Publié le 1 Jan 2020 - 02:09
CRIMINALISATION VIOL & PEDOPHILIE

Le Sénégal corse son arsenal législatif

 

Après deux décennies d’application, l’article 320 du Code pénal sénégalais sera bientôt abrogé et remplacé par une disposition nouvelle qui va criminaliser le viol et la pédophilie. Le Sénégal prend son courage à deux mains et fait mieux que plusieurs pays jugés libéraux en la matière.

 

C’est allé très vite, après le Conseil des ministres du 27 novembre 2019. ‘‘Au titre des textes législatifs et réglementaires, le conseil a examiné et adopté : le projet de loi modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal avec des chapitres visant à durcir la répression du viol et de la pédophilie, et de la sanction pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité’’, annonçait le communiqué du Conseil des ministres.

A peine un mois plus tard, la question passait en plénière, hier, à l’Assemblée nationale.

Deux décennies après la modification de l’article 320 du Code pénal, le Sénégal durcit davantage cette disposition sur le viol et la pédophilie que la poussée d’exigence citoyenne trouvait très clémente. L’Assemblée nationale a voté, à l’unanimité et par acclamation, le projet de loi faisant passer le viol et la pédophilie de délits à crimes.

Désormais, ils sont passibles de perpétuité au lieu d’une décennie de prison, la peine maximale que prescrivait l’article 320, de la loi n°99-05 du 29 janvier 1999. ‘‘Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol sera puni d'un emprisonnement de 5 à 10 ans. S'il a entraîné une mutilation, une infirmité permanente ou si l'infraction a été commise par séquestration ou par plusieurs personnes, la peine ci-dessus sera doublée’’, affirmait cette disposition qui va bientôt devenir obsolète en attendant la promulgation de la nouvelle loi.

Cette loi, en son temps, a même essayé de se donner toutes garanties de dissuasion avec une criminalisation adossée à une condition particulière : la mort de la victime de l’agression. Mais plusieurs associations de défense des droits humains et des associations féministes se sont offusquées du fait justement qu’il faut cette issue fatale pour que le viol soit qualifié d’assassinat. ‘‘S’il (le viol) a entraîné la mort, les auteurs seront punis comme coupable d'assassinat’’, poursuit l’article.

Des dispositions contre la pédophilie ont également été prises pour verrouiller un arsenal juridique qui a montré ses limites en deux décennies. ‘‘Si l'infraction a été commise sur un enfant au-dessous de 13 ans accomplis ou une personne particulièrement vulnérable, en raison de son état de grossesse, de son âge avancé ou de son état de santé ayant entraîné une déficience physique ou psychique, le coupable subira le maximum de la peine. Quiconque aura commis ou tenté de commettre un attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence, contre des individus de l'un ou l'autre sexe sera puni d'une peine d'emprisonnement de 5 à 10 ans’’, défendait l’article 320.

Le Sénégal sur les pas du Royaume-Uni fait mieux que la France, le Canada, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie...

Le Sénégal a pourtant des efforts à faire pour la protection des femmes. La base de données d’Onu Femmes établit le mariage des enfants à un taux de 31 % et les mutilations génitales féminines à 23 %. Par contre, il n’existe pas de données officielles sur les autres critères qui permettent de mesurer les agressions subies par les femmes : la violence sexuelle et/ou physique entre partenaires sur les douze derniers mois, violence sexuelle à vie sans partenaire.

Mais le Sénégal, à l’instar de la loi sur la parité, prend les devants dans la législation, en criminalisant le viol et montre la voie à des pays de l’hémisphère Nord. Excepté le Royaume-Uni et son acte contre les offenses sexuelles de 2003 qui frappe d’une peine de perpétuité le viol, la peine que le Sénégal s’apprête à abroger est toujours de mise dans plusieurs pays développés. Le Code pénal italien (art. 609) condamne de 5 à 10 ans d’emprisonnement le viol avec un maximum de 14 ans, si la victime est âgée de moins de 10 ans. La peine est similaire au Canada avec circonstance aggravante (14 ans ferme) sur une mineure de moins de 16 ans. En France, un viol est puni de 15 ans d’emprisonnement, voire 20 ans, en cas de circonstances aggravantes. Quant à l’Allemagne, l’article 177 modifié de son Code pénal en juillet 2016, prévoit une punition de 6 mois minimum à 5 ans maximum d’emprisonnement. D’après Amnesty International, les législations européennes sont timides dans l’ensemble, car ‘‘seuls neuf pays européens sur les 33 de l’espace économique européen (en prenant en compte séparément les trois systèmes juridiques du Royaume-Uni) reconnaissent cette simple vérité : un rapport sexuel sans consentement est un viol’’. Aux Etats-Unis, où 70 % des viols sont commis par une connaissance de la victime, la législation varie selon les Etats : perpétuité et même peine de mort dans le Montana, alors que la Californie punit de 3 et 8 ans, voire 15 ans éventuellement.

D’après les statistiques sur le viol de la ‘’Revue mondiale de la population’’ (Worldpopulation Review), les femmes âgées de 16 à 19 ans sont quatre fois plus susceptibles d’être victimes de viol ou d’agression sexuelle et les étudiantes à l’université de 18-24 ans risquent trois fois plus d’être exposées à l’agression sexuelle. Des chiffres pourraient être en deçà de la réalité, car de nombreuses femmes victimes de violences sexuelles signalent ou dénoncent rarement le fait. Alors que de nombreux pays ont des lois contre les agressions et violences sexuelles. D’après le classement établi par la ‘’Revue de la population mondiale’’, sur les dix premiers pays du monde de ce tableau peu glorieux, les quatre premiers sont africains : Afrique du Sud (132,4 pour 100 mille habitants) Botswana (92,9), Lesotho (82,7), Swaziland (77,5). La Suède occupe une surprenante 6e place. Le Sénégal, avec un taux de 5,6 viols pour 100 000 habitants, sur une population totale de 16 millions 513 mille 516, occupe la 59e place de ce classement, loin derrière des pays comme la France, l’Australie, la Belgique, les Etats-Unis, la Norvège ou le Luxembourg...

OUSMANE LAYE DIOP