Publié le 20 Feb 2012 - 11:47
Crise politique : Karim, la cause

Crise politique : Karim, la cause

Karim Wade

Aujourd’hui, il est établi que le Président sortant travaillait et travaille encore pour son fils. Et c’est précisément ce fils qui n’a jamais pris part à aucune bataille politique ou de rue avant 2000 qui est placé au cœur de la République par son père au mépris de toute règle éthique et morale. Sans aucune expérience de gestion dans le privé (il fut coursier dans une petite banque en Europe) , dépourvu de toute science en matière d’administration publique, son père a eu l’inintelligence voulue de lui confier des centaines de milliards de FCFA pour préparer la tenue du 11ème Sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI). Après le Sommet tenu en mars 2008, il le positionne pour occuper le poste de maire de la ville-capitale à l’issue des élections locales de novembre 2009 : échec retentissant car sa coalition perd les élections dans les grandes capitales régionales du pays dont Dakar. Le vieux-Président n’en a cure et décide de montrer aux Sénégalais qu’il peut transformer un moustique en abeille: il nomme son fils ministre d’Etat et le place dans l’ordre protocolaire bien avant d’autres ministres d’Etat mille fois plus méritants dont un maire de ville, directeur des élections dans son parti. Il lui confie des portefeuilles multiples : Infrastructures, Transports aériens, Aménagement du territoire, Coopération internationale.

 

Quelques mois plus tard, il le déleste de l’Aménagement du territoire pour lui rajouter l’Energie et chasse le titulaire du poste. Le Gosse se voit même doter du pouvoir constitutionnel de faire nommer des ministres, PCA et DG de Sociétés nationales. Nombre de ministres se mettent à son service et n’osent même pas entreprendre des initiatives dans leur ministère sans solliciter ses avis. Certains d’entre eux préfèrent aller lui soumettre directement leurs projets, en multipliant par zéro le premier ministre, sachant que s’il les valide, le père-président les endosse. Il fait sanctionner des hauts fonctionnaires et se fait imposer par son Papa comme l’homme qui fait et défait des carrières, vole en jet privé et en loue pour les autres membres du Gouvernement et cela depuis qu’il dirigeait l’ANOCI. Il transforme des ministres en sous-fifres, devient l’œil et l’oreille de son père, mobilise les investisseurs étrangers autour de sa personne et les introduit dans le bureau de son pater et dans les bureaux des ministres, décide, en dernier ressort de tout ce qui a trait au fric, casse des hommes d’affaires peu à son goût, contrôle la fiche d’audience de son père et lui fait signer des décrets pour lui tout seul comme le dernier sur l’application du Code des marchés, sans respect des procédures établies.

 

Jamais, dans l’histoire de ce pays, un fils de Président n’a disposé d’autant de pouvoirs et d’argent. Ce monsieur est au cœur de la crise politique et institutionnelle que traverse le Sénégal. Il en est même la cause véritable. La raison est bien simple : comment des jeunes qui se sont battus pour l’Alternance, diplômés ou chômeurs, marchands ambulants, tailleurs, mécaniciens, menuisiers, laveurs de voitures, vendeurs de journaux, apprentis chauffeurs, maçons et colporteurs peuvent-ils concevoir et accepter qu’un monsieur dont le seul mérite est d’être fils de président puisse disposer de tant de moyens et de pouvoirs, narguer ses compatriotes, se voir passer son image tous les soirs à la RTS, voyager en jet privé, être soustrait de tout contrôle, dandiner en ville sous haute escorte… ? Où est le mérite ? Où est le principe républicain du «Yamalé» ou l’égalité des chances? Comment un être humain normal, de surcroît un Chef d’Etat en exercice, peut-il dire publiquement que « mon fils est meilleur, montrez-moi celui qui est meilleur que lui et je le nomme ministre» ? Et ces «goorgoorlu» que je viens de lister écoutent, entendent et refoulent, en attendant la maturation des facteurs subjectifs et objectifs pour extérioriser leurs frustrations et leurs désespoirs devant ce discours de mépris à eux et à leurs parents adressé. Ce président et son fils sont allés trop loin ; ils ont été rendus complètement fous et hypnotisés par leurs pouvoirs politiques et monétaires.

 

Mieux, toutes les réformes constitutionnelles initiées par le président sortant l’ont été pour lui et pour lui tout seul aux seules fins de créer les conditions d’une transmission dynastique du pouvoir. Et tous ces projets de réforme sont préparés dans le secret de son bureau, à l’insu de ses ministres techniquement compétents et de son premier ministre. Relisons l’exposé des motifs de la loi de 2009 qui a abrogé le quinquennat pour ramener le septennat : son objet est de permettre à un nouveau président( suivez mon regard) sans beaucoup d’expérience de pouvoir disposer de temps pour s’installer et consolider son pouvoir. Des membres du Gouvernement, sous le sceau de l’anonymat, l’ont révélé, dès après son adoption en Conseil des ministres. La révision constitutionnelle du 23 juin 2011 a ouvert les yeux aux plus sceptiques et elle lui était destinée : le ticket et la majorité de 25% allaient permettre au président réélu aussi facilement de se doter d’un vice-président docile pour créer les conditions de sa succession par son fils. Echec total. Il fallait trouver d’autres stratagèmes : imposer sa candidature illégale au Conseil Constitutionnel, truquer les élections et se donner 2 à 3 ans(comme il l’a dit lui-même) pour terminer ses chantiers ; ces chantiers ne sont rien d’autres que ceux de la succession dynastique.

 

En ce moment, le pays brûle et le vieux s’en contre-balance. Cela l’arrangerait d’avoir une situation d’ingouvernabilité pour se donner encore des délais pour son projet funeste.

 

Pour les raisons que voilà, il est facile de conclure que ce fils est la cause de la crise politique et institutionnelle dans le  pays ; Il a été la cause des crises internes du PDS, depuis 2003 : départ de M. Idrissa Seck en 2004 et de M. Macky Sall en 2009. Depuis la réélection du Président en février 2007, toute la démarche présidentielle et tous les remaniements et réaménagements du gouvernement sont subordonnés au projet de transmission dynastique du pouvoir. On allait oublier la création d’un poste de vice- président de la République votée par l’Assemblée et dont le titulaire attend d’être nommé depuis 3 ans.

 

L’échec de ce projet qui n’est pas encore définitivement abandonné- mais le sera bientôt- est patent. Le Vieux qui méprise tant les sénégalais tarde à comprendre qu’il n’est pas plus intelligent que tous les sénégalais réunis. Malgré les milliards distribués à des fins corruptrices, malgré la création d’une cour de subordonnés pitoyables et la nomination de misérables individus à de hauts postes de responsabilité, malgré la promotion hideuse de cireurs de bottes de son fils, malgré le déploiement d’une armada de pauvres plumitifs et porte- voix au service du prince et de la cour, le pouvoir va immanquablement changer de camp, cette année. C’est une évidence. Même si l’on peut regretter et noter l’absence de direction politique pour transformer les mouvements de résistance épars en un puissant torrent contre le pouvoir en place, le président sait qu’il a perdu et tout perdu : son pouvoir, sa crédibilité auprès des dignitaires religieux et coutumiers, sa notoriété internationale. Il a perdu le contrôle de son parti et son parti. La pseudo- coalition qui le soutient est un colosse aux pieds d’argile incapable d’opposer une quelconque résistance dans la rue, car animés par des gens uniquement intéressés par le fric et les stations et qui se contentent de suivre, de leur salon doré par les sous du Palais, les violences policières et la détermination des populations.

 

Le pouvoir va immanquablement changer de camp, cette année. Cette tendance est devenue irréversible au regard des développements que connaît le pays depuis trois semaines. Hier, 19 février 2012, le pays a été terriblement secoué. Les excuses du ministre de l’intérieur venues sur le tard, après sa séquestration à Tivaouane, des heures durant, n’ont fait qu’amplifier les révoltes. Les analystes du Palais, ressortis du chapeau du président-magicien, politiquement insignifiants, maintes fois humiliés, publiquement et en privé, s’épanchent dans les médias privés pour disserter sur la démocratie et les rêves du Maître dans le seul but de garnir leurs comptes bancaires. Ils ont perdu leur self-control. Ils savent bien que leur régime est fini mais leurs poches ont besoin d’être dotées en supplément pour leur permettre de passer, demain, les années de soudure, pour des années. Ce pays est entre les bras d’individus qui ne savent pas ce qu’est un Etat. Ils savent ce qu’est un Parti. Et c’est cela la plus grande menace à sa stabilité.

 

En vérité, personne, au pays et dans le monde, ne voit le président sortant continuer à conduire les destinées du Sénégal, après le 26 février 2012. Tout cela à cause de son fiston. Et ce fiston vient de lui ôter, pour toujours, malheureusement, la chance de sortir par la grande porte et de laisser son nom écrit en lettres d’or dans l’histoire politique de l’Afrique. Comme un Fils peut haïr son Père!

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