentaire acquis de haute lutte et inscrit dans la Constitution. Depuis plusieurs décennies, la presse au Sénégal a toujours couvert en direct les différents grands événements qui constituent une actualité forte. Si aujourd’hui, cet organe de régulation qui est devenu éculé et caduque avec le Code de la presse de juillet 2017, menace les chaines de télévision de suspension où ‘ces mesures seront aggravées en cas de récidive’, il y a lieu de s’inquiéter’’, alerte-t-elle. La Cap prévient qu’elle n’acceptera ‘’aucun abus quel que soit le prétexte utilisé’’. 

Les choses ont déjà dégénéré. ‘’Les organisations professionnelles des médias membres de la Cap ne peuvent comprendre, ni s’expliquer le fait que le préfet de Dakar donne des ordres pour que les forces de défense et de sécurité chargent les journalistes et les isolent. Des instructions du genre ont justifié aujourd’hui que la répression des forces de sécurité s’étende à la presse. Le caméraman de la chaine Ouest-TV, Cheikh Gaye, a été touché au pied par balle à blanc. D’autres acteurs des médias s’en sont sortis avec de légères blessures. La Cap trouve inadmissible que les journalistes qui avaient été dépêchés pour la couverture du cortège du leader du Pastef soient déportés loin des théâtres d’opération’’. 

Elle alerte ‘’l’opinion publique nationale et internationale sur ces menaces très graves pour l’exercice de la profession. Cependant, elle fera face quoi qu’il advienne. Les organisations internationales ont été saisies. Au niveau local, toutes les dispositions utiles seront prises pour que la presse ne soit pas muselée et réduite à sa plus petite proportion’’. 

Attaques contre le siège de la RFM

Par ailleurs, le siège de la Radio futurs médias, où se trouve également le quotidien ‘’L’Observateur’’, et celui du quotidien national ‘’Le Soleil’’ ont été attaqués par des manifestants. Il y a eu des dégâts matériels considérables. Une grave entrave à la liberté de la presse. Contrairement à mercredi, après la déclaration du préfet de Dakar, le Synpics a, cette fois, réagi très rapidement. ‘’Le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics) condamne avec la dernière énergie les actes de violence perpétrés contre des médias, notamment ce 4 mars, heureusement sans pertes en vies humaines’’, lit-on dans un communiqué. ‘’Les sièges de la Radio futurs médias (privé) et du quotidien ‘Le Soleil’ (public) ont été attaqués, des véhicules caillassés et/ou incendiés, des cocktails Molotov jetés aux journalistes et autres travailleurs trouvés sur place. Des informations font état d’un plan d’attaque contre d’autres médias’’, regrette-t-on. 

Aussi, ‘’ces actes lâches et criminels surviennent au moment où toute la presse est mobilisée pour, au péril de leur intégrité physique, informer les populations sénégalaises. Au moment où les esprits des organisations des médias sont tournés vers la résolution du cas de la rupture des liaisons directes de deux chaînes de télévision privées, Sen TV et Walf TV, nous avons été surpris de constater ce qui semble être un plan de décapitation de la presse sénégalaise’’, ajoute-t-on. Des actes qui ‘’visent à faire taire les médias et constituent, de ce fait, une atteinte à notre système de gouvernance’’, croit savoir le Synpics. 

Mais c’est peine perdue. ‘’La presse sénégalaise restera debout ! Elle fera son travail de collecte, de traitement et de diffusion de l’information au bénéfice exclusif de la population’’.

Tout de même, ‘’le Synpics demande au ministre de l’Intérieur de faire prendre toutes les mesures idoines pour assurer la sécurité des médias, quelle que soit leur ligne éditoriale’’. En outre, l’organisation syndicale ‘’en appelle à la responsabilité des éditeurs et diffuseurs de presse, et leur demande d’assurer aux reporters à déployer sur le terrain le minimum de logistique requis ainsi qu’un briefing quotidien sur les règles de sécurité’’.

MATAR CISSE (STAGIAIRE)

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