Publié le 30 Jan 2020 - 15:04

Cri du cœur d’un syndicaliste angoissé

 

La relation historique qui caractérise le couple Capital-Travail nous enseigne que le combat que mène la force de Travail depuis l’aube des temps contre le Capital n’est pas une lutte à mort. Il s’agit plutôt d’un combat perpétuelle pour créer et maintenir un rapport de forces  équilibré qui tempère les velléités du Capital à domestiquer le Travail et socialise les rapports de travail.

Ce n’est que sous un tel rapport que nous arriverons à une redistribution correcte de la production au sens large et à une protection environnementale qui passe nécessairement par le changement du système de production suicidaire actuel. Mesurant ce rapport à l’aune de la globalisation, je suis inquiet de notre réveil qui pourrait être brutal, nous autres, acteurs du mouvement syndical, surpris que nous serons, par les changements fondamentaux à grande vitesse, impulsés par l’ère de la 4ème révolution industrielle dite révolution 4.0.

Cette révolution de l’économie virtuelle, marquée par le progrès technologique qui génère l’industrie virtuelle, la finance virtuelle, la robotisation du travail et sa mondialisation à outrance, milite manifestement en faveur du Capital et des excès de la finance globale, au détriment du Travail, de l’économie réelle et solidaire pour un développement intégré durable. A ces nouveaux paradigmes de l’ultra libéralisme, s’associe la dérèglementation climatique, environnementale et écologique qui, à elle seule, est une réelle menace qui pèse sur la vie de la planète terre et par conséquent sur le Travail, car il n’y a pas d’emplois dans une planète morte.  

L’avenir du travail se pose aussi en ces termes. Nous rendons-nous compte que pour construire des buildings en un temps N fois réduit qu’il ne l’a été jusqu’à maintenant, il suffit simplement d’un ou de quelques individus et d’une machine ; de même, pour toute sorte d’opération bancaire, nous n’avons plus besoin ni de nous déplacer ni des services d’un quelconque employé. Nous rendons-nous compte que, même la grève sous sa forme actuelle va être très vite dépassée, plus vite qu’on ne puisse l’imaginer.

Alors, acceptons qu’à présent, plus que jamais, ni la rivalité ou l’adversité, ni aucun autre détail crypto personnel qui nous divertit ou nous détourne de la reconstruction de notre unité sacrée, n’ont plus de place dans la gouvernance syndicale pour l’accomplissement de notre mission de syndicaliste à l’ère de l’économie virtuelle. L’heure est à la remobilisation, au renforcement de l’unité d’action et de l’unité organique, à la réorganisation pour l’unification des luttes, et à la réadaptation de nos stratégies. Mieux, aujourd’hui, nous devons procéder à la remise en cause même des formes actuelles d’organisations, quand on sait que le mouvement des gilets jaunes et d’autres mouvements similaires qui émergent à travers le monde, semblent ne plus se reconnaitre dans le mouvement revendicatif de représentation, tel que les syndicats. Tous ces signaux prouvent qu’au fond, les travailleurs, qui s’accordent toujours sur l’essentiel ne sont pas divisés mais ce sont les organisations syndicales et leurs leaders qui le sont.  Remettons-nous en cause dans le but de mieux resserrer nos rangs, de recentrer nos missions, de réadapter nos stratégies.

A mon avis, nous gagnerions à envisager, pourquoi pas, une vaste alliance au-delà de nos organisations, à créer une sorte d’entente avec les peuples, qui sont nos premiers alliés, concernés qu’ils sont par le progrès social et économique, l’équité et la justice. A coup sûr, cela nous renforcerait, face aux dérives et agressions du Capital, pour maintenir ce rapport de force indispensable, sans lequel, l’humanité n’est pas à l’abri de «l’apocalypse». Dans l’économie globale, la définition qui confine la mission syndicale à la seule défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs, est devenue trop étriquée. La conception actuelle des règles de la mondialisation basée sur les excès de la finance globale, élargit de facto les missions du mouvement syndical qui inscrit désormais son action dans celle du peuple et intègre ses préoccupations dans celles des populations.  Cette redéfinition de l’action syndicale me conforte dans l’idée d’une vaste alliance des syndicats et des peuples, de ses segments les plus organisés, pour faire face efficacement aux fléaux de la quatrième révolution industrielle.

De nos jours, un nombre croissant d’individus n’a pas accès à l’emploi, le service public recule, le Capital privé multinational gagne du terrain. Les tendances à restreindre l’espace démocratique apparaissent comme une préoccupation majeure à l’échelle mondiale. L’indice des droits dans le monde en 2018 évalué par la CSI (Confédération Syndicale Internationale), révèle une réduction systématique de l’espace démocratique ainsi qu’une recrudescence des violations des droits tels que les libertés syndicales et la négociation collective. Malgré une croissance économique sans précédent au cours de ces dernières décennies, les salaires stagnent à l’échelle mondiale à l’inverse de la hausse de la productivité et de l’inflation galopante.

Des millions de travailleurs exerçant un travail atypique, ne gagnent pas suffisamment pour vivre dignement, des centaines de millions d’individus vivent dans l’extrême pauvreté. Cette extrême pauvreté génère de la violence, elle-même devient de plus en plus, une sorte de violence exercée par l’accumulation opulente de richesses mal redistribuées, accaparées par une infime minorité, ne représentant qu’ 1% des 7, 63 Milliards d’individus sur terre.  Ce modèle économique virtuel généré par la 4ème révolution industrielle 4.0 est bien décrit par le Pr Abdoulaye TAYE, enseignant chercheur, qui disait dans une contribution, je cite : « le modèle capitaliste libéral s’est révélé toutefois comme une technique économique de production efficace. Il s’est avéré en revanche comme une piètre technique économique de distribution.

Il ne permet pas à l’écrasante majorité d’accéder à ses produits et service. Les supermarchés sont pleins de produits alimentaires, mais les ventres sont creux et grondent de faim. Les mendiants dépourvus de revenus envahissent les rues. Les magasins sont remplis d’eau et de boissons, mais les masses ont soif et ne trouvent pas d’eau potable pour se désaltérer. Les sans domiciles dorment à côté d’appartements vides faute de locataires solvables. On peut trouver tous les produits et les services en abondance, mais on ne peut pas se les offrir. Pour les acquérir il faut un emploi et un salaire. …».

Le combat pour un système alternatif basé sur des valeurs humaines fortes, est devenu une exigence, incontournable pour faire face à tous ces défis mondiaux qui conditionnent l’avenir du travail et la stabilité sociale de l’humanité.

Manifestement, le système actuel de l’économique virtuelle est piégé. Pour éviter que le combat permanent du Travail contre le Capital ne soit un combat à mort, il nous faut un nouveau contrat social. Qui plus que l’Afrique et les syndicats africains ont intérêt à l’avènement d’un système économique juste, socialement équitable, garantissant le développement durable dans un environnement stable et sécurisé ?

Les syndicats et les peuples doivent tirer tous les enseignements de deux phénomènes historiques : la traite des nègres et l’immigration qualifiée de clandestine. Ces deux catastrophes illustrent parfaitement l’égoïsme débordant du Capital. La traite des nègres, cette immigration forcée organisée par le Capital pour satisfaire la forte demande de main d’œuvre générée par les premières révolutions industrielles des années 1800. A contrario, le système de l’économie virtuelle de la quatrième révolution industrielle 4.0 restreint drastiquement l’utilité de la main d’œuvre, dont il rejette honteusement l’offre qualifiée d’immigration clandestine. Dans les deux cas de figures, les peuples, les travailleurs et leurs syndicats en ont beaucoup souffert et souffrent encore de ce pillage de nos habitants, de nos ressources et de nos richesses qui n’a que trop duré. 

En cette quatrième révolution industrielle, toutes les prévisions s’accordent sur le fait que le continent Africain sera la future plaque tournante de l’économie mondiale, par conséquent il sera la destination favorite des grands investissements mondiaux. Le Capital s’y est déjà préparé, nous laissant en rade, car selon les statistiques de l’OIT, l’Afrique détiendrait dans un avenir proche, le tiers des travailleurs du monde, favorisée qu’elle est par une population rajeunissante et une démographie croissante.   Pour toutes ces raisons, le mouvement syndical en général, africain en particulier, dans son unité et dans ses alliances les plus larges possibles, doit se mettre au premier rang du combat pour un nouveau contrat social. Ce contexte mondial d’impréparation des syndicats rejaillit fortement sur le plan national où la situation est révélatrice. Depuis plus de deux décennies, en effet, le mouvement syndical national sénégalais, ne prend en charge que des revendications de restitution qu’il peine à faire aboutir.

En effet le passif des accords dans les secteurs sociaux de l’éducation, de la santé et de la justice, le passif social des ex travailleurs d’entreprises fermées ou en difficulté, les violations persistantes des droits et libertés des travailleurs, les incohérences avérées du système de rémunération des agents de la fonction publique, la mise en œuvre tardive de la fonction publique locale, la relance pénible, quasi-inexistante des entreprises en difficulté, et j’en passe….ont fini de révéler les limites des luttes désorganisées, sectaires et corporatistes, conséquences graves de l’émiettement des forces syndicales et de la désunion des syndicats de l’élite engagée et du mouvement ouvrier regroupé dans les confédérations dites  centrales. Cette situation nous interpelle tous, c’est la raison pour laquelle nous avons l’obligation d’appeler à faire cause commune, à revisiter notre histoire, celle du syndicalisme qui repose sur des fondements idéologiques et sur des valeurs d’engagement, d’unité, de solidarité, d’équité et de justice.

C’est illusoire de vouloir préserver sa seule case dans une forêt dense tout en flammes.

L’organisation des luttes syndicales pour de nouvelles conquêtes sociales et pour la défense des droits et libertés, c’est notre seule voie de salut. Le dialogue social de restitution que mène le mouvement syndical sénégalais depuis plus de deux décennies, illustre parfaitement notre échec collectif. « S’unir pour faire la différence », ce thème du quatrième congrès ordinaire de la CSI/Afrique qui vient de se tenir à Abuja au Nigéria les 19, 20 et 21 novembre 2019 est venu à son heure. Les syndicats n’appellent pas à l’unité, au renforcement des forces sociales pour faire de la dictature syndicale ou pour faire barrage au progrès technique et technologique, nous n’en sommes nullement contre. Dans le domaine médical par exemple, l’IA (l’Intelligence Artificielle) a permis beaucoup d’avancées dans la recherche et dans le traitement des maladies redoutables comme le cancer. Aujourd’hui, on parle de guérison possible des cancers avec cette masse d’informations jadis inimaginables que l’IA met à la disposition des spécialistes du domaine médical. Mais il manque et manquera toujours à l’IA, l’intelligence sociale, indispensable à l’humanité.

Pour une quatrième révolution industrielle à visage humain, UNISSONS-NOUS.

Cheikh DIOP Secrétaire Général de la CNTS/FC

cheikhdiopfc@yahoo.fr    cntsfc@yahoo.fr  Tél 77 569 32 56

 

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