Publié le 18 Jan 2019 - 13:18
DÉCÈS DE SERIGNE AHMED BACHIR KOUNTA

Ndiassane pleure et rend hommage à son journaliste trilingue

 

Porte-parole du défunt khalife général de Ndiassane, Serigne Cheikh Mouhamed Bouh Kounta, pendant plus de trois décennies, Ahmed Bachir Kounta est rappelé à Dieu hier matin à l’hôpital de Ouakam, à Dakar, à l’âge de 82 ans. Un homme connu pour son ‘’humilité, sa grandeur et son franc-parler’’. Ndiassane rend hommage et pleure son ‘’régulateur-journaliste’’ à travers le porte-parole de la famille Kountiyou, Serigne Pape Abdourahmane Kounta.

 

La nouvelle annonçant le décès de Serigne El Hadj Ahmed Bachir Kounta a retenti comme un coup de tonnerre et surpris plus d’un. Le réveil a donc été brutal, révèle Pape Abdourahmane Kounta. Dans la mesure où celui qui a accompagné presque ou tous les khalifes de la Tarikha khadriya de Ndiassane avant de se retirer de son propre gré, est parti sans aucun signe d’au revoir. Homme des médias, Bachir Kounta est né en 1937 à Saint-Louis du Sénégal où il fréquenta l’école française. Cependant, cela n’a pas fait de lui un homme acculturé. 

Il est resté lui-même et attaché à ses racines jusqu’à son rappel à Dieu. Elégant dans ses prises de parole en public, le défunt était un journaliste trilingue. En plus de la langue de Kocc qu’il assurait avec une certaine éloquence sur les plateaux de télévision, il avait le verbe facile en français et en arabe. Journaliste sportif, homme de culture ou encore journaliste, spécialiste des questions de société, Serigne Bachir Ahmed Kounta était devenu, par moments, l’homme à tout faire de Ndiassane. ‘’Le rappel à Dieu de Serigne Ahmed Bachir Kounta est une grande perte pour la famille Kountiyou et la Ummah islamique, mais aussi une perte pour la corporation journalistique. Nous présentons toutes nos condoléances à la presse sénégalaise dans son ensemble.  Bachir  Kounta était un homme issu d’une bonne famille. Son père était un membre de la famille de Cheikh Mouhamed Kounta. Bachir était un homme de Dieu, éduqué sur les valeurs de l’islam’’, réagit Pape Abdourahmane Kounta dès l’annonce de la ‘’mauvaise’’ nouvelle.

Des connaissances acquises auprès des érudits

Après avoir été à l’école française pour apprendre la langue de Molière, Ahmed Bachir Kounta n’a, dans un sens comme dans un autre, négligé celle arabe. Peint comme une personne dotée d’une intelligence extraordinaire du fait de son parcours et de ses compétences en langue française et arabe, le regretté Bachir Kounta doit la maitrise de ces deux mondes aux érudits comme le défunt khalife général des tidianes Serigne Babacar Sy ou encore Cheikh Sidy Lamine Kounta. Ce sont ces derniers, si l’on  en croit le porte-parole de la famille de Ndiassane, qui lui ont tout enseigné. ‘’Il était très proche de nos grands érudits comme Serigne Babacar Sy et Cheikh Sidy Lamine Kounta pour apprendre auprès d’eux’’, confie Pape Abdourahmane Kounta. Aussi, son successeur au poste de porte-parole de la famille Kountiyou de Ndiassane affirme que la disparition de Bachir Kounta est une ‘’grande perte pour le Sénégal et pour l’Afrique’’, parce qu’il était devenu un homme d’une dimension internationale.

Ainsi, rend-il un hommage appuyé au défunt tout en précisant que Ndiassane et toute la Tarikha khadriya vont se mobiliser demain (aujourd’hui) pour l’accompagner à sa dernière demeure. ‘’Le nom Bachir renvoi à celui qui apporte du bonheur, et il a œuvré, durant toute sa vie, à procurer du bonheur à ses semblables. Nous remercions le bon Dieu. Car la vie dépend de lui et lui rendons grâce pour l’avoir repris ici au Sénégal afin qu’on puisse l’assister et l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure. Il défendait sans relâche l’islam et la Tarikha. El Hadj Bachir Ahmed Kounta a toujours pris son bâton de pèlerin, à chaque fois que de besoin, pour régler certains différends dans le pays afin que la paix puisse y régner’’, témoigne la voix de Ndiassane, qui rappelle que, de son vivant, Bachir Kounta avait le sens de la vie en communauté et ‘’s’investissait  d’arrache-pied pour la préservation de la paix dans sa famille et dans son pays’’.

Golbert Diagne, son ancien ‘’élève’’

Ancien collègue de Bachir Kounta à Rts Saint-Louis vers les années 1961, Golbert Diagne a, sur les ondes de Radio-Sénégal, laissé entendre que s’il est connu aujourd’hui au Sénégal, c’est en grande partie grâce au défunt. ‘’Bachir m’a accueilli à Rts Saint-Louis. Bachir m’a formé. Bachir m’a modelé. Bachir m’a tout donné. Je prie Allah pour qu’il l’accueille dans son paradis’’, implore-t-il au bon Dieu. Poursuivant son témoignage, le Saint-Louisien précise que, de son vivant, El Hadj Bachir Kounta était un chef religieux qui a servi son pays. ‘’C’est un homme qui a été utile, durant toute sa vie, à sa société dans tous les domaines’’, pleure Golbert Diagne.

Traducteur en langue wolof des discours des présidents de la République, Bachir Kounta, pur produit de la Rts, fut aussi un reporter sportif de choc, un commentateur hors-pair. Il assurait son job avec une certaine éloquence, élégance et savait placer les mots. Le 19 mars 1967, le Sénégal devait affronter la Guinée, en match retour comptant pour la Coupe d’Afrique des nations. A cette époque, Bachir Kounta avait 30 ans. Aux côtés d’un autre pionnier de la presse sénégalaise, le célèbre journaliste Alassane Ndiaye ‘’Alou’’, le jeune Ahmed Bachir s’en était tiré d’affaire. En témoigne d’ailleurs son commentaire sur le troisième but du Sénégal inscrit par un certain Baye Moussé. Un match à l’issue duquel le Sénégal s’est qualifié pour la Can de 1968.

Et pourtant Ahmed Bachir Kounta avait présenté l’édition du ‘’Journal télévisé’’ en wolof, avant-hier. Ainsi, c’était sa dernière apparition sur le petit écran de la Rts1. Un au revoir aux téléspectateurs ! Et aujourd’hui, la famille Kountiyou orpheline, va faire ses adieux à son journaliste trilingue.

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Babacar Diagne (ancien Dg Rts)

 ‘’Nous avons perdu un repère’’

‘’Chaque fois qu’on devait traduire un  discours du chef de l’Etat, je faisais appel à Bachir Kounta, et ses traductions étaient respectées par tout le monde, depuis le président Abdou Diouf jusqu’à  Macky Sall, en passant par  Abdoulaye Wade. Bachir était également un homme de religion, un homme qui avait vécu dans les grandes cours, membre imminent de la famille de Ndiassane. Nous avons perdu quelqu’un de très grand, nous avons perdu un repère. Bachir pouvait passer du wolof au français. Bachir avait vécu les premiers temps de la radio, il  a vécu la télévision dans sa version moderne.’’

Ablaye Diaw (Journaliste)

‘’Il était un homme transversal’’

‘’Le premier direct de Radio-Sénégal, c’était à Saint-Louis et c’est Alassane Ndiaye ‘Alou’ qui l’a fait le 3 janvier 1955. En 1960, Alassane Ndiaye ‘Alou’ ne venait plus à Saint-Louis pour un reportage, parce que Bachir Kounta remplissait bien son rôle. Il le fait à égal bonheur que nous procurait Alassane Ndiaye ‘Alou’. Avec Ahmed Bachir Kounta, ils ont fait le reportage du match Sénégal-Guinée le 19 mars 1967 et le Sénégal avait gagné le match par 4 buts à 1. Il était un homme transversal.’’

Oumy Ndour (journaliste) 

‘’Bachir Kounta était comme ce grand-père dans nos maisons…’’

‘’Quel triste réveil ! Et pourtant, je ne peux que sourire en pensant à toi, Doyen. Je me souviens de tes entrées spectaculaires à la rédaction du ‘Jt’ en criant : "Que personne ne bouge !’’ Tu perturbais ainsi la réunion pendant de longues minutes et personne ne s'en plaignait. C'était même devenu un rituel. La question que je me pose aujourd'hui est : qui va faire ton hommage dans le journal, ce soir ? Car tu étais le spécialiste des hommages posthumes. Pas pour des raisons quelconques, non ! Mais parce que ces personnalités dont tu parlais, tu les connaissais personnellement. En près de 70 ans de journalisme, tu étais un des témoins privilégiés de l'histoire du Sénégal moderne. On aimait tellement te taquiner à propos de ces hommages.

Un jour, notre "professeur" Mamadou Malaye Diop qui, contrairement au sérieux qu'il affichait à la Tv, est très taquin, te dit, après un de tes papiers : "Bachir, n'oublie pas d'écrire ton propre hommage, comme ça, à ton décès, on aura qu'à diffuser l'élément." Tu l'avais poursuivi dans la pièce pour lui montrer de quel bois tu te chauffais. Tu nous faisais tellement rire, tu étais comme ces grands-pères dans nos maisons à qui on témoigne notre affection en les taquinant à longueur de journée. Et tu discutais avec tout le monde, les journalistes qui étaient là depuis longtemps comme les jeunes stagiaires qui venaient d'arriver et dont tu ne connaissais pas les noms. Je me souviens de ce matin, tu venais d'être nommé sénateur et tu es arrivé avec un petit pistolet à la main, semant la panique dans la pièce.

Puis, tu t'es dirigé vers moi en me disant : "Ma chérie, désigne trois personnes à fusiller, je les flingue tout de suite. Tu peux faire tout ce que tu veux, désormais, car ton mari est maintenant sénateur." Et des chéries, tu en avais beaucoup. Et c'était sujet à fausses brouilles entre nous, car je ne voulais pas te partager avec les autres. Et tu me répondais en murmurant : "Tu es ma chérie spéciale, les autres dama len di nakh rek." Et c'est la même chose que tu disais à toutes les autres. Tu resteras donc notre chéri à nous toutes et à jamais. Celui qui nous faisait rire aux larmes avec ses blagues, celui qui nous pourchassait pour nous pincer et nous dire vertement ce qu'il n'avait pas aimé dans tel ou tel reportage, mais aussi celui qui n'hésitait pas à partager ses astuces de doyen de la presse.
Repose en paix. Qu'Allah t'accueille en son paradis et te couvre de sa miséricorde.’’

Rassemblés par Bigué Bob

   

GAUSTIN DIATTA (THIÈS)

 

 

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